mardi 16 mars 2010

Un document de l’OLP révèle une direction dépourvue de stratégie et de légitimité

Palestine - 15-03-2010
Par Ali Abunimah

Ali Abunimah est co-fondateur de The Electronic Intifada et auteur de One Country: A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse. (Un pays : une proposition audacieuse pour mettre fin à l’impasse du conflit israélo-palestinien) 
Lors du sommet de septembre dernier à New-York avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le leader du Fatah Mahmoud Abbas, le Président Barack Obama a publiquement renoncé à exiger qu’Israël mette un terme à la construction de colonies en Cisjordanie occupée comme préalable à la reprise des négociations sous médiation états-uniennes. Obama a ainsi signé, de façon humiliante, la débâcle de son action pour la paix lancée à grand renfort de publicité.















Mahmoud Abbas écoute le vice-président US Joe Biden lors d’une conférence de presse à Ramallah le mercredi 10 mars. (MaanImages)
Depuis, l’envoyé d’Obama, George Mitchell, fait la navette à la recherche d’une formule qui sauve la face et donne l’impression qu’il y a toujours un “processus de paix” qui aboutira, un jour, à une solution à Deux Etats.
Après des mois d’acharnement, les Etats-Unis ont réussi à matraquer et à cajoler Abbas et certains Etats arabes “modérés” pour qu’ils soutiennent des “pourparlers indirects” entre Israël et Abbas, alors même qu’Israël accélère son épuration ethnique de Jérusalem, sa colonisation de a Cisjordanie, son blocus de Gaza et ses rounds quotidiens de meurtres et d’enlèvements de Palestiniens dans tous les territoires occupés. Et même cette maigre réalisation a semblé remise en doute après que le gouvernement Netanyahu ait impudemment annoncé la construction de 1.600 logements exclusivement juifs supplémentaires pendant une visite en Israël du vice-président des Etats-Unis Joe Biden.
Il ne fait aucun doute que l’administration Obama s’obstinera dans la mascarade de négociations, quelles qu’elles soient. L’alternative serait de jouer réellement sur les subsides massifs américains qu’Israël reçoit pour mater sa conduite de voyou. Mais Obama, avant et après son entrée en fonction, n’a jamais montré la moindre envie de le faire (en dépit de l’inflation d’attentes naïves dans le monde arabe et à l’intérieur de l’industrie du processus de paix), et il ne le fera pas maintenant que son Parti Démocrate vulnérable va aux élections de mi-mandat sans pratiquement aucune réalisation à présenter aux électeurs.
Au milieu de cette lamentable situation, arrive un nouveau document de Saeb Erekat, proche conseiller d’Abbas et "négociateur en chef" pour l’Autorité palestinienne (AP) de Ramallah soutenue par les Etats-Unis.
Le document de plus de 7.000 mots, produit par le Département des négociations de l’Organisation de Libération de la Palestine (Negotiations Affairs Department of the Palestine Liberation Organization - NAD-PLO) est maladroitement intitulé « La situation politique à la lumière des développements avec l’administration des Etats-Unis et le gouvernement israélien et le coup d’Etat continu du Hamas : recommandations et options. » (le NAD-PLO est en fait administré par l’Institut Adam Smith, "le groupe de réflexion britannique de pointe adepte du marché libre" et entièrement financé par les gouvernements occidentaux).
Daté de décembre 2009, le dossier a fait l’objet d’articles dans plusieurs journaux israéliens à la mi-février, et il a été communiqué aux diplomates européens et autres comme un avertissement que les Palestiniens avaient d’autres options que la poursuite de négociations futiles. Ils pouvaient, par exemple, abandonner la solution à Deux Etats et appeler à un seul Etat, avertit-il. Cependant, une lecture attentive révèle une image différente.
Le document est d’une écriture très pauvre, répétitive et parfois à peine cohérente. Un passage est ainsi libellé : « Les documents d’accréditation ne peuvent pas être présentés à l’administration des Etats-Unis et aux autres sans le document palestinien. Ces questions portent un lien significatif avec la prise de contrôle par la force de la Bande de Gaza, qui ne peut pas être interprétée sauf par une compréhension précise des développements régionaux et comment présenter les documents d’accréditation. » Et il y a beaucoup d’autres passages du même charabia et de ce langage apparemment dénué de sens – tous ces gouvernements devraient se demander à quoi sert leur argent !
