dimanche 2 janvier 2011

L’indispensable indignation

publié le samedi 1er janvier 2011
entretien avec Stéphane Hessel

 
Par Chloé Leprince et Pascal Riché, Rue89 :

Hessel, auteur du best-seller « Indignez-vous ! » évoque la gauche, un XXIe siècle qui a mal débuté, et… l’indispensable indignation.
Résistant et ancien ambassadeur, Stéphane Hessel, auteur du mini-livre et best-seller titré « Indignez-vous ! », nous a reçus chez lui, mercredi en fin d’après-midi. A la lumière d’une lampe, assis dans un fauteuil contre un paravent vénitien, armé d’une grosse loupe, il nous attendait en apprenant par cœur des vers de Rilke, un de ses passe-temps favoris.
Selon son éditeur, « Indignez-vous ! », un cri poussé contre l’indifférence, est parti pour dépasser les 500 000 exemplaires. Entretien.
Rue89 : Comment expliquez vous le succès de « Indignez-vous ! » ?
Stéphane Hessel : Je ne sais plus où on en est : 200, 300, 400, 500 000 ? Je ne suis pas cela de très près, et d’ailleurs je n’ai pas de droits d’auteur.
Mais je suis épaté par le nombre de gens qui ont envie d’acheter ce petit bouquin. Un des facteurs du succès, c’est sûrement le titre. Les gens en ont marre, ils ont le sentiment de ne pas comprendre ce qui se passe, ils ont envie de changement.
Il y a toujours eu des raisons de s’indigner, mais ce besoin est plus fort aujourd’hui. Avec la présidence de Sarkozy, il y a de plus en plus de gens qui sentent que certains problèmes ne sont pas résolus et qu’il y a quelque chose qui ne marche pas bien dans le système, que ce soit en France ou au plan mondial.
La première décennie du XXIe siècle a mal tourné. La dernière décennie du XXe siècle, elle, avait été une période faste, entre la chute du mur de Berlin et la mise en place par les Nations unies des objectifs du millénaire pour le développement.
Il y a eu des grandes conférences : Rio sur l’environnement, Pékin sur les femmes, Vienne sur les droits de l’homme et le droit au développement, Copenhague sur l’intégration sociale… Ces conférences disaient : il y a des choses à faire !
Et puis, en 2001, après la chute des tours, on a vécu le rejet de ces initiatives. Ce fut la guerre en Afghanistan, la guerre en Irak. Aux Etats-Unis, c’est la décennie de George Bush. En France, ce fut l’élection d’un Sarkozy sur lequel on comptait pour régler un certain nombre de problèmes qu’il n’a finalement pas réglés…
Tout cela justifie que quand l’on reçoit en pleine figure un petit livre de 25 pages qui dit : « Faut s’indigner, faut résister, y en a marre ! », cela a cet étonnant effet.
« Indignez-vous » n’aurait jamais eu ce succès si c’était un gros livre, je pense par exemple au livre de Susan George [« Leurs crises, nos solutions », ndlr], que vous voyez sur cette table : cet excellent livre qui dit beaucoup mieux ce que j’essaye de dire… mais qui fait 350 pages.
Sartre, que vous citez dans votre petit livre, disait : « On a toujours raison de se révolter ». Y a-t-il une différence entre la révolte qu’il appelait de ses vœux et l’indignation que vous prônez ?
Il y a une nuance importante. Le « révoltez-vous » de Sartre rappelle la révolution d’Octobre, peut-être aussi Mai 68 [c’est aussi un slogan de Mao Zedong, nldr] ; des moments forts, importants, mais qui n’ont pas donné lieu à un vrai changement en termes de justice et de démocratie.
La dignité est un terme intéressant. Il figure dans l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme [dont Hessel était l’un des rédacteurs, ndlr] :
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
La dignité, plus que la révolte, est quelque chose qui marque l’individu humain. Le citoyen est fier de sa dignité d’homme et quand elle lui semble attaquée, il est normal qu’il s’indigne.
Pensez-vous qu’on ait besoin aujourd’hui de révolte « individuelle » plus que que collective ?
On a avant tout besoin de changement et de réformes radicales. En France, par exemple, il nous faut une autre république que la Ve, plus démocratique. Ces changements majeurs peuvent être obtenus par une action à laquelle peuvent participer tous les citoyens conscients, prêts à s’indigner et résister à ce qui risque de les entraîner vers « j’y peux rien », « c’est comme ça », « y a rien à faire »…
Est-ce que cela va ensuite se traduire par une révolte ? Peut-être, mais j’imagine plutôt quelque chose de non-violent.
