dimanche 7 novembre 2010

Gaza, portes ouvertes sur l’espoir

samedi 6 novembre 2010 - 07h:56
Vittorio Arrigoni
Comment faire pour supporter la vie à l’intérieur d’une prison ? Comment faire pour rendre cet endroit vivable ? Sûrement pas en peignant les barreaux comme ce fut le cas, jusqu’à ce jour, avec le faux relâchement par Israël du blocus imposé à la Bande de Gaza en y permettant l’accès de quelques produits des plus inutiles sur le marché.
Ce qui pourrait remonter le moral des prisonniers et détenus serait tout simplement une perspective d’évasion, de libération, un vague aperçu de ce monde au-delà des barreaux.
Plus de 145 véhicules chargés d’aide humanitaire ont ressuscité l’espoir à Gaza. Pour leur part, 380 militants originaires de plus de trente pays impliqués dans le convoi Viva Palestina sont retournés dans leurs pays respectifs, après avoir passé une nuit enfermés par les autorités égyptiennes dans une aile de l’aéroport du Caire. Chacun est rentré chez lui avec plein de souvenirs assez particuliers de ce voyage qui aura duré un mois.
Pour Richard, citoyen anglais, l’accueil à travers toutes les étapes du trajet reliant Londres à Istanbul était indescriptible. Il raconte comment, en Syrie, les marchands, informés de leur mission, n’ont pas voulu être payés. Puis, au cœur de Gaza, le merveilleux spectacle de ces milliers de Palestiniens en liesse, majoritairement des enfants, qui risquaient de se faire écraser juste pour nous toucher et nous saluer. Il raconte : « C’est seulement après deux jours que j’ai compris que derrière cet accueil chaleureux se cachait l’espoir de nous accompagner à notre départ, pour être ailleurs ; loin de cette prison ».
En effet, selon l’analyse de Graham, lui aussi citoyen anglais : « Quand la liberté se rétrécit dans un seul endroit du monde, c’est en quelque sorte la liberté du monde entier qui se rétrécit à son tour. C’est pourquoi, j’ai décidé de me joindre au convoi », et de conclure : « Il n’y a rien de plus encourageant et de plus réconfortant pour la Palestine que de voir des dizaines d’enfants venir jusqu’à Gaza, tout comme, dans un passé récent, des dizaines, voire des centaines de milliers d’enfants de leur âge, manifestaient contre la guerre en Iraq ».
Pour ces jeunes, il s’agit d’une arène des droits de l’homme car, à l’instar de la lutte de leurs frères palestiniens, ils savent qu’il faut lutter pour préserver leurs droits civils dans leur pays.
Me rapprochant du responsable du convoi italien et représentant de l’International Solidarity Movement Italy, j’ai été, le temps d’une confidence, témoin de divers souvenirs et émotions. Devant le port de Gaza, Alfredo Tradardi, épuisé mais content, m’a confié : « Notre long périple, à travers toutes les villes traversées ressemblait à des étapes d’un pèlerinage, religieux pour certains, laïc pour nous. Mais le moment le plus intense que nous avons vécu était en Turquie, dans le village de Kayseri devant la tombe de Furkan Doğan, le jeune activiste tué par un commando israélien lors de l’assaut perpétré contre la Mavi Marmara. » Tout comme Rachel Corrie, Furkan est un nom qui ne doit jamais être oublié et doit être à jamais gravé dans nos mémoires.
Après la Turquie, nous avons traversé la Syrie en passant par le camp de réfugiés de Latakia, symbole des souffrances des Palestiniens qui ne réclament que leur droit de retourner un jour sur leur terre. Nous avons eu droit à un accueil chaleureux et à une hospitalité de la part de ces familles palestiniennes, certes pauvres mais dignes.
Appareillant de la Syrie vers l’Egypte, et suivant exactement le même chemin emprunté par la Flottille de la Liberté, nous avons été traversés par de fortes émotions en nous commémorant les victimes tombées, ici-même, lors du massacre du mois de mai dernier.
