dimanche 6 juin 2010

L’intervention israélienne racontée par Henning Mankell

publié le samedi 5 juin 2010
Jens Littorin | Dagens Nyheter

 
L’auteur de romans policiers suédois était à bord d’un des bateaux qui se rendaient à Gaza. Libéré par les Israéliens, il est rentré chez lui. Il rapporte la façon dont l’assaut a été mené par Tsahal et ne cache pas sa colère à l’égard de Tel-Aviv.
L’écrivain suédois Henning Mankell a dénoncé la disproportion de l’assaut israélien contre la flottille pour Gaza, estimant que l’attaque était un signe d’affaiblissement d’Israël [1]. Henning Mankell se trouvait à bord d’un des bateaux où sont intervenus les commandos israéliens, ainsi que dix autres Suédois, arrêtés comme lui après l’assaut qui a fait au moins neuf morts. "Que se passera-t-il l’an prochain lorsque nous viendrons avec des centaines de bateaux ? Tireront-ils une bombe atomique ?", a déclaré l’auteur de romans policiers à succès, peu après avoir atterri le 1er juin en Suède. Deux autres militants suédois, le député Mehmet Kaplan et le médecin Victoria Strand, sont rentrés en Suède avec lui, après avoir choisi l’expulsion plutôt que des poursuites judiciaires en Israël.
Henning Mankell a été l’un des premiers Suédois relâchés par les Israéliens. Le Dagens Nyheter l’a rencontré chez lui, dans le centre-ville de Göteborg. Il est installé sur le canapé de son bureau, vêtu de noir et portant les chaussettes bleues données par la compagnie aérienne. Tous ses effets personnels ont en effet disparu lorsque les soldats israéliens ont pris d’assaut le navire à bord duquel il se trouvait pour tenter de rallier Gaza. L’écrivain raconte qu’après avoir passé 72 heures sans fermer l’œil, il a enfin pu dormir tout son saoul et qu’il se porte bien en dépit des circonstances. En revanche, il nourrit une grande colère à l’égard des événements, du gouvernement et de l’armée israélienne. "Jamais Israël n’a été autant condamnée dans le monde. L’État hébreu s’est enfermé dans une impasse. Le monde aujourd’hui n’est plus celui qu’il était la semaine dernière", assure-t-il.
"Ce qui me travaille beaucoup, c’est la stupidité israélienne. S’ils avaient voulu nous stopper sans perdre la face, ils n’avaient qu’à détruire les hélices ou les gouvernails et remorquer les navires vers le large. Mais s’engager consciemment dans une confrontation violente et tuer des gens, cela me dépasse", ajoute-t-il. Puis il raconte ce qui s’est passé à bord. "J’étais de quart de minuit à trois heures. C’était calme. Je suis allé me coucher, mais je n’ai pas eu le temps de m’endormir car quelqu’un est venu me dire qu’il se passait quelque chose. Nous avons vu des hélicoptères qui larguaient des hommes et nous avons entendu des rafales. Il était alors 4h30. À 4h35, ils ont pris notre navire à l’abordage. Nous étions réunis sur la passerelle, et ils nous ont dit de descendre à l’intérieur du bateau. Il y en a peut-être quelques-uns qui ont pris un peu leur temps et ils se sont immédiatement fait tirer dessus avec des pistolets type Taser. Un autre a reçu une balle en caoutchouc", explique-t-il. "Au bout d’un moment, un soldat cagoulé est venu nous dire qu’ils avaient découvert des armes. Et ce parfait crétin est arrivé avec mon rasoir et un cutter qu’il avait trouvé dans la cuisine. Puis il a déclaré qu’il devait nous emmener avec lui, car nous étions des ’terroristes’".
Lorsqu’on lui demande s’il a eu peur, Henning Mankell répond par la négative. "Je n’ai pas particulièrement peur pour ma personne. Je peux toujours m’appuyer sur l’expérience de la violence que j’ai rencontrée en Afrique. Néanmoins, il subsiste toujours la peur d’être maltraité, même si je savais qu’ils savaient qui j’étais. C’était clair", affirme-t-il. Dans l’attaque, le romancier a perdu, entre autres, son ordinateur, son téléphone portable, son portefeuille et ses cartes de crédit. Il n’hésite à traiter les militaires israéliens de voleurs. La veille du départ, il avait travaillé sur le manuscrit de la quatrième partie de la série télévisée sur Ingmar Bergman qu’il est en train d’écrire. Sur la suite à donner à cette affaire, l’écrivain a son idée. "Naturellement, il faut envisager sérieusement de traîner Israël devant la Cour pénale internationale, mais je crois qu’il est important de traiter une chose après l’autre", explique-t-il, et d’ajouter que : "Je vends beaucoup de livres en Israël et je vais voir si j’interdis la traduction de mes livres en hébreu. En même temps, je ne veux pas toucher les mauvaises personnes, donc il faut que j’y réfléchisse".
[1] voir aussi B. Langlois dans Politis :

israël dans l’impasse

C’est le jugement du grand romancier suédois Henning Mankell, qui était à bord d’un des bateaux de la flottille humanitaire pour Gaza.
La propagande israélienne, fort active et fort bien relayée partout dans le monde occidental comme on sait, aimerait beaucoup accréditer l’idée que les militants humanitaires embarqués dans la flottille empêchée si brutalement de rejoindre Gaza, sont pour la plupart des fanatiques musulmans, turcs ou arabes, liés au Hamas.
Elle est malheureusement pour elle sérieusement mise à mal par des témoignages comme celui de Henning Mankel, de retour en Suède après son expulsion d’Israël (à lire dans Courrier international), et qui était à bord d’un des bateaux arraisonnés. Difficile en effet de faire croire que le père du célèbre commissaire Kurt Wallander est un fou d’Allah antisémite !
Cet homme placide, âgé de 62 ans, dont l’œuvre est mondialement connue, est un antiraciste affirmé, et nombre des enquêtes de son héros récurrent tournent autour de crimes racistes commis par des nostalgiques du nazisme, ou fustigent l’apartheid sud-africain, que Mankell a bien connu pour vivre à mi-temps en Mozambique (un de ces romans, La Lionne blanche, se déroule en partie en Afrique du Sud)..
C’est donc en connaisseur du racisme d’Etat et du scandale des bantoustans qu’il témoigne son soutien au peuple palestinien, qui connaît une situation comparable à celle des noirs dans l’ancien régime de Prétoria.
Il pense que, « jamais aussi condamné dans le monde », Israël « s’est enfermé dans une impasse » et affirme que « le monde aujourd’hui n’est plus celui qu’il était la semaine dernière. »
L’enfermement des Palestiniens se retournerait, en somme, contre ses auteurs …