mardi 2 novembre 2010

Changement : les sionistes font preuve de tolérance

lundi 1er novembre 2010 - 07h:13
Gilad Atzmon
J’ai passé les 10 dernières années à parler de l’idéologie nationale et de la politique tribale juives.
(JPG) Pendant mon exploration de ce que représentent le sionisme et Israël, j’ai finalement compris que c’est en fait la gauche juive - et les marxistes juifs en particulier - qui nous fournissent un aperçu adéquat de l’identité juive contemporaine, la suprématie tribale, les politiques marginales et le tribalisme.
« La gauche juive » est essentiellement un oxymore. C’est une contradiction dans les termes parce que la « judéité » est une idéologie tribale, tandis que « la gauche » est traditionnellement censée aspirer à l’universalisme. Au premier abord, la « gauche juive » ne se distingue pas, du moins catégoriquement, d’Israël ou du sionisme : après tout, c’est une tentative de former encore un autre « club politique réservé aux seuls juifs ».
Mais en ce qui concerne le mouvement de solidarité palestinienne, son rôle est de plus en plus discuté, parce que d’une part, on peut voir l’ avantage politique qu’il y a à pouvoir signaler quelques « bons juifs » et d’insister sur le fait qu’il y a des juifs qui « s’opposent au sionisme en leur qualité de juifs ».
Néanmoins, en revanche, accepter la légitimité d’une telle affaire politique à orientation raciale équivaut en soi à accepter encore une autre forme ou expression du sionisme, parce que le sionisme prétend que les juifs sont avant tout juifs et qu’ils ont intérêt à fonctionner politiquement en tant que juifs.(1)
Dans une certaine mesure, il est donc clair que l’antisionisme juif est en soi encore une autre forme de sionisme.
La « dissidence juive » joue deux rôles principaux : d’abord elle s’efforce de représenter et de soutenir une image positive des juifs en général.(2) Deuxièmement, elle est là pour réduire au silence et brouiller toute tentative faite par un outsider pour appréhender la signification de l’identité juive et des politiques juives dans le contexte des machinations de l’État juif. Sa fonction est également d’empêcher les éléments de ce mouvement de pénétrer dans les détails du rôle crucial du lobby juif.
La gauche juive est donc là pour mettre en sourdine toute critique éventuelle des politiques juives dans les mouvements de gauche plus larges. Elle est là pour empêcher les goys de mettre le nez dans les affaires juives.
Il y a 10 ans, j’ai rencontré la brigade des dissidents kasher pour la première fois ; dès que j’ai commencé à critiquer Israël et le sionisme, ils se sont empressés autour de moi.
Pendant une brève période, je me suis très bien inséré dans leur discours : j’étais jeune et énergique. J’étais un musicien primé ainsi qu’un écrivain prometteur. À leurs yeux, j’étais une célébrité ou je leur donnais du moins une bonne raison de célébrer. Leurs commissaires en chef réservaient les meilleurs tables, les plus chères, aux concerts de mon ensemble Orient House. Les cinq militants de base sans le sou ont suivi le mouvement et venaient aux concerts Jazz Combo gratuits que je donnais en matinée au foyer du centre Barbican. Ils voulaient tous croire que je suivrais leur programme et que je deviendrais moi-même un commissaire. Ils se sont empressés aussi de me dire qui étaient les « mauvais », ceux qui devraient brûler en enfer. Israel Shahak, Paul Eisen, Israel Shamir et Otto Weininger n’étaient que quelques uns de ces nombreux méchants.
Comme on peut déjà le deviner, il ne m’a pas fallu longtemps pour me dire qu’il y avait plus de sagesse dans une seule phrase d’Israel Shahak, Paul Eisen, Israel Shamir et Otto Weininger que dans toute la production de la gauche juive mise ensemble. Je me suis empressé de dire clairement à mes nouveaux fans « rouges » que ça n’allait pas marcher. J’étais un ex- Israélien et je ne me considérais plus comme juif. Je n’avais rien en commun avec eux et je ne croyais pas dans leur programme. En fait, j’avais quitté Israël parce que je voulais m’éloigner aussi loin que possible de toute forme de politique tribale.
