mardi 11 octobre 2011

Lettre adressée par les députés de Jérusalem au Comité international de la Croix-Rouge à Genève

Jérusalem - 11 octobre 2011
Par Députés de Jérusalem
Par leur lettre adressée le 5 octobre 2011 à Jakob Kellenberger, président du CICR, les députés d'Al-Qods menacés d'expulsion par les autorités de l'occupation sioniste et réfugiés depuis un an dans l'enceinte de l'office du CICR à Jérusalem dénoncent l'attitude "conciliante" de son directeur, qui a permis l'enlèvement de l'un d'entre eux dans ses propres locaux, et l'attitude indifférente et méprisante de la direction de l'office devant la colère des proches et des sympathisants venus exprimer leur soutien aux députés, et d'une manière générale, à tous les prisonniers palestiniens.
Lettre adressée par les députés de Jérusalem au Comité international de la Croix-Rouge à Genève
De gauche à droite : MM. Khaled Abu Arafeh, Mohammed Totah et Ahmed Attoun, députés Hamas au Conseil législatif palestinien, pour le premier anniversaire de leur sit-in dans les locaux de la Croix-Rouge à Jérusalem occupée, le 1er juillet 2011.
Mercredi 5 octobre 2011
Mr. Jakob Kellenberger
Président
Comité international de la Croix-Rouge (CICR)
Genève
Cher Monsieur Kellenberger,
Nous sommes trois députés, Ahmed Attoun, Mohammad Totah, et Khaled Abu Arafeh, membres du Conseil législatif palestinien (CLP). M. Abu Arafeh fut également ministre dans le dixième gouvernement palestinien. Nous nous sommes réfugiés dans l'enceinte de la Croix-Rouge internationale, à Jérusalem occupée, le 1er juillet 2010, le lendemain de l'arrestation par l'autorité israélienne d'occupation de M. Mohammad Abu Teir, membre du CLP.
Un mois plus tôt, les autorités israéliennes avaient pris la décision de révoquer notre statut de résident de Jérusalem et de nous en expulser, bien que nous soyons en possession de cartes d'identité de Jérusalem valides (CI bleues) et malgré le fait que nous, nos parents et nos grands-parents soient nés dans la ville. La décision israélienne a été prise sous le prétexte que notre participation aux élections et au dixième gouvernement palestinien constituaient un "manque de loyauté envers l'Etat d'Israël", tout ceci étant fondé sur la prétention israélienne illégale de la légitimité de leur occupation de la ville de Jérusalem.
Les autorités israéliennes nous ont arrêtés le 29 juin 2006, avec 60 autres personnalités palestiniennes, au motif de notre participation au processus législatif palestinien, qui est basé sur l'accord d'Oslo et a été contrôlé par la communauté internationale. Ces élections ont eu lieu en plein accord et approbation entre l'Autorité palestinienne et les autorités israéliennes. De plus, les deux parties sont également convenues que les habitants de Jérusalem occupée seraient autorisés à y participer, comme candidats et comme électeurs.
Notre sit-in de protestation au quartier général de la Croix-Rouge a décidé comme démarche de derniers recours pour protester contre la décision du gouvernement israélien de nous priver de notre droit à résidence et de nous expulser de Jérusalem. De même, nous avons jugé nécessaire de faire connaître notre cas à l'opinion publique internationale pour montrer l'étendue de la politique de discrimination et d'oppression de notre occupant.
Pendant notre séjour à la Mission de la Croix-Rouge internationale, nous avons maintenu de bonnes relations avec l'administration et le personnel, dont nous respectons pleinement le travail acharné dans une situation si compliquée d'occupation militaire, en particulier étant donné la position d'Israël envers le droit humanitaire et les conventions internationales, dont il a signé la majorité.
C'est avec regret que nous avons dernièrement été témoins d'attitudes négatives à notre égard de la part du chef de la mission, M. Juan-Pedro Schaerer, qui nous rend visite au quartier général de la mission à Jérusalem tous les dimanches. C'est devenu évident le lundi 26 septembre 2011 quand, en présence de M. Pedro, des éléments de la sécurité israélienne en civil sont entrés en force dans le quartier général de la mission à 11h30. Ils ont kidnappé le député M. Ahmed Attoun, dans la cour de l'immeuble. Nous avons répondu à la requête de M. Nicolas, le responsable à Jérusalem, de rencontrer M. Juan-Pedro, qui nous a lu le communiqué de presse que la mission envisageait de diffuser sur l'attaque et l'enlèvement.
Après l'avoir écouté, nous avons affirmé à MM. Pedro et Nicolas que la déclaration n'exprimait pas de manière satisfaisante la gravité de la situation et constituait une provocation envers la famille et les amis de M. Attoun, les citoyens de Jérusalem et les sympathisants. Nous l'avons informé que le communiqué devait inclure trois éléments importants :
1) une condamnation claire et forte de l'enlèvement de M. Ahmad Attoun, qui est membre du parlement au Conseil législatif et représente tous les Jérusalémites,
2) une dénonciation et une condamnation claires de l'effraction du quartier général de la Croix-Rouge et de la violation de ses locaux, et
3) un appel à la libération immédiate du membre du Parlement Ahmed Attoun, ou son retour au quartier général de la mission internationale, d'où il avait été enlevé.
