mardi 5 avril 2011

Pas de pays pour le vieux peuple bédouin

lundi 4 avril 2011 - 17h:18
Kieron Monks - Al-Jazeera
Les communautés traditionnelles bédouines sont « à bout » en Israël et en Palestine. Elles sont aujourd’hui confrontées à un dilemme impossible.
(JPG)
Le camp d’Al-Aizariya abrite 3000 Bédouins Jahalin. La communauté vit ici depuis 1997, quand elle a accepté de quitter l’endroit où elle vivait pour laisser la place à la colonie (illégale) de Ma’ale Adumim (près de Jérusalem, en Cisjordanie occupée).
Photo : Lazar Simeonov
Parmi les décombres d’Al-Aizariya, vous pouvez voir les fruits du compromis.
Ce bidonville de 3000 Bédouins Jahalins se trouve juste au sud de Jérusalem, à quelques pas de la principale décharge publique de la ville.
Ils sont logés dans des baraques en tôle, sans eau ni électricité. Les animaux de pâturage, leur principale source de revenus, leur ramènent des maladies depuis les déchets chimiques tous proches. Un logement moderne, en dur, commence doucement à se monter.
En dépit de ces conditions, la plupart des communautés bédouines en Israël et Palestine échangeraient leurs places sans hésiter.
Alors que les villages non reconnus dans le Néguev et la vallée du Jourdain font face à de nouvelles vagues de démolitions, les Jahalins possèdent la plus précieuse et la plus insaisissable des commodités : la sécurité.
Comme la grande majorité des Bédouins de la région, les habitants d’Al-Aizariya étaient auparavant établis dans le Néguev, jusqu’à la Nakba de 1948 qui les a forcés à partir.
Ils sont arrivés ici en 1997, après avoir transité sur des terres aujourd’hui occupées par la colonie Ma’ale Adummim.
En échange de leur départ accepté, ils se sont vu offrir une indemnité d’environ 10 000 dollars par famille. Plus important encore, ils ont été assurés des droits sur ce misérable bout de terrain et, finalement, celui d’y construire ; et aujourd’hui, on y voit une modeste école et un centre médical.
Le prix du compromis
Leur transaction avec Israël s’est faite au détriment de leurs traditions et de leur indépendance. L’agriculture est pratiquement impossible sur cette terre aride, ce qui les rend dépendants du soutien israélien, lequel soutien n’arrive que rarement.
« Ils nous avaient promis l’électricité, l’eau et des rues, mais quand nous sommes arrivés ici, il n’y avait rien », réfléchit Eid Abu Raeb, fondateur et coordinateur de la ville, « depuis dix ans, ils promettent de déplacer la décharge à ordures. »
Cet accord non satisfaisant reflète leur manque de confiance dans les autres solutions. Ce n’est que récemment que les communautés bédouines ont été mises au centre des campagnes pour la défense des droits humains, et ces communautés ne sont pas facilement acceptées dans la société palestinienne.
Face à la campagne féroce, orchestrée, d’Israël de nettoyage ethnique contre les Bédouins, des deux côtés de la Ligne Verte, on peut comprendre la décision d’Abu Raeb de ne pas se battre contre une adversité si écrasante.
Les menaces s’accumulent contre les autres communautés ailleurs. Le 10 mars, le président du Conseil du Ramat Néguev, Shmulik Rifman, a annoncé son intention d’installer « 700 000 juifs dans le Néguev », au détriment de sa communauté originaire.
Sa déclaration faisait suite à la destruction au bulldozer d’Al-Araqeeb, le 17 février, et ce pour la 18è fois, mettant 300 Bédouins sans-abri. Il y a 36 villages non reconnus dans le désert, avec 80 000 Bédouins qui risquent de connaître le même sort.
Le plus important de ces villages, Wadi El Na’am, montre un côté encore plus sinistre des velléités d’Israël de les déplacer.
