mercredi 7 juillet 2010

Israël, isolé, a le blues

publié le mardi 6 juillet 2010
Joel David

 
Paris, Londres, Berlin ou Rome,traditionnellement considérés comme amis de l’État juif [1], prennent leurs distances et exigent que la colonisation en Cisjordanie cesse
L’État hébreu jouit d’un avantage militaire qualitatif sans précédent depuis vingt ans par rapport à ses voisins arabes. C’est du moins ce qu’estime un récent rapport du Center For Strategic and International Studies de Washington (CSI). Les Israéliens ont pourtant le blues, car ils se sentent de plus en plus isolés sur la scène internationale.
C’est le résultat, selon les officiels à Jérusalem, d’« une autre guerre », celle des médias et des diplomates, qui menace non pas l’existence d’Israël mais sa légitimité. Boycottage universitaire, culturel, économique ou politique : le désert semble gagner du terrain de jour en jour, érodant la cohésion sociale et la force vitale du pays [2].
Le ministre travailliste du commerce et de l’industrie, Benyamin Ben Eliezer, tente un éclairage : « Le monde est fatigué de nos explications sur les raisons pour lesquelles nous occupons encore, depuis quarante-trois ans, les territoires palestiniens. » Dix-sept ans après les accords d’Oslo sur l’autonomie palestinienne, l’opinion israélienne a glissé à droite et se veut globalement sceptique sur des arrangements avec le président palestinien Mahmoud Abbas.
Avidgor Liberman écarté par les pays arabes
Le visage d’Israël, son chef de la diplomatie Avigdor Lieberman, est à cet égard très révélateur. Habitué des esclandres et partisan de la manière forte, il doit son ascension à une plate-forme électorale résolument hostile à la communauté des 1 300 000 Arabes israéliens. Résultat : il est persona non grata en Égypte et en Jordanie, seuls pays arabes à avoir signé un traité de paix avec Israël, respectivement en 1979 et 1994. Il a aussi été écarté des efforts en vue d’un règlement de paix avec les Palestiniens, auquel il déclare tout bonnement ne pas croire.
Plus grave : Paris, Londres, Berlin ou Rome, traditionnellement considérés comme amis de l’État juif, prennent leurs distances. Ils ont ainsi exigé que la colonisation en Cisjordanie occupée cesse « totalement ». Encore récemment, Silvio Berlusconi affirmait pourtant vouloir œuvrer à l’intégration d’Israël au sein de l’Union européenne. « Le premier ministre italien a compris qu’il passait pour un “canard boiteux” parmi ses collègues européens à cause de son soutien indéfectible à Israël », écrit le journal Maariv.
Après le sanglant assaut israélien, le 31 mai, contre un ferry turc qui voulait apporter une aide humanitaire à Gaza, ces mêmes pays ont exercé des pressions pour qu’Israël lève complètement le bouclage imposé depuis quatre ans au territoire palestinien contrôlé par le Hamas. « Tous craignent la détérioration de leurs relations avec le monde arabe », dit encore Maariv.
L’abordage du ferry, qui a fait neuf morts turcs parmi les passagers, a en outre marqué une nouvelle étape dans la dégradation des relations avec la Turquie. Jusqu’à l’offensive de Tsahal, « Plomb durci », contre la bande de Gaza il y a un an et demi, ce pays musulman était le principal allié stratégique régional d’Israël.
Un Etat replié sur lui-même
Une chanson jadis en vogue, Le monde entier est contre nous, a refait son apparition sur les ondes en Israël. « Heureusement, à l’ONU, nous pouvons toujours compter sur le soutien de la Micronésie », dit ironiquement un commentateur. Avigdor Lieberman a reconnu avoir été « déçu » par les dirigeants russes, qu’il a pourtant privilégiés en profitant du fait que sa langue maternelle est le russe. Israël compte aussi, parmi ses amis, divers pays de l’ex-Europe de l’Est, comme la Pologne ou la République tchèque.
Mais ils font pâle figure face aux « majorités automatiques » qui condamnent Israël aux Nations unies. Le rapport du juge sud-africain, Richard Goldstone, qui a accusé Israël de « crimes de guerre » et « peut-être de crimes contre l’humanité » à Gaza en 2008-2009, en est la preuve éclatante.
Toujours est-il que l’État juif se replie sur lui-même. Voilà qui explique par exemple pourquoi les autorités israéliennes ont récemment interdit au professeur américain Noam Chomsky, un intellectuel de renommée mondiale, de venir s’exprimer à l’université palestinienne de Bir-Zeit (Cisjordanie).
« Nous avons cessé de nous intéresser à ce que les autres ont à dire (…). Nous les préférons loin de notre vue, parce que nous les suspectons, les craignons, ou tout simplement parce qu’ils nous ennuient », a écrit un éditorialiste du Yédiot Aharonot, le principal quotidien israélien. « Pour Israël, le plus grave n’est pas que des musiciens comme Elvis Costello décident de nous boycotter, mais que notre ministre de la culture et des sports, Limor Livnat, mette ce fait à profit pour expliquer que les Israéliens peuvent se passer de lui et applaudir leurs propres artistes », ajoute-t-il.
Yossi Beilin, un des initiateurs des accords d’Oslo, estime quant à lui que la mesure « arbitraire » qui a frappé Chomsky est « symptomatique d’un régime qui use de moyens antidémocratiques, alors qu’Israël se glorifie d’être la seule démocratie au Proche-Orient ».
[1] rappelons encore une fois que ce terme, comme "Etat hébreu", est erroné et porteur d’un sens politique majeur : les dirigeants israéliens de tous bords, souvent relayés par les médias -sans forcément que ceux-ci aient conscience du message qu’ils relaient ainsi, tout comme quand ils disent Tsahal pour l’armée israélienne-, veulent convaincre de la légitimité de leur politique de dépossession et d’apartheid en Israël. Par ce terme ils nient la réalité et l’identité palestiniennes de plus de 20 % de la population qui vit dans le territoire israélien actuel. Sans parler des autres non-juifs...
[2] voir aussi Camille Le Tallec, toujours dans la Croix :

