samedi 10 juillet 2010

Silwan, colonie au cœur de Jérusalem-Est

publié le vendredi 9 juillet 2010
Delphine Matthieussant

 
Symbole d’une colonisation rampante, ce quartier arabe concentre toutes les tensions.
De loin, impossible de distinguer la maison de Shirli et Mickaël Aboulafia des autres demeures en pierre ocre, agglutinées en contrebas des murailles de la vieille ville de Jérusalem. Ce n’est qu’en s’approchant, par un dédale de ruelles crasseuses, que l’on remarque les caméras, la barrière de sécurité en fer forgé, et les barreaux sur les fenêtres qui laissent à peine entrer la lumière. Depuis une guérite surmontée du drapeau israélien, un gardien veille nuit et jour sur les huit familles juives installées au cœur de Silwan, un des quartiers les plus peuplés de Jérusalem-Est. Le vigile accompagne les visiteurs jusqu’au pas de la porte, dotée d’un épais blindage.
Sept des neuf enfants de la famille Aboulafia viennent de partir à l’école, située dans le quartier juif de la vieille ville, distant de quelques centaines de mètres. Une camionnette à vitres teintées, escortée d’un garde armé, les y conduit tous les jours. Le véhicule assure le ramassage scolaire pour la soixantaine de familles juives qui vivent à Silwan, parmi plus de 40 000 Palestiniens. Le quartier arabe appartient au « bassin sacré » : la zone comprenant la vieille ville et ses abords orientaux, notamment le mont des Oliviers et le quartier de Sheikh Jarrah, saturée de vestiges religieux juifs, chrétiens et musulmans.
AUTARCIE. Peuplée de dizaines de milliers de Palestiniens, elle est devenue une des zones de prédilection pour les organisations nationalistes juives, qui y ont installé des dizaines de colons avec la complicité des autorités municipales et du gouvernement israélien. Même si les relations israélo-américaines se sont réchauffées ces dernières semaines, la colonisation à Jérusalem-Est reste un point de contentieux majeur entre Nétanyahou et Obama. Depuis la crise diplomatique de mars avec Washington, provoquée par l’annonce de constructions israéliennes dans la partie orientale de la ville en pleine visite du vice-président américain, Joe Biden, l’Etat hébreu maintient un profil bas. De fait, un quasi-gel de la colonisation à Jérusalem-Est a été instauré. Benyamin Nétanyahou s’est aussi hâté de se distancier de l’annonce, il y a deux semaines, par la mairie de Jérusalem, d’un projet de parc archéologique dans le sud de Silwan prévoyant la destruction d’une vingtaine de maisons palestiniennes. Une stratégie destinée à prévenir l’ire américaine car, sur le fond, le Premier ministre israélien ne semble prêt à aucune concession. Lors de sa dernière visite aux Etats-Unis, il avait d’ailleurs déclaré que « Jérusalem n’est pas une colonie ». Une affirmation démentie par la réalité quotidienne à Silwan, où les familles juives vivent en totale autarcie.
Michaël, un pédopsychiatre de 40 ans, s’apprête à rejoindre sa clinique à Jérusalem-Ouest. Son épouse Shirli, 38 ans, jupe longue et cheveux recouverts d’un foulard - la tenue traditionnelle des femmes du courant sioniste religieux, favorable au Grand Israël - reste à la maison avec son dernier-né, Yehouda, et Emouna (« foi » en hébreu), âgée de 2 ans. Quand il ne fait pas trop chaud, Shirli emmène sa fillette sur le toit, aménagé en espace de jeux. C’est le seul « square » du quartier : Silwan est une des zones les plus pauvres de Jérusalem-Est. Dans les rues, couvertes de nids de poules, les bennes à ordures débordent.« La force spirituelle de cet endroit est impossible à décrire. Nous vivons dans la ville du roi David, avec le sentiment omniprésent d’un retour aux sources », explique Michaël, faisant allusion à la cité de David, capitale du royaume juif du monarque hébreu éponyme.
VESTIGES. Les colons justifient en effet leur présence à Silwan par celle - contestée par les scientifiques - de vestiges de la cité de David qu’ils veulent « repeupler ». « Je me suis habituée aux difficultés quotidiennes, même si ce serait beaucoup plus confortable pour nous de vivre ailleurs, dans un endroit calme, où on peut circuler librement. Les Juifs qui s’installent ici ne le font pas en tant qu’individus mais au nom du peuple juif, pour faire revivre la cité de David », confie Shirli. Ce retour aux sources bibliques est largement entretenu par l’organisation nationaliste religieuse Elad, qui mène une politique active d’achats de maisons, parfois par des moyens douteux, et d’expulsions de familles palestiniennes de Jérusalem-Est. Son but : judaïser les quartiers orientaux, à majorité palestinienne, et empêcher sa division dans le cadre d’un futur plan de paix. Elad est particulièrement actif à Silwan, où l’organisation gère un parc de plusieurs dizaines de bâtiments et aide les familles juives à s’installer.
Complice discret de cette politique, le gouvernement israélien a confié à Elad, dans les années 90, la gestion des fouilles à Silwan et du centre touristique installé sur le site, qui accueille chaque année des milliers de visiteurs. Les excavations, la plupart fermées au public et non supervisées par l’Etat, ont été accusées à plusieurs reprises de fragiliser les fondations des maisons palestiniennes.
Quant au contenu des visites guidées de la cité de David, il reflète l’idéologie d’Elad. « Un lieu où l’on se retrouve face à face avec les personnages et les lieux de la Bible », peut-on lire sur le site du centre touristique. « Les gens arrivent ici en pensant qu’il s’agit d’un site touristique géré par les autorités israéliennes. Ce qu’ils entendent en fait tout au long de la visite correspond en grande partie à la vision des colons », s’indigne Orly Noy, porte-parole d’Ir Amim, une ONG israélienne militant pour l’arrêt de la colonisation juive à Jérusalem. Selon Ir Amim, le but des organisations nationalistes de droite, qui bénéficient de nombreux relais au sein du gouvernement israélien, est clair : « Silwan est la clé de voûte d’un processus systématique visant à gagner le contrôle des territoires palestiniens entourant la vieille ville, et à couper ce quartier du tissu urbain de Jérusalem-Est. »