Ce que je demande aux gens, c’est de sortir de leur indifférence et de leur découragement, de mobiliser leurs énergies pour se dire : il y a à faire, à condition de résister comme nous avons résisté du temps de l’Occupation allemande. J’évoque d’ailleurs dans le petit livre le programme du Conseil national de la résistance qui disait : voilà des valeurs fortes sur lesquelles il faut s’appuyer pour que les choses aillent dans le bon sens.
Concrètement, quand vous parlez de mobilisation des énergies, quel type d’engagements conseillez-vous ?
Il y a énormément de choses à faire, et elles sont à portée de main de chacun. Il faut par exemple lutter contre une économie entièrement dominée par le profit, et on peut le faire en s’engageant par exemple dans l’économie sociale et solidaire. On peut le faire par des organisations citoyennes, il en existe un certain nombre, et sortir du carcan de l’économie néolibérale et financiarisée…
Vous parlez d’organisations, vous citez même dans le livre Attac, Amnesty international, la FIDH, mais vous n’appelez pas à militer dans des partis politiques…
S’inscrire dans un parti, voter pour un parti, c’est très bien. Mais mon petit livre incite ses lecteurs à aller au-delà, à devenir des citoyens dynamiques, à investir leur énergie dans l’environnement, la lutte contre l’injustice, la défense des immigrés… Toutes choses dont les partis devraient certes s’occuper, mais le font-ils assez ? S’ils ne le font pas, il faut les y pousser !
Je ne sous-estime pas le rôle des partis politiques. Un Etat démocratique ne peut pas fonctionner sans eux. J’ai même une affection personnelle pour deux d’entre eux :
* le Parti socialiste d’une part (et je défends de tout mon cœur Martine Aubry, qui fait un remarquable travail) ;
*Europe Ecologie d’autre part, sur une liste duquel je me suis laissé inscrire, aux dernières élections régionales.
Je souhaite qu’aux législatives qui vont suivre l’élection présidentielle de 2012, plusieurs partis de gauche travaillent ensemble : communistes, verts, socialistes, et même des candidats du centre républicain. Mais attention : il ne faut pas qu’ils présentent quatre candidats différents à l’élection présidentielle. Je ne vois que deux candidats possibles en l’état actuel : Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn.
Mais Dominique Strauss-Kahn dirige le FMI, qui fait partie des institutions que vous dénoncez…
DSK a pris le FMI à un moment où il fallait le dénoncer, mais il est en train de le transformer assez utilement. On ne sait pas encore bien tout ce que DSK a fait. Par exemple, le FMI ne fait plus d’ajustements structurels, c’est un progrès.
Personnellement, je préfèrerais Martine Aubry : je la considère comme plus énergiquement de gauche ; mais je sais, pour le connaître, que Strauss-Kahn est aussi un homme de gauche. S’il devient Président, il réformera l’économie française selon les même lignes que celles qu’il a soutenues du temps de Jospin ou de Rocard.
Il y a eu en France une gauche qui a fait des choses, je pense au RMI, à la couverture médicale universelle… Et elle peut en faire demain davantage.
Avec ce petit ouvrage, vous devenez une icône pour une gauche infiniment plus radicale que ceux qui soutiennent DSK ou Martine Aubry. Comment le vivez-vous ?
Je n’ai jamais été sensible à l’extrême gauche. Quand je défendais les sans-papiers, des gens me disaient : « Il faut les légaliser tous ! » Moi je leur répondais : « Non, il faut avoir une politique intelligente. Si on décide de régulariser tout le monde, on débouche sur des catastrophes. »
Le discours d’extrême gauche, même dans la bouche d’un homme comme Mélenchon, qui a des côtés très sympathiques, ne me paraît pas la réponse. La réponse, c’est la social-démocratie.
Ça a l’air d’être un vieux mot, mais il est très moderne. Ce n’est pas en se donnant à une idéologie qu’on fera progresser la société : on le fera par une réforme équilibrée et démocratique. Les idéologies ont fait beaucoup de mal, l’idéologie communiste comme l’idéologie néolibérale. Il faut écouter les gens, savoir ce qui les indigne, comprendre sur quoi on peut travailler avec eux, et non pas leur dire, comme le font les idéologues : voilà ce que tu dois faire.
Deuxième partie :
Rue89 : Dans votre petit livre, vous appelez à une réduction des inégalités, un meilleur environnement, des droits de l’homme mieux respectés, mais vous n’attaquez pas frontalement le cœur du système, l’économie de marché.
