samedi 4 septembre 2010

De Ramallah à Jéricho, le facteur reprend sa tournée

publié le vendredi 3 septembre 2010
Karim Lebhour

 
Le premier ministre palestinien a lancé la modernisation de la poste, symbole de souveraineté du futur État palestinien
Un coup de klaxon, quelques salamalecs, une signature et il repart. Chaque matin, la tournée d’Ahmed Khatib l’emmène dans les villages autour de Ramallah et jusqu’à Jéricho. Au volant de sa fourgonnette grise, le facteur palestinien parcourt les petites routes cabossées le long des paysages vallonnés et des « patelins à chèvres » de Cisjordanie. Facteur sous occupation, le fonctionnaire grisonnant doit composer avec le réseau de barrages militaires israéliens qui parsèment le territoire. Les soldats lui ont souvent fait ouvrir ses colis, mais depuis un an, l’atmosphère s’est détendue. « Les check-points sont moins nombreux. Pendant l’Intifada, dans certains villages, on ne pouvait passer qu’une seule fois par semaine. Nous n’avions pas assez de véhicules et les contrôles pouvaient durer des heures. Maintenant, je passe tous les jours », constate-t-il.
La poste palestinienne est en pleine renaissance. Déterminé à poser les fondations du futur État palestinien, le premier ministre Salam Fayyad a lancé une grande modernisation des services postaux. Les véhicules banalisés ont été remplacés par des fourgonnettes flambant neuves portant l’inscription « poste palestinienne » et un logo stylisé aux couleurs vertes, noires et rouges de la Palestine. L’Autorité palestinienne vient également d’obtenir de l’Union postale universelle, un service des Nations unies, de pouvoir utiliser son propre code postal. Là où le courrier devait porter la mention « via Israël », les expéditeurs peuvent désormais légalement se contenter d’écrire « Palestine ». « C’est un symbole, une façon d’unifier notre territoire, reconnaît Ahmed Khatib. Dans les faits, nous sommes toujours tenus de donner tout le courrier aux Israéliens. Si vous envoyez une lettre en France, elle devra obligatoirement passer par Israël. Ça peut prendre une semaine, dix jours ou un mois, comme bon leur semble. Évidemment, si on pouvait directement faire passer le courrier en Jordanie par exemple, les lettres partiraient en deux jours maximum. »
Sans contrôle sur leurs frontières, les Palestiniens doivent s’en remettre à la poste israélienne pour acheminer le courrier depuis l’étranger. Les paquets sont ouverts et fouillés avant d’être remis à la poste palestinienne. Le contrôle de la bureaucratie militaire s’étend jusque sur les timbres émis par l’Autorité palestinienne. « Chaque nouveau timbre doit être approuvé par les autorités israéliennes, explique Fathi Abou Shbak, le directeur des services postaux à Ramallah.
L’année dernière, un timbre faisant référence à Jérusalem comme capitale de la culture arabe a été refusé », précise-t-il. Les Israéliens n’ont pas non plus apprécié l’indication de la valeur d’un timbre en livre palestinienne, la monnaie de la Palestine sous mandat britannique, plutôt qu’en shekels.
De toute façon, les Palestiniens n’écrivent guère. Pas plus d’une lettre par habitant et par an. Les compagnies de téléphone et d’électricité préfèrent distribuer elles-mêmes leurs factures. « Cela va changer, assure Fathi Abou Shbak. Nous voulons inciter les gens à aller à la poste, pour régler leurs factures, payer leurs amendes ou faire leurs démarches administratives. » À l’heure où les pays industrialisés libéralisent les services postaux et réduisent au maximum les bureaux de poste, la Palestine, elle, réinvente le service public et le guichet unique. Les 80 bureaux de poste existants de Cisjordanie ont été dépoussiérés et rénovés. De nouvelles ouvertures sont prévues dans les petites localités. L’Autorité palestinienne a commencé à quadriller les villes avec des noms de rue et des numéros. Ahmed Khatib, le facteur, doit bientôt recevoir une chemise bleue et une cravate en guise d’uniforme. « La poste, c’est un service national et humain. C’est vrai, je ne gagne pas beaucoup d’argent, mais je rends service à mon peuple et à mon pays », dit-il, satisfait d’être au moins le représentant d’un symbole de souveraineté, dans un pays sans État.
publié par la Croix