Néanmoins, une préoccupation clé se dégage : Erekat est très inquiet que les Etats-Unis fassent pression sur Abbas pour reprendre les négociations de zéro, au lieu de les reprendre au point où elles s’étaient terminées en décembre 2008 avec le précédent gouvernement israélien dirigé par Ehud Olmert. Le document fait cette demande précise pas moins de 15 fois, mettant en garde contre le fait que ne pas reprendre à ce point-là rendrait les Palestiniens vulnérables à la « vision de Netanyahu », ce qui signifierait que les Palestiniens « seraient obligés d’accepter les positions israéliennes, » en particulier son refus de négocier sur Jérusalem, « ainsi que reconnaître Israël comme un Etat juif. » Le document avertit que « le dossier des réfugiés sera exclu des négociations et que les Palestiniens devraient accepter qu’Israël garde le contrôle sur les passages frontaliers palestiniens et l’espace aérien. »
Seul un départ au point atteint en décembre 2008, semble-t-il, pourrait conjurer un tel désastre ! Mais en fait, le document expose en détail ce qui a soi-disant été agréé en décembre 2008 et il est clair que sur toutes les questions importantes, la direction d’Abbas s’est déjà plié aux demandes d’Israël, en principe et en pratique.
Abbas a offert (et Israël a refusé) que seuls 15.000 réfugiés par an reviennent sur les terres dont ils ont été ethniquement nettoyés dans ce qui est maintenant Israël, pendant une période de dix ans. Ceci annule de fait le droit au retour, et agit comme une reconnaissance de fait du « droit d’Israël à exister en tant qu’Etat juif » en concédant que son exclusion raciste des Palestiniens non-juifs l’emporte sur le droit humain des réfugiés à revenir chez eux.
De plus, le document d’Erekat ne fait aucune mention du « droit au retour » – une exigence consensuelle fondamentale des Palestiniens dans le pays et en diaspora – mais fait vaguement référence à une « solution juste et agréée en accord avec la Résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations Unis. » Il n’exige pas l’application de la résolution – qui stipule que tout réfugié qui le souhaite soit autorisé à revenir chez lui « le plus tôt possible. » Inutile de dire que ce qu’Israël considère « juste » et accepterait est à mille lieux des droits palestiniens et du droit international. En effet, Olmert avait offert le retour de 1.000 réfugiés par an pendant cinq ans – soit environ 1/10è de 1% de tous les réfugiés.
En ce qui concerne le territoire, le document révèle qu’Abbas a accepté les exigences israéliennes d’annexer de grands blocs de colonies à Jérusalem et dans toute la Cisjordanie. Une fois cette concession faite, toutes les rodomontades sur la « frontière de 1967 » comme ligne sacrée derrière laquelle Israël doit se retirer devient absurde.
Tout en ne concédant pas nommément un « Etat démilitarisé », Abbas a apparemment offert que l’Etat palestinien « souverain » « aurait le droit de posséder des armes nécessaires pour assumer pleinement ses responsabilités » mais seulement « en coopération avec [une] tierce partie. » Ce tiers n’est pas nommé, mais c’est presque certainement une référence aux Etats-Unis, qui, depuis l’Administration George W. Bush, arment et entraînent les milices de l’AP sous la supervision du Lieutenant-Général Keith Dayton, à la chasse aux Palestiniens qui résistent à l’occupation ; des fonctionnaires américains ont souvent affirmé que ces milices répressives seraient le noyau des forces armées du futur Etat palestinien.
Etant donné que l’objectif des négociations est sans doute d’atteindre un résultat qui se situe quelque part entre les positions de démarrage des deux parties, il est terrifiant de penser que ces positions sont les positions de départ d’Abbas et d’Erekat. Même si Israël devait les accepter, ce qu’il est clair qu’il ne fera pas dans tout processus sous négociation US, le résultat final serait un pseudo-Etat palestinien : un bantoustan. Ce ne serait pas un Etat qui satisfasse les droits palestiniens, mais qui existerait pour les leur nier, en particulier le droit au retour.