Stéphane Hessel : Je ne suis à aucun degré favorable au développement du marché, et je considère le fonctionnement de l’économie financiarisée comme le vrai mal de notre temps. Pour autant, je sais que nous aurons besoin d’un marché à contenu social.
Et à côté de cette « économie sociale de marché », il nous faut une économie sociale et solidaire, fondée sur la coopération, la mutualisation, et qui fait, si je puis dire, l’économie du profit.
Vous citez le programme du Conseil national de la résistance (CNR) comme socle des valeurs à défendre. N’est-ce pas un peu déplacé de rapprocher cette période noire à la période actuelle ?
Sur le programme du Conseil national de la résistance, je dis simplement qu’il est merveilleux de penser qu’une quinzaine de bonshommes et de bonnes femmes, qui se réunissent à un moment où ils n’ont aucun pouvoir d’aucune sorte, qui sont dans la clandestinité, qui observent le pays et se demandent « qu’est-ce qu’on va faire une fois qu’on aura gagné cette guerre ? » aient noté dans un programme des valeurs qui aujourd’hui encore apparaissent comme légitimes et fondamentales ! C’est un moment de l’histoire de France assez extraordinaire. Dans ce qu’ils ont dit, il n’y a pas grand chose à écarter, et il y a beaucoup à prendre.
Il ne s’agit pas de dire que nous vivons sous un régime aussi pénible que ne l’étaient le national-socialisme ou même Vichy. Il était normal que ces Français résistants disent, dans ce programme, non à l’économie de Vichy, qui était très capitaliste, et à la société de Vichy qui ne prévoyait pas de Sécurité sociale.
Nous ne sommes pas dans la même situation. Mais si nous avons des adversaires qui ne sont pas aussi clairs que l’étaient Pétain, ou Laval, ou Hitler, ces adversaires existent : il faut les connaître, les décrypter et il faut leur résister avec la même énergie, même si ces adversaires n’ont plus la même violence.
Vous pensez à qui ?
A Sarkozy, au gouvernement actuel, à l’Europe actuelle. Parce que je pense qu’il ne s’agit pas seulement de résister à ce qui va mal en France, mais aussi en Europe et dans le monde.
Pourquoi remonter aussi loin ? Depuis le programme du CNR, n’y a-t-il pas eu d’autres actes politiques aussi fort ?
Depuis 1948, on a beaucoup travaillé et progressé. Au sortir de la guerre, on a défini les libertés fondamentales et les droits fondamentaux auxquels tous les peuples peuvent aspirer : ce fut la Déclaration universelle. Elle a été complétée en 1966 par deux pactes : le pacte des droits sociaux économiques et culturels et le pacte des droits civiques et politiques ; il y a eu la Convention européenne des droits de l’homme, la construction de l’Europe, la décolonisation… Tout cela a marqué une formidable modification du fonctionnement de la planète.
Il n’y a plus aujourd’hui d’apartheid, plus de totalitarisme soviétique, plus de maoïsme en Chine – même s’il y a de quoi s’interroger sur ce qui lui a succédé… Ça bouge, mais il reste beaucoup à faire, le programme n’est pas encore accompli. On est dans une lancée, mais pendant les dix dernières années ce mouvement a trébuché. C’est une des raisons qui pousse à l’indignation : il y avait des forces positives à l’œuvre, pourquoi ces forces ne continueraient-elles pas à jouer ?
Quel est le premier facteur « négatif » de ces dix dernières années ?
A mon sens, c’est le mot « terrorisme ». Le terrorisme a certes toujours existé : on décanillait les tsars. Mais ce n’était pas comparable à ce que nous vivons maintenant, avec des petits groupes qui mobilisent de la violence, qui commettent des destructions, et introduisent dans l’esprit des gens l’idée qu’ils sont menacés.
On n’a pas trouvé le moyen d’y faire face intelligemment. Taper sur les talibans avec une guerre à bombes, taper sur l’Irak sous prétexte qu’il y a des armes de destruction massive – qui n’y sont même pas –, cela n’est pas une bonne politique.
Une politique intelligente consisterait, comme a essayé de le faire Obama par son discours du Caire en juin 2009, à constater que lorsque les différentes cultures qui existent dans le monde se heurtent, cela n’aboutit qu’à des catastrophes ; alors que se dire « tiens, l’islam, c’est passionnant, il y a d’excellentes choses ; le christianisme est intéressant, l’athéisme laïque aussi, le bouddhisme… » Essayons de faire travailler ensemble les civilisations et les cultures… Ce serait pour la décennie qui s’ouvre une formidable tâche.