Patauger dans la soupe au poulet n’a jamais été mon truc.
Évidemment, je me suis fait au moins une demi-douzaine d’ennemis qui, sans tarder, ont fait campagne contre moi. Ils ont essayé de me réduire au silence ; ils ont essayé désespérément (et sans espoir) de briser ma carrière musicale ; ils ont fait pression sur des institutions politiques, les médias et les salles de concert. L’un d’eux a même essayé de me traîner en justice.
Toutefois, ils ont complètement échoué et cela à tous les niveaux. Plus ils mettaient de pression, plus les gens me lisaient. À un moment donné, mon entourage était convaincu que mes détracteurs dirigeaient en fait ma campagne de publicité. En outre, les tentatives constantes de me réduire au silence ne pouvaient que prouver ce que je disais. Ils étaient là pour détourner l’attention du rôle crucial des politiques juives et des politiques de l’identité juive.
Je me suis souvent demandé pourquoi ils ont échoué dans mon cas . Mais je suppose que le même Internet qui a réussi à mettre en échec la hasbara israélienne, a également causé la déroute de la gauche juive et de son hégémonie dans le mouvement. A plus grande échelle, il est absolument évident que le discours marxiste juif est bien marginal. Sa voix dans le mouvement dissident est en fait insignifiante.
Je suppose aussi que ma popularité comme musicien de jazz ne leur a pas facilité la vie. À l’époque où ces commissaires juifs me taxaient de racisme et d’antisémitisme, je faisais une tournée mondiale avec deux juifs ex-israéliens, un juif argentin, un gitan roumain et un joueur de oud palestinien. Leur campagne de dénigrement ne pouvait pas marcher, et elle n’a pas marché.
Mais il y a un détail intéressant : comparé au terrorisme rouge juif contemporain, le sionisme apparaît comme relativement tolérant. Ces derniers mois, j’ai été approché par tous les médias israéliens possibles. Au cours de l’été, Ouvda, principale émission télévisée israélienne d’investigation a demandé à plusieurs reprises de m’accompagner en tournée avec mon orchestre . Les journalistes voulaient lancer le débat et discuter de mes idées aux heures de grande écoute. Cette semaine, la deuxième chaîne israélienne m’a approché pour une émission de news. Encore une fois, on s’intéressait à mes opinions. Hier, j’en ai discuté pendant une heure avec Guy Elhanan à la radio israélienne ’Kol ha-shalom’ (la voix de la paix).
Pour des raisons extrêmement évidentes, je suis très prudent lorsque j’ai affaire aux médias israéliens. Je les choisis très soigneusement. Habituellement, j’ai tendance à décliner leurs invitations. Mais je reconnais aussi que pour quelqu’un qui se soucie des perspectives de paix, je dois maintenir la communication ouverte avec le public israélien ; c’est ainsi qu’il y a deux semaines, j’ai accepté une interview avec Yaron Frid du journal Haaretz. C’était ma première interview à être publiée en Israël depuis plus de 10 ans. Je dois avouer que j’ai eu un choc quand j’ai vu que l’on n’avait effacé ni censuré aucune de mes paroles. Haaretz m’a laissé dire tout ce que les « socialistes » kasher avaient constamment essayé de me faire taire.
En ce qui concerne ma « haine de moi » et ma judéité, le journal israélien Haaretz m’a laissé dire :
« Je ne suis pas un bon juif, parce que je ne veux pas être un juif, parce que les valeurs juives ne me branchent pas vraiment et tous ces trucs de « déverse ta colère sur les nations » ne m’impressionnent pas ».
On m’a aussi laissé contester toute la philosophie sioniste ; la réalité du pillage et l’historicisme illusoire : « Pourquoi est-ce que je vis sur des terres qui ne m’appartiennent pas, les terres pillées d’un autre peuple dont les propriétaires veulent rentrer chez eux et ne le peuvent pas ? Pourquoi est-ce que j’envoie mes enfants tuer et être tués après que j’ai été moi-même soldat ? Pourquoi est-ce que je crois toutes ces conneries sur « parce que c’est la terre de nos aïeux et notre patrimoine » alors que je ne suis même pas religieux ?