Depuis 1979, les tentatives du gouvernement israélien d’acheter les Bédouins ont été couplées d’une forte industrialisation tout autour du village, et notamment avec des usines chimiques et un incinérateur de déchets toxiques.
Les cas de cancer, l’asthme et de fausse couche ont fortement augmenté depuis et, alors que lignes électriques et pylônes traversent dangereusement le village, l’électricité, elle - tout comme l’eau et les soins - n’arrive pas chez les habitants.
Le gouvernement espère que les Bédouins vont finir par se sentir obligés d’accepter les recommandations du rapport Goldberg du 11 mars, rédigé sans même que n’aient été consultées les communautés concernées.
Et ce rapport contient le projet d’acquérir la moitié de l’ensemble de la terre bédouine dans le Néguev, et d’expédier ses habitants autochtones dans des bidonvilles construits à cet effet.
Expropriation
(JPG)
Bidonvilles pour Bédouins dans le Néguev
C’est une mesure qui marque le dédain officiel pour les Bédouins dont les conditions de vie dans ces bidonvilles sont encore pires que dans les villages non reconnus.
La plupart des habitants de Wadi El Na’am sont prêts à tout pour échapper à leurs conditions, mais bien peu se sont laissés tenter par la proposition de relogement dans le bidonville délabré de Segev Shalom.
Cette politique de pressions sur eux en attaquant leur qualité de vie est également fréquemment appliquée en Cisjordanie. En Zone C, sous contrôle de la loi militaire israélienne, il est d’usage pour l’armée de réquisitionner de vastes terrains pour en faire des « terrains d’entraînement », sans grands égards pour les communautés qui se trouvent lésées.
L’une de ces communautés est le village d’Al-Rashayida, près de Bethléhem, qui a perdu la moitié de ses terres au profit d’un terrain d’entraînement non clos, non banalisé, et parsemé d’explosifs meurtriers.
Awad Al-Rashayid, un berger bédouin, est infirme depuis l’année dernière, avec beaucoup d’autres infirmes parmi ses voisins. Pour lui, le fait qu’ils soient blessés résulte d’une politique délibérée.
« Ils (l’armée) n’assurent pas la sécurité parce qu’ils veulent la terre. Ils veulent que nous partions pour faire de la place aux colons ».
Dans une région qui déborde d’ONG, une défense des Bédouins s’est ostensiblement manifestée.
Mais leur isolement dans des régions retirées a contribué à faire profil bas, et le seul Bédouin député à la Knesset, Taleb El-Sana, nous a dit que leur cause était enterrée sous le conflit Israël/Palestine.
« Nous n’avons aucune représentation réelle, » dit-il lors d’un entretien, « les gens parlent toujours de l’occupation, mais personne n’entend parler des Bédouins ».
Dans le Néguev au moins, leur représentation s’est améliorée au cours de ces dernières années. Le Conseil régional pour les villages non reconnus (RCUV) et celui pour les bantoustans, tous deux créés à la fin des années quatre-vingt-dix, ont mené campagne au nom des 36 villages, tout en favorisant l’enseignement et le développement en leur sein.
Ces efforts ont donné un nouvel élan à ce qui semblait être une cause perdue, utilisant une meilleure stratégie avec des objectifs réalistes.
« Nous sentons que la situation est proche du point de rupture » dit Michael Zak du RCUV. « Le projet (Golberg) du gouvernement de relier propriété de la terre et droits fondamentaux est inacceptable, nous allons nous occuper de cette question de propriété dans un avenir meilleur. Pour l’instant, nous voulons les droits fondamentaux auxquels tout citoyen israélien a droit. »
Ces droits fondamentaux sont refusés aux villages non reconnus, et notamment des services cruciaux comme l’eau, la santé et l’enseignement. L’organisation Médecins pour les droits humains rapporte que 30 % de ces villages n’ont aucun accès aux services de santé.