L’incohérence de cette approche est encore mieux illustrer par le fait que le document accuse l’Administration Obama d’avoir d’abord promis à Abbas que toute négociation repartirait du point de décembre, puis d’avoir abandonné sa promesse. Pourtant, en dépit de son apparente trahison sur cette question et du gel de la colonisation, le document Erekat propose encore que les Palestiniens « exhorte les US(a) à proposer les principes d’une résolution de toutes les questions centrales du statut final (frontières, colonies, Jérusalem, réfugiés, sécurité, eau, prisonniers… » !
Cette dépendance à des promesses américaines jamais tenues rappelle l’épisode ironique, dans la bande dessinée des Peanuts, où Charlie Brown court sans arrêt pour donner un coup de pied dans un ballon que Lucy maintient en place ; chaque fois, Lucy retire la balle à la dernière seconde et Charlie Brown tombe sur le dos. Et chaque fois, Charlie Brown croit les nouvelles promesses que la prochaine fois, elle laissera le ballon en place.
Le document Erekat donne un aperçu du processus de réflexion d’une « direction » qui a non seulement perdu toute légitimité, mais n’ose même pas parler des droits du peuple qu’elle est censée représenter. Elle tient même ce peuple et ses droits dans un mépris total.
Tout en appelant à « l’unité nationale », le document continue de propager la fausse histoire d’un « coup d’Etat » du Hamas à Gaza (en fait, la direction Abbas, par son chef de guerre Muhammad Dahlan, a tenté, dès que le Hamas a remporté les élections en 2006, de lancer une guerre civile pour renverser avec violence le groupe dans le cadre d’un projet conçu et exécuté en collaboration avec la Secrétaire d’Etat étatsunienne de l’époque, Condoleezza Rice, et approuvé par le président Bush – voir David Rose, "The Gaza Bombshell," Vanity Fair, avril 2008). (1)
Apparemment conscient du manque total de crédibilité dont jouissent encore l’Autorité palestinienne de Ramallah et le squelette de l’OLP sous contrôle d’Abbas, le document Erekat propose une sorte de campagne de « hasbara » (propagande) de l’AP parmi la diaspora palestinienne en Europe, aux Amériques et en Asie, « pour confirmer la représentation unifiée et légitime de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) où qu’elle soit. »
Menée par le « Département de l’OLP des Affaires des Expatriés » (comme si les Palestiniens étaient simplement des émigrés, et non des réfugiés), le « Ministre palestinien des Affaires étrangères » et le Fatah lui-même, cette stratégie a pour objectif de « protéger la question de la Palestine des tentatives visant à promouvoir la division, la séparation et la fragmentation et à trouver une alternative à l’OLP en manipulant la résistance et la religion. »
En d’autres termes, l’équipe d’Abbas veut exporter sa guerre civile à la diaspora. Et nous avons déjà vu le commencement de cette tentative avec le lancement du « Palestine Network » (Réseau Palestine) contrôlé par Abbas et destiné à diviser et à coopter des activistes palestiniens ("USPCN: 'Palestine Network' is a PA Attempt to Divide the Palestinian People and Surrender their Rights," 20 novembre 2009).
Bien entendu, le document Erekat ne propose ni une revitalisation et une démocratisation réelles de l’OLP, ni une implication réelle des Palestiniens, dont les voix ont été confisquées depuis si longtemps par la clique d’Oslo corrompue et répressive. Il ne reconnaît ni ne mentionne la campagne grandissante entreprise par la société civile de boycott, désinvestissement et sanctions (qui fait plus peur à Israël que les aboiements d’Erekat), et ne mentionne la solution à Un Etat qu’en passant, sans reconnaître le travail sérieux qui a été fait pour développer et diffuser cette idée.
Ce n’est pas surprenant. Reconnaître un de ces faits reviendrait à admettre que la fiction de négociations sous couvert des Etats-Unis est finie, que ceux qui y ont pris part et en ont tiré des bénéfices depuis si longtemps ont déjà fait tout le mal qu’ils pouvaient au peuple palestinien et à leurs droits, et qu’ils doivent quitter la scène.

Télécharger le rapport NAD-PLO (PDF, en anglais)

(1) Lire l’article de Julien Salingue du 11 mai 2008 : « Comment les Etats-Unis ont organisé une tentative de putsch contre le Hamas ».
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=13578&type=analyse&lesujet=Collabos