Israël, c'est 1967. La Cour de Justice de l'Union Européenne a rendu hier un très important arrêt : les produits issus des territoires occupés de Palestine ne peuvent être exportés que par les Palestiniens. Au départ, une affaire de droit douanier, et à l'arrivée, la frontière de 1967 comme limite de la souveraineté de l'Etat d'Israël consacrée par une cour internationale. C'est la politique, et non le droit, qui mène le monde, mais cette décision de justice est destinée à marquer.
Le processus de Barcelone
Tout part du processus de Barcelone, de 1995 : l'Union européenne décide de s'ouvrir aux pays du pourtour de la Méditerranée. Un objectif, faciliter les échanges, et un moyen, la levée des droits de douanes. Dans ce cadre ont été signé des accords avec l'Algérie, Chypre, l'Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, Malte, le Maroc, la Syrie, Tunisie, la Turquie et Autorité palestinienne. L'accord avec Israël est entré en vigueur le 1er juin 2000. Tout va bien.
Le débat est apparu non pas sur la validité juridique de l'accord, mais sur les pratiques qu'il induisait, par des exportations sous certificat israélien de produits issus des territoires occupés de Palestine, et donc palestiniens. Il s'en est suivi une série de mises au point de la part des instances européennes, qui par un dernier avis (n° 2005/C 20/02) exigent à compter du 1er février 2005 sur tous les certificats de circulation « le nom de la ville, du village ou de la zone industrielle où a eu lieu la production conférant le statut d'origine ». Impeccable ? Imparable ? Non, car le texte s'en remet à l'entreprise exportatrice et aux autorités israéliennes pour établir ce certificat... C'est tout problème de l'affaire Brita.
L'affaire Brita
Brita est une société allemande qui importe des gazéificateurs d'eau fabriqués par un fournisseur israélien, Soda-Club, société dont le site de production est implanté à Mishor Adumin, en Cisjordanie, à l'est de Jérusalem. Démarche banale : Brita demande aux autorités douanières allemandes de bénéficier de l'accord douanier, pour des marchandises originaires d'Israël, justificatifs à l'appui.
Mais la vigilance des douanes allemandes fait que ça s'est compliqué. De notoriété, Soda-Club est implanté dans les territoires occupés, et un service vigilant des douanes allemandes a contesté le certificat. En réponse, les autorités israéliennes ont affirmé que les marchandises étaient originaires d'une zone sous leur responsabilité, et n'ont rien dit sur le lieu de fabrication. Il fallait croire sur parole… Les autorités allemandes ont refusé le bénéfice du régime préférentiel.
Une question préjudicielle
Brita a contesté cette décision des douanes devant le Tribunal des finances de Hambourg, lequel a saisi la Cour de justice d'une question préjudicielle. C'est le moyen pour une juridiction étatique d'interroger la Cour européenne sur l'interprétation d'un point de droit européen.
En substance, la question était double : les marchandises fabriquées en territoires palestiniens occupés peuvent-elles bénéficier du régime préférentiel instauré par l'accord Europe-Israël ? Les certificats délivrés par Israël pour ces produits issus des territoires occupés sont-ils opposables aux pays européens ?
Ce qu'a dit la Cour
La Cour rappelle que l'Europe a signé un accord de coopération avec Israël et l'Autorité Palestinienne, dans les mêmes termes, et l'Autorité Palestinienne est reconnue comme interlocuteur pour la Cisjordanie et Gaza. Par principe, l'accord entre l'Europe et Israël ne peut imposer des obligations pour l'Autorité palestinienne. Les produits originaires de Cisjordanie ne relèvent pas du champ d'application territorial de l'accord CE-Israël. Ainsi, le droit des autorités palestiniennes de vérifier l'origine des marchandises produites en ses territoires ne peut être remis en cause, et Israël doit s'interdire ce qui serait une immixtion dans les affaires palestiniennes.
Dans ses conclusions, l'avocat général Yves Bot l'avait clairement exposé, et la Cour le confirme dans son arrêt : la frontière, c'est 1967. Pour la Cour, les produits « obtenus dans des localités qui sont placées sous administration israélienne depuis 1967 » ne bénéficient pas du traitement préférentiel défini dans cet accord. Ce qui concerne l'ensemble des territoires occupés.
La conclusion est nette : les services des douanes européens ne peuvent accorder le régime préférentiel aux marchandises originaires de Cisjordanie que si elles arrivent sous certificat d'origine palestinien. Et les certificats délivrés par autorités israéliennes selon laquelle des produits fabriqués en territoires occupés bénéficient du traitement préférentiel accordé aux marchandises israéliennes ne lient pas les autorités douanières de l'Union.
Il peut y avoir appel, mais à défaut, l'affaire reviendra devant le Tribunal des finances de Hambourg, qui appliquera la solution dégagée par la Cour européenne. Conclusion : Brita paiera les droits de douanes sur cette livraison, soit environ 17 000 €.
Mais ce sera là une conclusion très provisoire, car l'arrêt de ce 25 février 2010, rendu par une Cour ayant autorité sur les 27 pays de l'Union, et intéressant les douze Etats signataires d'accord de coopération, à la recherche de la libre concurrence, aura de fortes répercussions bien au-delà du cas de l'entreprise Brita. Deux pistes se dégagent.
Mesurer l'ampleur du phénomène
La première concerne l'ampleur du phénomène, car il est difficile de penser que cette importation par la société Brita a été la seule du genre en 10 ans, et que la vertu s'imposera naturellement de la lecture de cet arrêt. Les instances européennes doivent évaluer l'ampleur du phénomène mis en évidence par l'arrêt de la Cour, et faire le chiffrage du montant des droits de douanes qui se sont évaporés. Dans le même temps, l'Europe et les Etats ont l'obligation d'appliquer la décision de justice, et ils doivent se donner les moyens de vérifier effectivement ce qu'il en est de l'origine des produits, la délivrance du certificat israélien étant jugée insuffisante par l'arrêt du 25 février.
Appliquer le droit international général
Vient ensuite la question de l'analyse de cette situation non plus sous l'angle du droit économique européen, mais sous celui du droit international général. La Cour retient pour référence la frontière de 1967, et les territoires « sous administration israélienne », ce qui consiste à faire un constat sans aborder la qualification juridique. Or, juridiquement, le doute n'existe pas : il s'agit de territoires occupés, au sens du droit international général : règlement de la Haye de 1907 (Articles 46, 52 et 55) 4° convention de Genève de 1949 (Articles 47, 49, 52, 53 et 59), et avis de la Haute Cour de Justice de 2004.
Une remarque au passage. La Cour internationale de Justice a qualifié les territoires de Palestine de territoires occupés, au sens de l'article 42 du règlement de La Haye 1907, ainsi rédigé : « Un territoire est considéré comme occupé lorsqu'il se trouve placé de fait sous l'autorité de l'armée ennemie, et l'occupation ne s'étend qu'aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s'exercer ». Israël a contesté cette lecture du droit, mais en certifiant israéliens des produits de Palestine, elle l'accrédite.
Dès lors que le droit européen reconnait la licite la frontière de 1967, il admet qu'Israël prenne les mesures nécessaires pour sa sécurité. En revanche, Israël, comme tout autre Etat, ne peut transplanter son système juridique dans des territoires qui sont seulement « occupés ». Le droit européen ne peut dénier la validité des certificats d'origine établis par Israël, au motif que manque la compétence territoriale, et accepter le principe même de cette production industrielle et agricole, qui méconnait les bases du droit international, telles que rappelées par la Cour Internationale de justice en 2004.
Gilles Devers