Le rapport décrit ce dénuement comme « le moyen de concentrer, de force, la population arabe bédouine dans les villes prévues par l’État. »
Les pauvres établissements scolaires qui obligent les enfants à marcher de nombreux kilomètres, chaque jour, pour se rendre à l’école, ont contribué à un chômage de masse et au taux de pauvreté stupéfiant de 80 %. C’est un exemple frappant de la façon dont ces communautés ont été marginalisées.
La question de l’allégeance
Si ces injustices commencent à être reconnues en Israël, il n’y a guère de soutien pour les droits des Bédouins en Cisjordanie.
Cela découle en partie de la suspicion avec laquelle ils sont largement considérés par les Palestiniens. Abu Raeb explique l’une des raisons : « Quand nous étions sous domination jordanienne, nous étions avec la Jordanie » nous dit-il. « Quand les Israéliens sont les responsables, nous sommes avec eux. »
Ce manque d’allégeance politique a privé les Bédouins de la bienveillance des Palestiniens qui comptaient sur leur solidarité.
« Ils ne devraient pas accepter de vivre en terre occupée », dit Abdullah, un Palestiniens du quartier voisin d’Abu Dis, à propos des Bédouins d’Al-Aizariya, « nous pensons beaucoup de mal d’eux ».
J’entends des mots très forts comme « espion » et « traître » de la part d’autres habitants d’Abu Dis.
De traiter avec le gouvernement israélien et de s’intégrer au sein de la société israélienne, et même jusqu’à entrer volontairement dans l’armée, tout cela a creusé le fossé entre Bédouins et Palestiniens. La vallée du Jourdain, où vit la plus grande partie de la population bédouine palestinienne, est coupée réellement de la Cisjordanie et une seule ONG s’y intéresse. Le député El-Sana appelle ça, une « double persécution ».
Dans la partie de territoire la plus contestée du monde, l’attitude passive n’a pas fonctionné. Le manque d’engagement politique s’est révélé préjudiciable aux Bédouins, même s’il y a un effort tardif aujourd’hui pour faire valoir leur cause.
Les villages non reconnus du Néguev font pression pour des élections, et on s’attend à ce qu’ils refusent la proposition du gouvernement pour leur terre. Michel Zak nous dit que moins de 1 % sont maintenant volontaires pour l’armée, ce qui marque un désir nouveau de s’assurer une légitimité à leurs propres conditions.
En plus d’une activité politique accrue, ils tentent de sortir de la marginalité en faisant revivre leurs traditions.
« Les Bédouins veulent être partie prenante de la vie moderne » dit El-Sana, « pour intégrer la technologie et les niveaux universitaires ».
De tels projets sont soutenus par des ONG locales qui ont obtenu un financement de l’Union européenne pour un travail de développement. En Égypte et en Jordanie, où les Bédouins sont administrés avec plus de sympathie, les communautés ont prospéré grâce au commerce du tourisme.
Le désert rouge du Wadi Rum en Jordanie est devenu une destination providentielle pour les visiteurs désireux de faire connaissance de la culture bédouine traditionnelle.
Un tel avenir n’a guère d’espoir au milieu du chaos du conflit Israël/Palestine. Il semble que les Bédouins auront ou à s’adapter ou à souffrir du nettoyage ethnique qui se poursuit.
« Ce n’est pas un crime d’être bédouin, » dit El-Sana, « mais la façon dont on les traite ici le donne à penser. »
Les communautés bédouines se trouvent face à une décision presque impossible à prendre : se battre contre la persécution par l’État, ou admettre tant bien que mal des conditions dégradées comme celles d’Al-Aizariya. Les deux routes sont pavées d’embûches.
(JPG)
* Kieron Monks gère le contenu du magazine Cette semaine en Palestine. Ses articles indépendants sont publiés par The Guardian, The Observer, New Statesman, The Tribune, Ma’an News et beaucoup d’autres.
30 mars 2011 - Al-Jazeera - traduction : JPP
Lien