Cette harmonie des cultures apparaît encore comme une utopie. Il me paraît très important de surmonter la résistance aux utopies : il n’y a aucune raison que la vision que l’on a de l’avenir de l’espèce humaine, de notre avenir, ne soit pas enthousiasmante.
Mais ce qui nous fait défaut, et je le regrette beaucoup, ce sont des Pierre Mendès-France ou des de Gaulle… Des figures qui suscitent de l’enthousiasme.
A-t-on cessé de s’indigner parce qu’on manquait de penseurs de l’engagement, de grandes figures ?
Il serait injuste de dire qu’on manque de grandes figures – les grandes figures, on les découvre d’ailleurs quand elles sont mortes. Des penseurs, il y en a : Edgar Morin, Joseph Stiglitz, Amartya Sen, Mary Robinson…
Mais au niveau « statemanship » [qualité d’homme d’Etat, ndlr], nous n’avons plus ni Roosevelt, ni de Gaulle, ni Mendès… Où sont ceux qui, quand ils se lèvent, suscitent un mouvement de vraie confiance ? Cela aurait pu être le cas avec Barack Obama, qui a donné un titre formidable à son premier livre, « The Audacity of Hope » (« L’Audace de l’espérance »). Cela m’évoque deux vers de Guillaume Apollinaire, dans « Le Pont Mirabeau » :
« Comme la vie est lente. Et comme l’espérance est violente. »
Je crois donc que ce qu’il nous faudrait, ce sont des femmes et des hommes qui porteraient une vision enthousiasmante de ce que peut faire le XXIe siècle. Je pense à la Brésilienne Dilma Rousseff, ou même à Lula. Aujourd’hui, ces personnes peuvent ne plus être issues du Quartier latin ou de Londres, elles peuvent très bien surgir d’Inde, de Chine, du Brésil.
Vous rappelez que c’est la peur des possédants, épouvantés par la montée du bolchévisme, qui a permis la montée du nazisme. Diriez-vous qu’il existe aujourd’hui un danger du même type, lié au comportement des possédants ?
Je crois qu’il y a aujourd’hui une complicité grave entre les possédants de pouvoir et les possédants de finance. Les possédants de finance ont pris peur, tout à coup, il y a deux ans, avec la faillite de Lehman Brothers, qui annonçait la crise.
Leurs petits copains, les possédants de pouvoir, leur ont dit :
« Ne vous en faites pas, on vous renfloue afin de vous permettre de recommencer comme avant. »
Cette complicité-là est peut-être ce que je dénonce le plus. Si nous avions des gouvernements socialistes ou suffisamment ancrés à gauche, ils pourraient dire aux banquiers et aux financiers :
« Vous avez fait la preuve de votre incompétence, nous allons vous nationaliser et nous en occuper, avec l’intérêt public comme boussole, et non pas, comme vous, l’intérêt du profit. »
Pour le moment, ces gouvernements n’existent pas, mais ça peut changer : je suis très intéressé par ce que font les pays du Mercosur et plus généralement d’Amérique latine, où des gens comme Chavez, Morales, Lula et maintenant Rousseff, peuvent jouer un rôle. Cette complicité dramatique entre financiers et politiques ne continuera peut-être pas.
En attendant, l’Etat est prisonnier des forces financières et économiques. Quel est l’Etat qui se défend ? Aucun. Au contraire : ils appuient le pouvoir économique. Les quelques mesures qui ont été prises au moment de la crise bancaire ne sont que de toutes petites touches, alors qu’on aurait dû leur dire : « Vous êtes allés à la catastrophe, on vous rafle tout. » Personne ne l’a dit.
Nicolas Sarkozy n’est-il qu’un « président qui nous fait perdre du temps » comme l’a soutenu le journaliste Thomas Legrand, ou le sarkozysme traduit-il un phénomène plus profond dans l’histoire politique française ?
Sarkozy démontre d’abord, par sa façon d’opérer, exagérément personnelle, que notre Ve République est fondée sur une Constitution dangereuse, parce qu’elle donne tout le pouvoir à un président élu. Ce qui n’est pas très démocratique.
Sarkozy est un homme qui manque de culture, et qui a été malgré tout élu. Il fait forcément mal ce métier mais, du fait du fonctionnement de notre Constitution, cela n’aurait pas forcément mieux marché avec une autre personne, un Fillon ou une Lagarde, par exemple.