L’idée d’un boycottage d’Israël progresse lentement

Depuis le raid israélien sur la flottille humanitaire, les appels au boycottage d’Israël se sont multipliés. La stratégie n’est pas nouvelle mais semble gagner du terrain, chez les Palestiniens et dans le monde
« Face à l’indigence de la réaction des États, il faut que les citoyens prennent position », avait affirmé Michel Malacarnet, l’un des responsables du réseau de cinéma Utopia, début juin. Il défendait la déprogrammation du film à cinq heures de Paris de l’Israélien Leon Prudovsky, suite au raid meurtrier du 31 mai dernier. La polémique entre partisans du boycottage et défenseurs de la création artistique s’étant développée, Utopia s’est engagé à reprogrammer le film vers la mi-juillet.
Loin d’être isolée, cette initiative s’inscrit dans un mouvement plus large de boycottage culturel de l’État hébreu. En début d’année, le légendaire guitariste Carlos Santana a annulé ses concerts en Israël. Quelques semaines plus tard, le père du rap américain, Gil Scott-Heron, a fait de même. En mai, Elvis Costello, figure intellectuelle influente du rock des années 1980, a renoncé à présenter son dernier album en Israël, en invoquant dans un communiqué « l’intimidation et l’humiliation des civils palestiniens au nom de la sécurité nationale ».
L’isolement culturel se poursuit L’isolement culturel de l’État hébreu semble avoir pris une dimension nouvelle ces dernières semaines. Plusieurs grands noms du rock international, comme le groupe américain Pixies et les groupes britanniques Gorillaz et Klaxons, ont annulé début juin leurs concerts en Israël. En Europe, plusieurs manifestations culturelles ont déprogrammé des artistes israéliens. Début juin, le petit festival de Montrejeau, en Haute-Garonne, a décidé d’annuler la venue du Ballet Hora de Jérusalem, soutenu par le ministère israélien de l’éducation, avant de revenir sur sa décision.
L’idée d’un « boycottage culturel » avait déjà été évoquée après l’offensive militaire israélienne Plomb durci lancée à l’hiver 2008-2009 dans la bande de Gaza. Encouragée par la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), lancée en 2005 par la société civile palestinienne, elle s’inscrit dans une stratégie plus large consistant à exercer sur Israël des pressions économiques, académiques, culturelles et politiques.
Certains arguments présentent le boycottage international d’Israël comme le moyen ultime pour faire aboutir les droits du peuple palestinien. Monique Cerisier-ben Guiga, présidente du groupe d’information internationale France-Territoires palestiniens au Sénat, se prononce en faveur d’un boycottage « des entreprises qui sont implantées dans les colonies ou qui participent à la colonisation ».
Un boycottage économique qui est plus que jamais d’actualité. Le 22 mai dernier, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a appelé les Palestiniens à boycotter les produits fabriqués dans les 120 implantations juives de la Cisjordanie occupée. Si le mouvement n’a pour l’instant qu’un impact minime sur les industries israéliennes, celles-ci s’inquiètent d’autant plus que la tentation du boycottage n’est pas limitée aux Territoires palestiniens.
Le commerce touché La Deutsche Bank a été la dernière de plusieurs institutions financières et grands fonds de pension européens à annoncer son désinvestissement du capital du fabricant d’armes israélien Elbit Systems. Les deux grandes chaînes de supermarchés italiennes Coop et Nordiconad ont, quant à elles, annoncé en mai dernier un boycottage des produits israéliens de l’entreprise Carmel Agrexco, invoquant la crainte qu’ils soient issus des colonies de Cisjordanie.
Les produits israéliens peuvent en effet entrer dans l’Union européenne en bénéficiant d’un tarif douanier préférentiel, dans le cadre d’un accord d’association entré en vigueur en 2000, sauf s’il sont fabriqués dans les colonies, car l’Union européenne considère comme illégale l’occupation des Territoires palestiniens par l’État hébreu. Pour contourner cette réglementation, certaines entreprises implantées dans ces colonies vendent leurs produits avec des étiquettes affichant une autre provenance. Mais cette stratégie pousse les sociétés, déjà méfiantes, à redoubler de prudence.
Depuis l’affaire de la flottille, le boycottage économique semble s’être élargi. Le 24 juin, des dockers suédois ont bloqué des conteneurs en provenance d’Israël. Ils répondaient à l’appel de leur syndicat à un boycottage de toutes les marchandises israéliennes pendant une semaine.
publié par la Croix
(ajout de) note : C. Léostic, Afps