Nous avons clairement exprimé à MM. Pedro et Nicolas que le fait que le communiqué de presse de la Croix-Rouge n'aborde aucun de ces éléments donnait l'impression que l'administration de la Croix-Rouge approuvait le kidnapping de M. Attoun et encourageait l'occupation israélienne à reprendre ses violations en kidnappant les membres restants du CLP, M. Mohammed Totah et l'ancien ministre M. Khaled Abu Arafeh. Malgré tous nos efforts, le communiqué de la Croix-Rouge a été diffusé sans tenir compte d'aucune de nos suggestions.
Le lendemain, ce que nous craignions est arrivé. Des dizaines de parents et d'amis de M. Attoun et des sympathisants en colère se sont rassemblés dans la cour du quartier général de la Croix-Rouge internationale. Ils ont condamné la position de l'administration de la Croix-Rouge sur l'attaque israélienne et l'enlèvement, et ont exigé que la Croix-Rouge prenne ses responsabilités et obtienne la libération immédiate du député enlevé. L'administration de la Croix-Rouge a promis d'examiner ces demandes, bien que les personnes présentes aient eu des doutes sur sa promesse.
Le samedi 1er octobre 2011, des dizaines de sympathisants se sont à nouveau rassemblés, accompagnés par des dizaines de familles dont des parents sont emprisonnés par les autorités de l'occupation israélienne. Ces familles, venues avec leurs enfants, ont attiré l'attention sur le fait que les prisonniers palestiniens sont actuellement en grève de la faim et mènent une lutte dure contre l'administration pénitentiaire israélienne. La foule a remis une lettre à l'administration de la Croix-Rouge à Jérusalem pour qu'elle soit transmise au Président de la Croix-Rouge à Genève, M. Jakob Kellenberger, et qu'il prenne des mesures en soutien à ces prisonniers. M. Nicolas a rejoint la foule et la famille de M. Attoun lui a remis une lettre. Par la suite, le directeur de la Croix-Rouge a demandé à rencontrer, individuellement, Mohammed Totah et Khaled Abu Arafeh.
La foule a noté l'attitude de M. Nicolas, n'exprimant aucune préoccupation ni sympathie, alors qu'il était au milieu des membres de la famille du député kidnappé M. Attoun, ainsi que des pères, mères, épouses, enfants et amis d'autres prisonniers palestiniens. En conséquence, la foule a exprimé sa colère et a protesté contre le mépris de l'administration de la Croix-Rouge envers les sentiments des familles et des sympathisants et envers leurs revendications. Elle a également condamné le silence de la Croix-Rouge quant à l'action de la sécurité israélienne qui a eu lieu dans ses propres locaux, en présence des médias.
Immédiatement après que la foule ait quitté l'enceinte de la Croix Rouge, nous avons rencontré M. Nicolas, qui nous a accueilli par des blâmes et des insultes et nous a accusés de violer les lois et les coutumes. Il nous a dit que nous étions responsables de la colère de la foule, nous a reproché de ne pas l'avoir averti à l'avance de son humeur, a qualifié notre conduite de "grossière" et a déclaré, "je l'ai trouvée impolie !" Puis il a demandé une réunion avec M. Juan-Pedro Schaerer à 11h le lendemain matin.
Photo
30 juin 2011, Juan-Pedro Schaerer, devant le quartier général de la Croix-Rouge à Jérusalem, reçoit une note sur la situation des prisonniers palestiniens. On voit à droite la tente des députés palestiniens menacés d'expulsion.
Nous avons été choqués par l'attitude de M. Nicolas envers nous, membres du parlement représentant toute la ville et ses citoyens, ainsi que les protestataires en sit-in dans l'enceinte de la Croix-Rouge internationale pour y chercher protection et attention, et nous avons considéré que son attitude était une insulte à tous les Jérusalémites et un abandon du véritable rôle d'une organisation humanitaire dont la mission est de protéger et de s'occuper des civils sous occupation.
Nous avons rejeté toutes les accusations de M. Nicolas et l'insulte qu'il nous a faite, et l'avons informé que le rassemblement de la foule était l'initiative propre des familles, des amis et des sympathisants pour exprimer leurs idées, leurs opinions, leurs sentiments et leurs objections. Nous lui avons également dit qu'il n'avait pas le droit de nous en tenir pour responsables à un moment où nous sommes engagés dans un sit-in de protestations et que nous vivons la vie des prisonniers. Nous lui avons aussi rappelé que nous nous sommes toujours coordonnés avec l'administration de la Croix-Rouge pour ce qui concerne "nos activités privées", mais que les activités des participants et des citoyens de Jérusalem est de leur propre responsabilité. Nous l'avons informé que c'était son devoir de montrer un peu de solidarité et d'intérêt envers les sentiments des participants et des citoyens de Jérusalem. L'administration de la Croix-Rouge doit seule supporter les conséquences de sa non-dénonciation du crime d'enlèvement du membre du Parlement M. Attoun.
