samedi 30 avril 2011

La plus ancienne dictature du Moyen-Orient

samedi 30 avril 2011 - 07h:36
Marwan Bishara - Al Jazeera
Marwan Bishara, principal analyste politique d’Al Jazeera, analyse la domination d’Israël sur les Palestiniens au-delà de la rhétorique de la paix.
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L’occupation résolue d’Israël sur les Palestiniens, non seulement dans la Palestine historique mais surtout en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza peut être considérée comme la plus ancienne quasi-dictature au Moyen-Orient, affirme Marwan Bishara [GALLO/GETTY]
Selon l’opinion communément admise - surtout dans l’Occident - Israël est la « seule démocratie » au Moyen-Orient. Et c’est le cas, mais particulièrement pour ses citoyens juifs. Pourtant, Israël a été tout sauf démocratique envers les autochtones, les Arabes Palestiniens.
Par nature et par priorité, une occupation militaire étrangère est temporaire. D’autre part, le colonialisme, plus précisément la colonisation civile, est un système socio-politique consistant à avoir un contrôle sur un autre peuple.
Le sionisme a, depuis sa création vers la fin du 19ème siècle, prôné l’autodétermination du peuple juif dans « sa » patrie. Tout compte fait, Israël a, directement ou indirectement, chassé les Palestiniens de leur pays et a confisqué leurs biens. Aussi, en dépit des résolutions de l’ONU, Israël a refusé aux Palestiniens leur droit au retour dans leur patrie et a occupé et colonisé le reste de leur pays dans les dernières quatre décennies.
Au fil des ans, les services militaires et sécuritaires israéliens ont étendus leur domination sur d’autres individus et contre leur volonté. Tout au long de cette sujétion, les Palestiniens ont été opprimés, torturés, exploités et privés de leur terre, de l’eau et du droit le plus important qui soit : leur liberté. Il faudrait alors souligner que les prisons israéliennes, contrairement à celles des pays voisins, sont celles qui comptent le plus grand nombre de prisonniers politiques.
Refusant d’assumer leur véritable situation, les dirigeants israéliens se sont réfugiés dans un illusoire excès de moralité.
Dans ce contexte, rien de plus explicite que la déclaration de feue le premier ministre israélienne Golda Meir qui, en avertissant les Arabes avaient alors dit : « Nous pouvons vous pardonner d’avoir tué nos fils, mais nous ne vous pardonnerons jamais de nous faire tuer les vôtres ».
Une belle illustration de l’impudence et du culot israélien [chutzpah].
L’occupation comme dictature coloniale
Contrairement aux autres puissances coloniales et dictatures dont l’histoire se souvient, Israël s’est emparé de tout mais n’a rien donné en retour. Les colonies, les routes de contournement et les zones industrielles construites sont exclusivement destinées aux juifs.
Ainsi, Israël et ses diverses organisations sionistes ont construit plus de 600 villes, villages et autres formes de colonies spécialement pour les Juifs et rien pour les Palestiniens, même pas pour ceux qu’Israël considère comme faisant partie de ses propres citoyens, estimés à environ le un cinquième de sa population.
Et à l’instar de beaucoup d’autres dictatures, celle-ci s’illustre par le déni du tort et du préjudice causés à la population qui est sous son contrôle et par les illusions d’une occupation qu’elle juge nécessaire, bienveillante voire même dûe par volonté divine.
C’est pourquoi, aucune autre dictature dans la région n’a été aussi longtemps indifférente et destructive à l’égard de ceux qu’elle domine, que le régime sioniste en Palestine.
En effet, Israël n’a pas hésité de faire appel à ses forces meurtrières et démesurées à l’encontre du peuple occupé. Ses derniers crimes de guerre ont été documentés et détaillés dans plusieurs rapports de l’ONU, notamment celui du juge Goldstone. Ce dernier enquêtait sur la guerre de 2008/2009 contre Gaza, ce qui a ajouté ou changé peu de choses quant à la réalité sur le terrain.
Pas très différent des autres dictatures, Israël se vante de ses sacrifices pour la paix, diabolise ses détracteurs et opposants et justifie tous ses actes répréhensibles par le souci du maintien de la sécurité, de l’ordre et de la stabilité internes.
Prétendant et prônant la démocratie, les dirigeants israéliens ont cependant toujours préféré avoir affaire aux autocraties, qu’ils soient dans le monde Arabe ou dans le grand Moyen-Orient, comme qu’en Asie et en Afrique.
Le leadership israélien avait activement soutenu le régime de Moubarak dans ses derniers jours. En outre, les dirigeants israéliens auraient exprimé leur soutien et leur volonté à apporter une assistance à Kadhafi.
