samedi 30 avril 2011

Il ne faut pas être plus palestinien que le palestinien

29 Avril 2011
Par Karima Essabak.
Je savais qu’on pouvait pécher par orgueil mais pas par excès d’empathie. Avec ce voyage en Palestine, c’est chose faite.
Depuis notre arrivée, les clichés sur la vie des palestiniens tombent et nous amènent à l’introspection : cette indignation qui soulève notre cœur à chaque check point, à chaque apparition du mur de la honte, improbable dans un paysage d’oliviers, pourquoi ne se lit-elle pas sur les visages de nos hôtes ? Pourquoi n’entendons-nous pas, le soir au sein de nos familles d’accueils, des diatribes endiablées sur l’injustice, alors qu’il ne se passe pas une heure au sein de notre groupe sans débats passionnés et indignés ?
Serions-nous au final plus palestiniens que les palestiniens ? Sommes-nous trop à l’écoute de nos sens et pas assez du peuple qui nous entoure, qui n’aspire qu’à la paix du quotidien ?  Peut-être aussi sommes-nous victimes, depuis la France, d’une propagande qui construit un imaginaire de guerre et de lutte, de palestiniens violents et incontrôlables ; si bien que l’on s’attend à croiser des révolutionnaires à tous les coins de rue de Ramallah, là où en réalité, on ne trouve que des familles faisant leurs courses …
Péché n°1 : boycotter les produits israéliens. Ou pas ...
Reçus par Dov Hanin, député progressiste israélien, nous nous sommes rendus à Tel Aviv. Arrivée à l’heure du déjeuner, des divergences d’opinions ont couverts les cris de nos estomacs. Non pas sur le menu, mais sur le principe même de la consommation en territoire israélien. Participer à la vie économique de la ville était pour certains, en contradiction avec leurs démarches militantes. D’autres pensaient qu’il ne fallait pas tomber dans un dogmatisme aveugle.
Ce sont les palestiniens, mi- amusés mi- touchés, qui nous apporteront de la tempérance, En tête de file, Salam Fayyad, le premier ministre palestinien  nous dira simplement qu’Israël est un futur partenaire économique, et que le boycott que les palestiniens prônent se limite aux productions venues des colonies juives. Une position qui nous rallie tous : impossible de cautionner un délit reconnu internationalement.
Péché n°2 : le droit international.
Sept ans bientôt qu’elle n’a pas serré son fils dans ses bras. Dans un petit café de Ramallah, Denise Hamouri nous raconte son combat pour faire libérer son fils, Salah, emprisonné sur une présomption de volonté de nuire à l’état d’Israël. Elle n’espère plus être reçue par M. Sarkozy, malgré ses nombreux courriers, mais continue les démarches pour faire sortir son fils même dix jours avant la fin de sa peine. « C’est toujours ça » dit-elle. Du courage, elle en a, de la résistance aussi. Pourtant, on n’a pas pu s’empêcher de demander à Mme Hamouri, si elle avait essayé, par exemple, de créer une association de parents de prisonniers politiques pour mutualiser leurs forces. Ou encore, si elle avait songé à entreprendre une démarche juridique auprès d'une cour internationale de justice, afin, par exemple, de mettre en cause le fait que son fils ait été jugé par un tribunal militaire et non civil. « Non" nous répond-t-elle," je n’y ai pas pensé".
Devant cette réponse, donnée avec beaucoup d’humilité par une mère dont le quotidien est un combat, nous avons honte d’avoir pris cette femme à partie. Elle faisait tout ce qui était possible de faire pour son fils. De notre prisme français et européen, nous oublions, naïvement parfois, que la justice et le droit ne sont pas des évidences partout, et certainement pas des clés de liberté.
Péché 3 : le loisir.
Sous le niveau de la mer, on étouffe. Pas seulement lorsque le soleil tape fort, mais aussi, parce que le droit au loisir peut s’y noyer. Jéricho, ville palestinienne millénaire et point d’entrée au site mystique de la mer Morte. Après une semaine de road trip, nous avions envie de nous laisser porter un peu par ses eaux à forte salinité. L’ambiance du groupe était au beau fixe. A peine descendus du bus sur le parking, un ballon roulait déjà entre nos pieds. C’était bien trop beau pour être vrai. L’accès à la mer morte, qu’elle soit côté palestinien ou pas, est contrôlée par les israéliens : check point aux loisirs. Deux jeunes branchés se font refoulés devant nous. Parce qu‘ils sont palestiniens, nous expliquera le responsable du lieu. Ils ne bronchent pas, ne négocient pas, ils s’en vont. Pour certains d’entre nous, le spectre du délit de faciès à l’entrée de boites de nuit refait surface. C’est vrai que c’est la même chose : être privé d’amusement, de fun, de loisir, de sas de décompression, c’est injuste où que l’on soit. Par ailleurs, constater qu’un joyau naturel tel que la mer Morte, ne puisse pas être accessible à tous, gratuitement, c’est heurter notre sens de l’espace public, tel qu’on le conçoit en France. On se sent confisqué d’un droit universel, celui de l’accès à la nature.
De manière unanime, nous décidons de renoncer à l’expérience de la mer morte, par solidarité avec les deux jeunes palestiniens refoulés.  Comment s’amuser quand d’autres n’y ont pas le droit ? De retour à Ramallah, nous étions tous assez fiers de raconter à nos familles d’accueils que nous avions été fidèles à nos principes. La belle affaire. Nous ne nous rendons même pas compte que de jouer aux "boycotteurs moraux" est un luxe. Mon hôte me dira, les yeux un peu dans le vague, qu’il aimerait bien offrir un peu d’oxygène à ses petits. Il aimerait bien pouvoir jouer pleinement son rôle de père en réalisant l’un des besoins fondamentaux pour les enfants : l’amusement, le jeu, la découverte …
Finalement, être face à ces situations nous a appris que le peuple palestinien est ventriloque : il ne parle jamais de leur propre voix. Les médias transforment les Palestiniens en combattants violents. Les militants les érigent en révolutionnaires acharnés. Si le monde se décidait à écouter ce que le peuple palestinien dit, il entendrait distinctement : les poings sont baissés depuis longtemps, il reste quelques bleus au corps, c'est vrai. Mais plus que jamais perdure en lui l’envie de vivre juste comme le reste du monde : libre ni plus ni moins.