dimanche 2 janvier 2011

Disgrâces

par K. Selim
Il n’y aura sans doute pas beaucoup de Palestiniens - hormis ceux de son clan et les services américains - pour s’apitoyer sur les malheurs actuels de Mohammad Dahlane. Cet homme, dont les intrigues sont allées bien au-delà des tribulations politiciennes inévitables, est aujourd’hui en disgrâce, Mahmoud Abbas l’ayant pris en grippe pour d’obscures raisons. Le président de l’Autorité palestinienne avait au cours des dernières années d’excellentes raisons de dégommer "l’homme des Américains". Les griefs ne manquaient pas à son encontre, la plus grave et la plus impardonnable étant son action à Ghaza, après la victoire du Hamas, qui a mené à une situation de guerre civile inter-palestinienne.
A ce moment essentiel, Mahmoud Abbas et le Fatah ont fait bloc derrière Dahlane. On ne l’a pas blâmé pour ses activités armées pour le moins illégales à Ghaza. On lui a tout juste reproché d’avoir laissé croire qu’il avait les moyens d’en découdre avec le Hamas et de le vaincre. Une attitude responsable d’une Autorité censée incarner l’unité des Palestiniens aurait commandé de mettre Dahlane hors jeu avant qu’il ne commette ses œuvres fratricides avec la bénédiction des Américains. Or, l’Autorité palestinienne n’a pas désapprouvé ses actions qui ont choqué et indigné les Palestiniens et ceux qui les soutiennent, elle les a approuvées. Les mouvements de libération - le Fatah en est-il toujours un ? - ont connu des querelles de personnes dures qui ont parfois débordé, suscitant des graves conflits dans les appareils... Mais dans le cas palestinien, l’action menée par ce politicien avec l’approbation de ceux qui lui reprochent aujourd’hui de faire dans la subversion a semé la division au sein du corps social palestinien, à l’intérieur même des familles. C’est la raison qui fait que cet homme d’intrigues peut être à son tour victime d’une intrigue cousue de fil blanc sans susciter la moindre compassion.
Mais au-delà de Dahlane, ces péripéties achèvent de ruiner l’image de l’Autorité palestinienne. Les Palestiniens hausseront les épaules avec dédain à la lecture des "charges" qui pèsent sur l’ancien chef des services de l’Autorité palestinienne : subversion, mise en doute de la compétence de Mahmoud Abbas... Il est manifestement plus grave de critiquer le "chef" du moment que de semer la division au sein du peuple palestinien et l’engager dans un conflit fratricide ! Quant à l’idée de lui reprocher son train de vie sur le mode "d’où tiens-tu cela ?", elle est si peu sincère que cela fait rire.
La corruption est bien la chose la mieux partagée au sein des responsables de l’Autorité et Dahlane, s’il n’est pas occis d’ici là, aurait beaucoup à raconter sur la prédation de ses accusateurs. C’est bien la généralisation de la corruption qui a entraîné le basculement électoral de la société palestinienne en faveur du Hamas. La victoire enregistrée par le mouvement islamiste - que la coalition des États occidentaux avec Israël a transformée en punition - n’est pas le fruit d’une adhésion majoritaire à l’islamisme politique. Elle a exprimé le rejet majoritaire d’un système de corruption où les acteurs de l’Autorité n’avaient qu’un seul souci : plaire aux Américains. Il n’est pas fortuit qu’un authentique militant comme Marwane Barghouti se retrouve en prison pendant qu’un Mohammad Dahlane prenait la stature d’un "homme puissant".
La disgrâce de Dahlane est un non-événement. Mahmoud Abbas - usé jusqu’à la corde - a décidé de le bannir dans une action préemptive. Les Américains qui ont mené Abbas en bateau durant des années peuvent en effet décider que Mohammad Dahlane est le plus "digne" de représenter les Palestiniens.
Le Quotidien d’Oran - Editorial