dimanche 21 novembre 2010

La face publique des colons

David Ha’ivri, du Conseil de Shomron, est la face publique des colons de Cisjordanie. Régulièrement invité par la BBC et CNN, son comportement tranquille et son aisance verbale masquent une foi féroce dans l’ultra-sionisme.

"Shomron" ou "Samarie" désigne la région montagneuse qui, en gros, correspond à la partie nord de la Cisjordanie. Le Conseil Régional de Shomron gouverne les colonies et le Bureau de Liaison de Shomron dirige ses relations publiques avec la devise ’Ouvrons une fenêtre sur le Shomron’. David Ha’ivri (autrefois David Axelrod, du Queens, New York) est directeur du Bureau de Liaison et interagit avec les médias étrangers et les visiteurs étrangers des colonies. Il a été maire de Kfar Tapuach (colonie près de Naplouse), où il vit avec sa femme et ses 8 enfants.
David me raconte qu’il est venu s’installer à Kfar Tapuach pour vivre en Samarie, le cœur d’Israël, et pour vivre parmi des gens qui partagent ses idées.
Dans sa jeunesse, David s’est fortement impliqué dans Kach, parti de Meir Kahane, et était un ami proche du fils du rabbin Binyamin Ze’ev Kahane. Le parti Kach était un parti d’extrême-droite violemment anti-arabe qui siégeait à la Knesset. En 1988, le gouvernement l’a exclu de la Knesset parce que "raciste" et "antidémocratique". Plus tard, l’organisation a été complètement interdite après qu’un de ses membres, Baruch Goldstein, ait ouvert le feu sur des Palestiniens non armés qui priaient dans la mosquée d’Ibrahim, à Hébron, tuant 29 d’entre eux et en blessant plus de 125. Suite à cela, le parti a été ajouté à la liste de surveillance antiterroriste des USA, du Canada et d’Israël.
Après l’assassinat de leur fondateur, les membres du Kach ont refondé leur parti sous la direction de Binyamin Kahane, fils de Meir, sous le nouveau nom de Kahane Chai. Expulsés de Kiryat Arba, colonie de droite située à Hébron, ils se sont installés à Kfar Tapuach. C’est à l’époque où ils habitaient Tapuach que Binyamin Kahane et son épouse ont été assassinés par l’unité d’élite palestinienne Force 17. Ses six enfants sont actuellement élevés à Tapuach, et l’un d’eux a récemment été arrêté suite à l’incendie criminel d’une mosquée dans une ville arabe voisine de Kfar Tapuach. Les colons responsables ont laissé le message "Nous vous brûlerons tous" au-dessus de l’entrée. David a également fait six mois de prison pour profanation de mosquée.
Ces agissements des membres de son parti et des gens de sa colonie n’empêchent pas David de critiquer le terrorisme : pour assurer la paix, dit-il, "Tous les éléments terroristes doivent être éliminés". Il parle probablement des terroristes arabes, et pas juifs. À Gaza, les "terroristes" du Hamas doivent être "écrasés" nous dit-il.
Quand j’interroge David sur les frontières actuelles [d’Israël] et lui demande s’il pense qu’il faudrait annexer des terres supplémentaires à Israël, il fait très attention à ce qu’il dit : "Les frontières actuelles ne sont pas réelles ; elles ne sont que le résultat de deux guerres avec nos voisins hostiles", explique-t-il. Répondant à un discours qu’a récemment fait Obama à l’Assemblée Générale de l’ONU, il a écrit que ces frontières ne sont acceptées par aucun pays arabe ni par Israël.
Son appartenance à Shuva [NdT : =Retour] confirme son fanatisme pour le sionisme et l’expansion israélienne. Jusqu’à tout récemment, David a été le directeur général de Shuva, le "Mouvement ’Aliya Urgente’ Israélien". L’organisation a recours à des tactiques alarmistes pour inciter les Juifs d’Amérique à faire leur Aliya et immigrer en Israël. C’est sans vergogne qu’elle attise la peur : la page d’accueil de son site internet affiche un panneau "Avertissement" clignotant et dit "Juifs américains, un holocauste peut-il se produire aux États-Unis ?". Le lien de cette question mène à des histoires de groupes néonazis qui se développent et des récits sur la multiplication des croix gammées qui apparaissent en Amérique.
Pour David, ce qui fait en partie l’attrait de vivre en Israël est de vivre entre Juifs. "J’ai une profonde estime pour tous les Juifs", me dit-il, "particulièrement pour ceux qui sont en Israël et y vivent l’idéal sioniste. Nous sommes des gens incroyables ; qui d’autre a été chassé hors de son pays et l’a reconquis 2 000 ans plus tard."
Toutefois, le tableau qu’il peint des 12 tribus depuis longtemps perdues* qui se reforment dans leur terre d’origine ne colle pas tout à fait avec les réalités démographiques de Kraf Tapuach. Louée pour être l’une des colonies de Cisjordanie les plus ethniquement diverses, Kfar Tapauch a absorbé un grand nombre de Péruviens. Il se trouve cependant que ces Péruviens ne sont pas les anciens réfugiés d’Eretz Israël mais, au contraire, de nouveaux convertis utilisés pour renforcer le nombre de colons. D’origine américano-indienne, ces sud-américains étaient chrétiens et ont été convertis par des rabbins israéliens à la condition qu’ils émigrent immédiatement vers Israël. Dès leur arrivée en Israël, on les met directement dans des bus à destination de colonies comme Kfar Tapuach. Une fois dans ces colonies d’extrême-droite, ils sont vite totalement endoctrinés : "Je veux défendre le pays, et s’il n’y a pas d’autre choix, je tuerai des Arabes", explique Ben Haim, qui s’appelait Pedro Mendosa lorsqu’il habitait Lima.
L’héritage de Kahane est bien vivant.

*NdT :
Selon la bible, Jacob a eu 12 fils, à qui correspondent les 12 tribus d’Israël.
Quant aux "Dix tribus perdues", ce sont celles qui peuplaient le royaume d’Israël avant sa destruction en ‑722. Ces 10 tribus formaient la population du royaume de Samarie, qui a été déportée vers d’autres régions de l’empire assyrien en punition de ses péchés et a ensuite mystérieusement disparu.
Des populations étrangères ont été déplacées pour les remplacer sur leur territoire ; ces étrangers ont créé une religion mélangeant influences juive et païenne, donnant ainsi naissance aux Samaritains :
"Et Israël a été emmené captif loin de son pays en Assyrie, où il est resté jusqu’à ce jour. Le roi d’Assyrie fit venir des gens [...] et les établit dans les villes de Samarie à la place des enfants d’Israël. [...] Lorsqu’ils commencèrent à y habiter, ils ne craignaient pas l’Éternel […]. Les nations firent chacune leurs dieux dans les villes qu’elles habitaient, et les placèrent dans les maisons des hauts lieux bâties par les Samaritains."
Les Juifs orthodoxes, et à leur suite les Chrétiens, ont considéré que les Samaritains ne pouvaient prétendre être les descendants des tribus d’Israël. Celles-ci ne se survivent donc pas à travers ces derniers, mais ont mystérieusement disparu.
Tr. MC.
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