Et concernant le droit au retour des Palestiniens, j’ai dit :
« Les Israéliens peuvent mettre fin au conflit en un clin d’oeil : demain matin à son lever, Nétanyahou rend aux Palestiniens les terres qui leur appartiennent  ».
Ils m’ont laissé expliquer la distinction que je faisais entre Israël et la Palestine et comment je les définissais : « La Palestine est la terre et Israël est l’État. Il m’a fallu du temps pour me rendre compte qu’Israël n’a jamais été mon chez moi, que c’est uniquement une fantaisie saturée de sang et de sueur  ».
Pour ce qui est du peuple élu, de la dé-judéisation et de l’identité juive j’ai dit «  pour que Netanyahu et les Israéliens le fassent (acceptent le droit au retour des Palestiniens), ils doivent passer par la dé-judéisation et accepter le fait qu’ils sont comme tout le monde et qu’ils ne sont pas le peuple élu. Ainsi, dans mon analyse, ceci n’est pas une question politique, socio-politique ou socio-économique ; c’est une question fondamentale qui concerne l’identité juive ».
Au cours de l’interview, j’ai comparé la gauche juive au national-socialisme-... et Haaretz a laissé passer ça : « L’idée de juifs de gauche est fondamentalement malade. Cette gauche contient une contradiction interne absolue. Si vous êtes de gauche, il importe peu que vous soyez juif ou non ; donc, en principe, lorsque vous vous présentez comme juifs de gauche, vous acceptez l’idée du national-socialisme. Du nazisme. »
Comme on pouvait s’y attendre, Haaretz a contesté mon opposition à la politique juive : « Atzmon a été accusé par toutes les plateformes possibles de vitrioler les juifs. Pourtant, il maintient qu’il " hait tout le monde dans la même mesure". On l’a aussi accusé de haine de soi, mais cela il est le premier à l’admettre, et pour ce qui est d’ Otto Weininger, le philosophe autrichien juif qui s’est converti au christianisme et dont Hitler a dit " il y avait un bon juif en Allemagne et il s’est tué " il en est même fier."Otto et moi sommes de bons amis ". »
De toute évidence des Israéliens peuvent au moins aborder Otto Weininger et son idéologie. Pourtant, lorsque j’ai fait un exposé au sujet d’Otto Weininger dans une librairie marxiste de Londres (Bookmarks) il y a cinq ans, une synagogue de 14 juifs marxistes à essayé sans succès de boycotter l’événement et de faire pression sur le Socialist Workers Party.
Devinez quoi ; ils n’ont pas réussi.
Haaretz a contesté ma position sur l’holocauste ; et pourtant, ils ont publié ma réponse sans changer un iota, « Je me bats contre toutes les infâmes lois et persécutions à l’encontre de ceux qui nieraient prétendument l’holocauste, caractérisation que je n’accepte pas. Je crois que l’holocauste, comme tout épisode historique, doit pouvoir faire l’objet de recherches, être examiné et discuté et débattu.
Et Haaretz, évidemment un journal sioniste israélien, m’a laissé m’exprimer au sujet des coupables israéliens de massacres et de leur destinée. «  Il serait bon que les chasseurs de nazis traquent plutôt[Shaul] Mofaz et [Ehud] Barak,par exemple, au lieu de vieillards de 96 ans dont c’est à peine s’ils sont encore en vie. C’est pathétique  ».
Haaretz me laisse aussi dire aux Israéliens qu’ils sont tous à blâmer : « En Israël, 94 % du pays a soutenu l’opération Plomb durci. D’une part vous voulez vous comporter comme un État post-Lumières et vous me parlez d’individualisme, mais d’autre part vous vous entourez d’un mur et vous restez attachés à une identité tribale ».
Yaron Frid termine son article en disant « Israël a perdu Gilad » et « le score est maintenant 1-0 pour la Palestine ».
J’étais content de l’article. Mais également jaloux, parce qu’ici en Grande-Bretagne, nous sommes loin de pouvoir explorer ces questions.