Je n’aime pas Sarkozy, je n’ai pas voté pour lui et je ne voterai jamais pour lui, mais le système français est plus à critiquer que l’homme. Suite à vos déclarations sur Israël et la Palestine, vous avez été rudement attaqué, par exemple par des gens comme Pierre-André Taguieff. Comment avez-vous vécu ces attaques très personnelles ?
Avec une profonde indifférence. Pas d’indignation. Mes petits camarades, nombreux car j’ai beaucoup plus d’amis que je ne pensais, ce sont indignés, eux.
Monsieur Taguieff ne me fait pas peur. C’est tellement absurde de dire, comme lui, que je suis du côté des « gardes chiourmes » quand on sait que j’ai été en déportation. Mais beaucoup de gens ont pris cela très au sérieux et six mille personnes ont signé un appel.
Avec cet appel, je suis allé voir le nouveau garde des Sceaux, Michel Mercier. Je lui ai dit que son prédécesseur avait fait une erreur en disant que l’on pouvait condamner des gens qui avaient simplement voulu le boycott des investissements en Israël. S’opposer à un gouvernement étranger ne mérite naturellement pas que l’on soit plongé dans des procédures judiciaires inutiles.
Je crois qu’il a compris et que personne ne sera poursuivi, même si, personnellement, être poursuivi me ferait plutôt plaisir : cela me donnerait l’occasion de rappeler pourquoi Israël est en train d’agir contre le droit international, viole les conventions de Genève, massacre des gens innocents. Il est grand temps qu’on ne continue pas à faire bénéficier ce gouvernement d’une impunité scandaleuse.
La culpabilité que porte l’Europe vis-à-vis du peuple juif pèse-t-elle encore aujourd’hui sur ce débat et empêche-t-elle l’indignation face aux politiques d’Israël ?
La mauvaise conscience de la Shoah joue certainement. Cette mauvaise conscience est évidemment très forte en Allemagne et assez forte en France où nous avons été « coupablement » obéissants aux ordres de Berlin. Mais les autres ? Les Scandinaves, les Britanniques… de quelle mauvaise conscience parle-t-on ?
Il y a une seconde raison à l’absence d’indignation : tout ce qui tourne autour de l’islam et du terrorisme. On laisse dire que, face à ces gens-là prétendument dangereux, il est heureux qu’Israël existe pour l’Occident. Aidons Israël à vivre mais dans le cadre du droit international, grâce auquel il a été créé !
Quel regard portez-vous sur la politique française vis-à-vis d’Israël ?
Je trouve que notre gouvernement est très lâche. Lorsqu’il était au Quai d’Orsay, Kouchner a dit, bien entendu, comme tout le monde, qu’il faudrait un Etat palestinien. Mais qu’a-t-on fait, concrètement ?
La France ne remet même pas en cause son accord commercial avec Israël. Ce serait au moins une façon de dire qu’on n’est pas d’accord la manière dont Israël se comporte.
Quand on envoie des flotilles pour ravitailler Gaza et que ces flotilles sont attaquées par la flotte israélienne, on ne dit rien. Quand le rapport Goldstone constate qu’on a commis des crimes de guerre à Gaza, on ne dit rien. On est au moins coupable d’un manque de réaction.
Vous prônez la non-violence mais dans un conflit comme celui-là, les Palestiniens peuvent-ils l’emporter en étant non-violents ?
Quand ils sont violents, et ils l’ont été de temps en temps, cela ne leur a pas rapporté grand chose. Quand ils sont non-violents, des gens du monde entier viennent pour les aider. La non-violence peut payer. Ce qu’obtiendra peut-être Mahmoud Abbas est en tous cas plus que ce qu’a obtenu jusqu’à présent le Hamas. La violence du faible au fort n’est pas une politique efficace. La non-violence du faible au fort l’est davantage.
Cela fait près d’une heure que nous parlons et vous n’avez pas prononcé une seule le fois le terme « désobéissance civile ». Or pour les désobéisseurs, vous êtes devenu un modèle…
Je fais la différence entre la légitimité et la légalité. J’ai témoigné en faveur de José Bové dans le procès des faucheurs d’OGM en disant que ce qu’il a fait était illégal mais pleinement légitime car il fallait nous protéger contre les OGM. Je pense que les désobéisseurs civils ont souvent raison d’accorder une légitimité fondamentale à leurs actions.
Mais je dis aussi qu’il faut faire attention : toute désobéissance citoyenne n’est pas forcément à soutenir. Nous vivons en démocratie et les lois de la démocratie doivent normalement être appliquées. C’est lorsque ces lois deviennent illégitimes que l’on peut résister.