dimanche 8 août 2010

« L’histoire de l’arbre déraciné par des militaires israéliens ressemble à une provocation »

publié le samedi 7 août 2010
entretien avec Richard Labévière.

 
Au Liban, la donne stratégique a largement changé depuis 2006
La tension, au Liban, tant au niveau interne, qu’à la frontière sud, semble monter d’un cran ces derniers jours. Que signifie l’accrochage, qui a eu lui mardi, en particulier lorsque c’est l’armée libanaise qui défend sa frontière ?
Il y a deux choses : l’accrochage entre l’armée libanaise et des soldats israéliens au niveau de la frontière sud du Liban, et l’acte d’accusation de Bellemare, qui est prévu pour octobre, et sur lequel Israël spécule beaucoup. Comme par hasard, des fuites inculperaient des membres du Hezbollah. C’est une véritable guerre des nerfs.
Depuis l’assassinat de Rafic Hariri, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a subi trois phases. La première, marquée par le premier procureur général du TSL, qui avait accusé la Syrie, sur la base d’écoutes et de témoignages fabriqués, avait aboutit à la détention de quatre généraux libanais. C’était un jugement politique. La deuxième étape, sous l’égide d’un autre magistrat, a été de se diriger vers la piste salafiste. Le camp de Aïn Al Hilwé a alors été visé, avec ses différentes factions salafistes financées par des Saoudiens notamment. Enfin, la troisième étape, le nouveau procureur du TSL, Daniel Bellemare, montre que le chef d’accusation à paraître en octobre se basera sur des faits absolument nouveaux et irréfutables, avec de possibles inculpations de proches, sinon de membres du Hezbollah. Dans le contexte iranien, faire pression sur le Hezbollah est certainement un moyen de faire pression sur l’Iran.
On assiste donc à une envolée de tension, mais il ne faut pas oublier que le Hezbollah est un parti gouvernemental, qui participe au gouvernement d’union nationale. Ensuite, Israël ne cache pas ses intentions. La dernière visite de Netanyahu à Washington, a montré le refus américain d’une frappe lourde sur le Liban avant l’échéance des élections de mi-mandat aux Etats-Unis, en novembre. Israël fait relayer, depuis un certain temps, des fuites sur l’inculpation de membres du Hezbollah dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri.
L’épisode de ce mardi montre qu’Israël a délibérément provoqué les forces libanaises du Sud, en arrachant un arbre qui se trouvait en territoire libanais. Cet événement a eu pour conséquence la riposte de l’armée libanaise. Et c’est là que le Hezbollah n’a pas joué le jeu, et a laissé l’armée libanaise riposter. Cet événement est à remettre dans le prisme du rendu du chef d’accusation du TSL, qui, selon moi, ne sera pas fait en octobre, mais après les élections américaines de novembre.
Depuis la publication par le quotidien allemand Spiegel, au printemps dernier, d’un article sur l’inculpation de membres du Hezbollah par le TSL, Israël ne cesse de faire monter la sauce sur ce dossier. Ensuite, Obama ne veut pas d’une attaque d’Israël sur le Liban. Nous sommes dans un contexte de spéculation, qui me fait penser à 2005, lorsque Bachar Al Assad prononçait un discours à l’université de Damas, en réfutant, point par point, l’accusation de l’assassinat de Rafic Hariri faite à la Syrie. Si l’accusation contre le Hezbollah est de la même nature que celle du premier procureur, c’est-à-dire basée sur de faux témoignages, et bien on aura à faire à une grande mascarade.
Il faut rappeler qu’il y a trois ans, au Liban, une dizaine de réseaux d’espionnage ont été démantelés grâce à une étroite collaboration entre les Forces de sécurité intérieure, le Hezbollah et l’armée. Israël a non seulement subi une défaite militaire, mais aussi politique.
Le rôle militaire du Hezbollah semble largement se normaliser. Y a-t-il au Sud-Liban une restructuration et une redisposition des forces militaires ?
La donne stratégique a largement changé depuis 2006. Le 27 février 2010, une réunion tripartite entre le Hezbollah, la Syrie, et l’Iran a débouché sur un accord, qui consiste à dire que si l’un des trois territoires, le Liban, la Syrie ou l’Iran, était attaqué par Israël, cela engagerait une riposte des trois, et ce de manière coordonnée. L’asymétrie est de moins en moins en faveur d’Israël.
Depuis 1980, Hafez Al Assad, puis cela s’est vu être confirmé maintes fois par son fils, a noué une alliance stable avec l’Iran. C’est un pacte réel qui permet à la Syrie de se désengager de sa dépendance envers l’URSS à l’époque. Le Hezbollah veut des négociations et un accord global qui concernent les fermes du Chabaa, des frontières définitives et le retour des Palestiniens. Tant que les Israéliens ne sont pas prêts à négocier, tant qu’un accord régional n’est pas trouvé, le Hezbollah affirme qu’il n’est pas question, malgré les pressions, de vider son stock d’armes. Les dernières guerres l’ont montré, le retrait de l’armée israélienne du Sud-Liban en 2000, ainsi que la guerre de 2006 ont eu pour vainqueur le Hezbollah.
Ce que sous-estiment les experts militaires israéliens et occidentaux, c’est la restructuration du potentiel militaire du Hezbollah. Les forces militaires du Hezbollah sont concentrées sur trois lignes au Sud-Liban, mais se sont considérablement restructurées et renforcées avec des missiles de longue portée, pouvant atteindre Haïfa et Tel-Aviv. Comme nous l’avons vu en 2006, ce potentiel militaire peut abattre un hélicoptère. On est face à un réel revirement de l’asymétrie qui, avec les appuis syrien et iranien, fait du Hezbollah une force militaire à part.
A qui profite l’ accrochage de mardi ?
L’histoire de l’arbre déraciné par des militaires israéliens ressemble à une provocation. Le Hezbollah n’a pas répondu, et c’est une preuve qu’il n’est pas rentré dans le jeu israélien, car c’est l’armée libanaise qui a répondu. Cela montre aussi quelque chose de plus concret sur le rôle de la Finul. Pendant cet accrochage, une dizaine de Merkava (chars israéliens) étaient en manœuvre le long de la frontière, ce qui est inhabituel et injustifié. Tout cela était destiné à faire réagir le Hezbollah. L’armée libanaise est en sous-équipement chronique. Emile Lahoud, ancien chef de l’armée et ancien président libanais n’avait cessé de plaider auprès de l’Europe et des Etats-Unis pour construire une armée à réel potentiel militaire. Cela n’a jamais été fait.
Dans ce contexte, le Hezbollah reste un point crucial de la stratégie militaire libanaise. Tout le jeu de la dissuasion réside dans le potentiel militaire du Hezbollah. En octobre 2009, Ashkénazy, le chef d’état-major israélien est venu en France pour rencontrer ses homologues français et américains. Israël a trois possibilités militaires : une incursion à Ghaza, et les plus sérieuses sont le bombardement des sites nucléaires iraniens et une attaque au sud du Liban contre le Hezbollah.
Par Kamel Boudjemil
Richard Labévière est Rédacteur en chef de la Revue Défense, (Institut des hautes études de défense nationale, Paris, France
publié par el Watan