L’illusion de la séparation
Six décennies : telle est la période qui témoigne de l’histoire commune d’Israël avec les Palestiniens. En dépit de toute cette durée, son leadership et ses partisans sont toujours confortés dans l’idée qu’Israël est totalement différent de ses voisins ; c’est une oasis démocratique au milieu d’une mer de totalitarisme. Ainsi, quand il lui a été donné de se battre contre ses voisins et d’imposer son contrôle sur eux, Israël prétend avoir agi contre son gré.
Mais indépendamment de la motivation et de la justification des guerres de l’après 1948 et 1967, le résultat est une réalité dont il faut tenir compte. En effet, tant sur le plan politique qu’académique, il serait malhonnête et contreproductif de parler de Palestiniens et d’Israéliens en tant que deux entités sociales et politiques séparées et dissociées.
Toute tentative visant à comprendre la nature et l’évolution politique, économique, sociale et même religieuse de l’état d’Israël sans tenir compte de sa dictature coloniale sur un autre peuple, serait au mieux futile, sinon trompeuse et destructive.
Cela va de soi pour les Palestiniens. Leur évolution nationale et politique à travers le siècle passé, notamment durant les six dernières décennies, est inextricablement liée à celle du sionisme et de la dictature israélienne.
Aujourd’hui, la distance maximum entre un israélien et un palestinien ne dépasse pas les 8 kilomètres.
Où est la révolution palestinienne ?
Il est donc tout à fait clair que la « Révolution Palestinienne » n’a pas été le fruit d’une coïncidence et ce, après avoir émergé au lendemain de l’occupation et de la guerre de 1967, date où Israël avait battu ses voisins et dirigeants post-coloniaux et leur projets nationaux, que se soit le panarabisme, le Baasisme, etc.
Ainsi, puisqu’Israël s’était allié aux puissances coloniales et impériales de l’époque, comme la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, la Révolution Palestinienne s’est, de son côté et à travers le Mouvement de Libération de la Palestine qui la représentait, inspirée des luttes anti-coloniales similaires, notamment celle du Front de Libération National Algérien (FLN) contre la dictature coloniale française sur l’Algérie.
Toutefois, la polarisation de la Guerre Froide, les divisions entre Arabes et les erreurs et bourdes commises par la « révolution Palestinienne » ont conduit à sa désintégration. En 1991, l’avènement du Processus de Paix de l’après Guerre Froide a fini par réduire le Mouvement de Libération de la Palestine à un simple outil d’adaptation avec le colonialisme israélien. Aussitôt, la domestication du Mouvement de Libération de la Palestine par le Processus de Paix a fait que des divisions internes éclatent, d’où la naissance d’un conflit armé entre les courants islamiste et laïc, à savoir le Hamas et le Fatah.
Aujourd’hui, les Palestiniens vivent sous l’emprise de la dictature militaire et de la police d’état. En effet, ils sont séparés par des centaines de checkpoints, des murs et des clôtures « de sécurité » et sont surveillés par des forces palestiniennes formées par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis et supervisées par les services militaires et sécuritaires israéliens.
Hélas, la Bande de Gaza étranglée par Israël et sous contrôle du mouvement Hamas présente une réalité guère différente.
Ainsi, au lieu de poursuivre la lutte contre la dictature, le Mouvement de Libération de la Palestine et le leadership de l’OLP (Organisation pour la Libération de la Palestine) en Cisjordanie sont en train de détruire et d’éteindre la volonté palestinienne de rejoindre les luttes révolutionnaires Arabes pour renverser - dans ce cas précis - le régime.
Le leadership de l’OLP a, deux décennies durant, cherché le salut à Washington. Une fois que l’Organisation a fini par comprendre que ce projet était une pure chimère, elle a décidé de porter sa demande à l’ONU pour obtenir une reconnaissance d’un Etat Palestinien.
Le mois de septembre arrivé, l’OLP réalisera que le résultat final sera, au mieux, un état sur papier dont la véritable concrétisation requiert davantage que la diplomatie jusque là utilisée avec Israël. A condition, évidemment, que Washington n’use pas de son veto contre une telle résolution.
Cependant, quelles que soient les acrobaties diplomatiques, la paix est en fin de compte possible entre Palestiniens et Israéliens sur la base d’un seul état ou bien de deux états indépendants, séparés par les frontières de 1967.
Toutefois, il n’est ni défendable, ni moralement acceptable d’imposer aux Palestiniens un compromis ou une paix sous occupation israélienne ou sous sa dictature coloniale.
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Marwan Bishara est le principal analyste politique sur le Moyen-Orient pour Al-Jazeera ; écrivain et journaliste palestinien, il est également chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris) et enseignant à l’université américaine de Paris. Il a écrit : Palestine/Israël : la paix ou l’apartheid ? paru aux Editions La Découverte.
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction de l’anglais : Niha
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