Le message est direct et simple — Haaretz, journal sioniste m’a laissé discuter de tous ces parcours intellectuels que les « socialistes kasher » s’acharnent à bloquer. Une semaine avant la parution de l’article dans Haaretz, le journal israélien a parlé du héros du Mavi Marmara, Ken O’keefe . Là encore, Haaretz a présenté le sujet de façon assez équilibrée ; certainement plus impartiale que BBC panorama.
La morale est évidente : aussi répugnant et meurtrier que soit le sionisme, il est encore en avance par rapport à la gauche juive, simplement parce qu’il tient toujours, à certains égards du moins, un discours permanent et ouvert.
Il n’y a pas de doute que parmi les ennemis les plus prolifiques d’Israël et de l’identité juive vous trouverez des Israéliens et des ex- israéliens tels que Ilan Pappe, Gideon Levi, Amira Hass, Tali Fahima, Israel Shamir, Israel Shahak, Nurit Peled , Rami Elhanan, Guy Elhanan, Jonathan Shapira, Yeshayahu Leibowitz, Mordechai Vanunu, Uri Avneri, Shimon Tzabar, moi-même, et d’autres.
Nous ne sommes pas toujours d’accord entre nous, mais nous nous fichons la paix.
Le sionisme était une tentative de créer un juif nouveau : un être éthique, productif et authentique. Mais le sionisme a complètement échoué. Israël est un État criminel et les Israéliens sont collectivement complices des crimes constants commis contre l’humanité. Et pourtant, le sionisme a également réussi à ériger une école solide d’Israéliens animés de la haine de soi, éloquents et fiers. On enseigne aux Israéliens à être francs et critiques, contrairement à la gauche juive de la diaspora, qui pour une raison ou une autre opère comme la police de la pensée, la dissidence israélienne parle haut et fort. Les Israéliens sont formés à célébrer leurs « symptômes » - et cela est également valable dans le cas de la dissidence.
À l’encontre du marxisme juif qui fonctionne en grande partie comme une campagne de pub tribale, la dissidence israélienne participe d’une approche éthique : vous n’entendrez pas des militants israéliens s’écrier « pas en mon nom ». Les Israéliens mentionnés ci-dessus acceptent que chaque crime israélien est commis en leur nom. Ils reconnaissent aussi que le militantisme est le passage crucial de la culpabilité à la responsabilité. Il s’ensuit qu’il est loin d’être surprenant que lors de la mission « un bateau juif pour Gaza », Shapira, ancien pilote de l’armée de l’air israélienne ainsi que Elahanan ont tous deux parlé d’éthique et de questions humanitaires, tandis que le juif britannique Kuper, s’inquiétait apparemment davantage, à en juger par ses paroles, de corriger l’image du judaïsme mondial.
En ma qualité d’ex-Israélien, je crois que la seule chose que je peux faire pour la Palestine, l’Irak, l’Afghanistan, moi-même, ma famille, mes voisins et l’humanité est de rester ferme et de parler du fond du coeur en dépit de tout.
Je crois aussi que nous connaissons tous la vérité.
Il nous faut simplement être suffisamment courageux pour la dire.
Notes
1. Si bizarre que cela puisse paraître pour certains, les groupes « Juifs contre les sionistes » (JAZ) et « Juifs pour le BDS » (boycott, désinvestissement des marchandises israéliennes) récitent la mantra sioniste : ils opèrent principalement en tant que juifs. Tout comme il est impossible à des Palestiniens déracinés de s’établir en Israël et de devenir des citoyens dotés des mêmes droits civils, il leur est aussi impossible de se joindre à un groupe militant pour la Palestine, principalement juif.
2. Richard Kuper, qui est à l’origine du projet « Irene, le bateau juif pour Gaza » a été assez franc pour l’admettre : « notre objectif est de montrer que tous les juifs ne soutiennent pas les politiques israéliennes envers les Palestiniens » a-t-il dit. On sait maintenant que le bateau juif ne transportait pas grand chose en aide humanitaire pour les Gazaouis : sa principale mission, en ce qui concerne Kuper, semble d’avoir été de restaurer la réputation des juifs.
29 octobre 2010 - Cet article peut être consulté ici :
http://www.gilad.co.uk/writings/gil...
Traduction : Anne-Marie Goossens
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