Nous lui avons fait remarquer qu'il n'était pas poli de qualifier notre position d'impolie, et que l'attitude de l'administration de la Croix-Rouge adoptée par M. Pedro, tentant de faire pression sur nous et de nous effrayer avec l'occupation israélienne et ses violations ne nous faisait absolument pas peur. Nous lui avons également fait part de notre refus de rencontrer M. Pedro, et après une heure de cette réunion regrettable avec M. Nicolas, il est revenu nous dire qu'il retirait le mot "impoli".
M. Jakob Kellenberger, nous savons que l'occupation israélienne se moque des us et coutumes et des codes de conduite qui régissent les relations entre les Etats et les institutions internationales. Par ailleurs, il est nécessaire d'aborder la question du comportement du gouvernement israélien, dont les officiers de sécurité en civil ont revêtu un uniforme de la Croix-Rouge pour essayer de soutirer des informations aux prisonniers. En conséquence, nous vous prévenons de notre inquiétude que la situation empire si l'administration de la Croix-Rouge ne prend pas ses responsabilités, en particulier à un moment où les Jérusalémites subissent de graves violations, depuis des décennies et jusqu'à présent.
Nous pensons que la Croix-Rouge ne doit pas être entraînée dans les comportements de l'occupation israélienne qui sont contraires à toutes les conventions humanitaires et internationales. Elle doit résister à l'arrogance israélienne avec la force de ses principes humanitaires et par la force du droit international et humanitaire qui est appliqué dans le monde entier. La mission internationale peut gagner à prendre appui sur la ténacité du peuple palestinien pour obtenir ses droits, sa force à exister et sa foi dans la justesse de sa cause, en harmonie avec les valeurs humaines supérieures.
Nous espérons que vous vous rendrez compte du recul de la position de l'administration de votre mission, en particulier cau quartier général de Jérusalem. Nous espérons aussi que vous réussirez à traiter la situation du lundi 26 septembre 2011 et ses conséquences en répondant à nos revendications et aux exigences jérusalémites :
- dénonciation directe du crime d'enlèvement de M. Ahmed Attoun, membre du Conseil législatif palestinien et représentant de tous les Jérusalémites, par l'occupation israélienne,
- dénonciation directe et condamnation de l'attaque des forces clandestines israéliennes contre le quartier général de la mission de la Croix-Rouge internationale et violation de ses locaux,
- action immédiate et continue pour la libération du membre du Parlement Ahmed Attoun et son retour au quartier général de la mission internationale d'où il a été enlevé.
Avec nos meilleurs sentiments,
Mohammed Totah, membre du Conseil législatif palestinien
Khalid Abu Arafeh, de Jérusalem, ancien ministre dans le dixième gouvernement palestinien.
cc. Représentants de toutes les institutions locales et internationales liées à la question palestinienne et à Jérusalem en particulier.
Chronologie des événements :
- Ahmed Attoun, Mohammad Totah, Khaled Abu Arafeh et Mohammad Abu Tir, élus sur la liste Hamas "Changement et Réforme", sont arrêtés par les autorités sionistes en 2006, suite à la victoire du bloc aux élections législatives. Ils sont libérés en 2009 après 3 ans de prison.
- Début juin 2010 : l'occupation annonce qu'elle a décidé de révoquer leur droit à résidence et leur donne quelques jours pour quitter définitivement Jérusalem. Les quatre députés refusent la décision d'expulsion.
- 29 juin 2010 : arrestation de Mohammad Abu Teir
- 1er juillet 2010 : Ahmed Attoun, Mohammad Totah, et Khaled Abu Arafeh se réfugient dans l'enceinte du CIRCR-Jérusalem. Installation d'une tente de soutien.
- 15 décembre 2010 : les députés envoient une lettre ouverte pour alerter sur leur situation.
- 20 février 2011 : pour la 3ème fois en une semaine, les forces de l'occupation attaquent le bureau et le domicile de Ahmed Attoun, saccagent les lieux, volent ses biens personnels et arrêtent 5 membres de sa famille.
- début juillet 2011 : Bannissement de Mohammad Abu Teir de Jérusalem, expulsion en Cisjordanie occupée.
- 6 septembre 2011 : Mohammad Abu Tir est kidnappé en Cisjordanie et arrêté.
- 13 septembre 2011 : Mohammad Abu Tir est condamné à 6 mois de détention administrative.
- 26 septembre 2011 : enlèvement de Ahmed Attoun par la police sioniste dans l'enceinte du CICR.
Traduction : MR pour ISM
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