mercredi 31 mars 2010

La fuite en avant des régimes arabes

Les différends entre Arabes ne font que s’approfondir, signe d’une faiblesse chronique.
Le sommet de Syrte, s’il n’a quasiment abouti à rien, a témoigné d’un élargissement des désaccords interarabes mettant en exergue des antagonismes qui semblent être devenus endémiques plutôt que circonstanciels ou liés à des événements précis. Si les différends interarabes ne sont pas une nouveauté, ce qui est alarmant c’est qu’ils sont en train de s’approfondir jour après jour sans que des tentatives de les résorber ou de les atténuer ne figurent sur l’agenda des organisations « panarabes ». Ce que relève d’ailleurs le politologue Wahid Abdel-Méguid, qui déplore que sur l’agenda de la réunion de Syrte ne figurait aucune proposition pour trouver une solution à ces divergences. Si les différends ont un caractère historique, ce qui choque ce sont certaines approches de ces problèmes. Abdel-Ghaffar Chokr, politologue du Centre d’études arabes et africaines du Caire, relève le « régionalisme » comme mal principal. A titre d’exemple, le Maghreb, qui constitue une entité à part. Or, même au sein de cet espace, des différends graves règnent, à l’exemple de la question du Sahara occidental s’affrontent le Maroc et l’Algérie qui soutient le Polisario. Du côté du Machreq, on relève surtout le conflit endémique entre la Syrie et le Liban, Damas ne reconnaissant pas au départ l’indépendance du pays du Cèdre, le considérant « comme un espace vital syrien », comme le relève Chokr. Or, l’on connaît toutes les conséquences qui en résultèrent et qui sont aussi liées au statut identitaire du Liban basé sur des partages sunnites, chiites et maronites jouent sur des équilibres qui dérapent aussi, telle la guerre civile et le statut actuel très mouvementé. La Syrie est en proie aussi à un différend historique avec l’Iraq. Divergences au départ entre deux pouvoirs baasistes : l’un à Damas, Hafez Al-Assad, l’autre à Bagdad, Saddam Hussein. Un commandement régional miné par les différends et deux commandements nationaux se livrant une guerre idéologique qui a ruiné finalement l’idée baassiste, nationaliste arabe et socialiste. Même après l’invasion américaine de l’Iraq, Bagdad accuse Damas d’être à l’origine de nombreux attentats qui dévastent l’Iraq.

La péninsule arabique, elle, n’est pas somme toute l’eldorado dont on parle. De toute façon, ces pays sous le leadership saoudien forment un véritable espace hermétique. Le Royaume wahhabite donne la main aux six Emirats relativement plus libéraux. Dans la péninsule, il y a quand même une vraie gangrène, le Yémen blessé par des divergences tribales et même religieuses, entraînant l’Arabie saoudite dans son sillage.
L’Egypte, elle, semble avoir résorbé ses différends avec le Soudan, mais même cela se situe sous le signe du provisoire, avec un Soudan quasiment en état de guerre civile et risquant le démembrement. Quel espoir donc ? Lors du sommet de Syrte, les dirigeants arabes ont décidé de tenir un sommet extraordinaire avant la fin de l’année en Libye pour examiner un projet de transformation de la Ligue en Union arabe, proposé par le Yémen, ainsi qu’une proposition de Amr Moussa de créer un organisme régional incluant les pays arabes et leurs voisins turc et iranien, et l’ouverture au préalable d’un dialogue avec ces derniers. S’agit-il de propositions réalistes ? Somme toute, non. Voire pour Chokr, il s’agit d’une « fuite en avant », puisque les Arabes n’arrivent pas à agir dans le cadre d’un statut aussi simple que celui de la Ligue arabe. Avec le manque d’engagement des régimes arabes vis-à-vis de leur organisation, pourraient-ils franchir les pas si gigantesques exigés pour parvenir à une Union comparable à l’Union européenne ? Chokr souligne que les régimes arabes ne pourront guère ouvrir leurs frontières et céder une partie de leur souveraineté au profit d’une direction communautaire devant être élue. « L’élite au pouvoir dans chaque régime ne peut guère céder la moindre de ses prérogatives », ajoute-t-il.
Très peu réaliste, voire impossible donc l’organisation régionale devant inclure la Turquie et l’Iran. Tout d’abord, il y a une sorte de rejet arabe collectif de l’Iran, notamment de la part de l’Egypte et des pays du Golfe, qui sont finalement des alliés de l’Amérique et qui craignent surtout l’expansion chiite.
La fracture de l’édifice arabe est ainsi difficile à colmater. Et le nationalisme ne serait-il qu’un mythe mort avec la disparition de celui qui lui avait donné naissance, Gamal Abdel-Nasser.
Ahmed Loutfi