Alfredo Tradardi, qui est sur le point d’animer en Italie une série de rencontres avec la célèbre écrivaine palestinienne Ghada Karmi (1), s’est rendu là où il y avait autrefois le parlement, réduit en décombres suite aux bombardements israéliens de janvier 2009. A ce sujet, Tradardi confie : « Il est important de relancer l’action de boycott à l’encontre d’Israël, caractérisé par le mouvement BDS - Boycott, Désinvestissement et Sanctions - et de rappeler que si cette stratégie a donné ses fruits dans le passé, en libérant Mandela et son peuple de l’oppression de l’apartheid, elle réussira, nous en sommes convaincus, à libérer aussi Gaza de son blocus ».
Ce message appelant au boycott a été exhibé par les Italiens le long des milliers de kilomètres parcourus, sous forme de décalcomanies imprimées sur les véhicules du convoi.
Parmi les militants entrés dans la Bande de Gaza : Samer. Ce libanais âgé de 52 ans était le plus bouleversé de tous. C’est seulement après avoir pris connaissance de son histoire que j’ai compris la raison d’une telle émotion.
En juillet 2006, le mois qui a marqué le début des bombardements aériens israéliens massifs sur le sud du Liban, Samer se trouvait au Canada et avait engagé les procédures d’obtention des visas pour être rejoint par sa femme et ses quatre enfants.
Quand la nouvelle des attaques est tombée, il a immédiatement cherché à contacter son village pour obtenir des nouvelles des proches, mais en vain. Quelques jours après, Samer avait reçu des nouvelles de son frère l’informant que sa maison n’a pas été épargnée des bombardements ayant enseveli son épouse et ses enfants sous les décombres ; les corps ont été retirés, sans vie.
Samer me raconte : « Je ne me suis jamais intéressé à la politique, ni à faire partie de la résistance. Je n’ai jamais eu le moindre rapport avec le Hezbollah. Je ne suis qu’un maçon émigré qui aspirait à réunir sa famille ».
La douleur de Samer est encore plus profonde lorsqu’il évoque Ahmed, son fils ainé, frais émoulu de l’université peu avant qu’il ne soit assassiné. Une semaine après son enterrement, son attestation de réussite a été délivrée. Ainsi, Samer confie, non sans avoir les larmes aux yeux : « Je veux qu’aucun individu, partout dans le monde, qu’il soit chrétien, hébreu ou même musulman, ne souffre comme j’ai souffert, ni goûte à la douleur qui a anéanti mon cœur. C’est pourquoi, venir à Gaza est à la fois un devoir et ma nouvelle raison d’être, où je peux accourir pour sécher les larmes et pour adoucir les blessures et souffrances des Palestiniens ».
L’élan de solidarité ne s’arrête pas avec le départ des militants. Aussitôt rentrés chez eux, le temps de se remettre de la fatigue de leur exploit, il sera grand temps pour bon nombre d’entre eux de commencer à organiser le convoi Viva Palestina 6. La sixième édition sera probablement programmée à la même période que celle de la nouvelle Flottille de la Liberté, s’inscrivant dans le cadre d’une nouvelle tentative pour briser le blocus sur Gaza. A cette occasion, une embarcation italienne sera également au rendez-vous.
Restons humains
De Gaza City pour PeaceReporter
(1) Ghada Karmi est née à Jérusalem en 1939. Médecin, elle a fait ses études à l’Université de Bristol. Elle a été membre de l’Institut royal des Affaires internationales où elle a mené un projet majeur pour la réconciliation israélo-palestinienne.
* Vittorio Arrigoni réside à Gaza ville. Journaliste freelance et militant pacifiste italien, membre de l’ISM (International Solidarity Movement), il écrit notamment pour le quotidien Il Manifesto. Il vit dans la bande de Gaza depuis 2008. Il est l’auteur de Rester humain à Gaza (Gaza. Restiamo umani), précieux témoignage relatant les journées d’horreur de l’opération « Plomb durci » vécues de manière directe aux côtés des ambulanciers du Croissant-Rouge palestinien.
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Vittorio Arrigoni
Son blog peut être consulté à :
http://guerrillaradio.iobloggo.com/
Vittorio Arrigoni vient de recevoir le prix spécial « Rachel Corrie » à Ovada [Piémont italien] pour son travail d’information à Gaza : http://www.testimonedipace.org,
http://it.peacereporter.net/articol...
Traduction de l’italien : Niha
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