jeudi 25 février 2010

Où va la légitimité israélienne

publié le mercredi 24 février 2010
Michel Warschawski
 
L’isolement croissant d’Israël à l’intérieur de la communauté internationale est une réalité, même si souvent cette réalité est cachée.
L’Institut Reut est un groupe de réflexion israélien semi-officiel qui traite tant de la sécurité que des questions socio-économiques, et fournit des rapports au gouvernement. Certains de ces rapports touchent à des questions bien connues et presque évidentes dont tout lecteur de la presse est averti. C’est le cas de son dernier rapport sur « L’érosion de la légitimité d’Israël dans l’arène internationale ».
« Israël fait face actuellement à une offensive spectaculaire contre la légitimité même de son existence en tant qu’Etat juif et démocratique », indique le rapport. Les chercheurs de l’institut ont même réussi à identifier l’élément déclencheur de cette nouvelle vague de délégitimisation : « l’opération Plomb durci à Gaza ». Quelle perspicacité !
« Le but (de la campagne) est d’isoler Israël sur le plan international et, en fin de compte, d’en faire un Etat paria en diabolisant le pays, en promouvant une campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS), et en engageant un combat juridique contre l’Etat et ses citoyens ».
BDS constitue la préoccupation centrale du rapport de l’Institut Reut :
« Les tentatives de diabolisation d’Israël fournissent la plate-forme idéologique et rhétorique pour amener la politique de BDS sur le terrain de l’université, de l’économie, de la culture, du sport et de la sécurité.
« Bien que le mouvement BDS ait pénétré plusieurs universités, syndicats et groupes confessionnels, il n’a jusqu’à maintenant connu que des succès concrets limités. Toutefois, des actions ont parfaitement réussi à populariser et à mobiliser un activisme anti-Israël qui regroupe efficacement des antisionistes et des contestataires de la politique israélienne spécifique.
« Le risque qui pèse, c’est qu’une telle campagne instaurera une équivalence entre Israël et l’Afrique du Sud de l’époque de l’apartheid qui pénètrera le courant dominant de la conscience collective publique et politique. Compte tenu de la dépendance d’Israël pour un commerce énergique, ainsi que de ses engagements scientifiques, universitaires et technologiques avec d’autres pays, ce mouvement tendant à l’isolement du pays peut constituer une menace stratégique. »
Ce qui n’a pas échappé aux chercheurs de l’Institut Reut, c’est qu’en effet l’Afrique du Sud est une sorte de modèle, et que la campagne BDS s’est inspirée de façon irrévocable de la campagne de boycott contre l’apartheid d’Afrique du Sud. Oui, « faire, en fin de compte, (d’Israël) un Etat paria », jusqu’à ce qu’il agisse en conformité avec le droit international et remplisse totalement ses engagements envers les conventions internationales, telles les Conventions de Genève. Ce n’est pas implicite mais une stratégie ouverte et cohérente, touchant au domaine politique comme aux domaines économique, culturel, éducatif, sportif et commercial.
S’agit-il d’une « menace stratégique » comme semble le penser l’Institut Reut ? Pas encore : si la campagne BDS gagne progressivement le soutien de la société civile mondiale, elle n’influe pas sur la politique de la plupart des gouvernements, qui, à l’instar de l’Union européenne, préfèrent convaincre et « exercer des pressions tranquilles et amicales » plutôt que de pratiquer une stratégie de sanctions. Même l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne n’a pas été suspendu, malgré le fait que l’Etat d’Israël viole manifestement les termes mêmes de cet accord.
Le gouvernement israélien cependant ne devrait pas être trop sûr de lui : plusieurs Etats européens ont, officieusement, fait comprendre au mouvement de solidarité dans leurs pays respectifs que, bien qu’ils ne puissent participer à la campagne, ils n’étaient pas pour autant fâchés des initiatives de BDS. Même l’administration US n’est pas satisfaite de la politique de refus de l’actuel gouvernement israélien et de sa décision de passer outre la demande du Président Obama en poursuivant ses activités de colonisation. L’isolement croissant d’Israël à l’intérieur de la communauté internationale est une réalité, même si souvent cette réalité est cachée. L’impertinence agressive du ministre des Affaires étrangères, Lieberman, et de son adjoint, Danny Ayalon, envers la Turquie est symptomatique : depuis plusieurs décennies, la Turquie est un allié stratégique d’Israël et cette alliance est une pierre angulaire de la stratégie US au Proche-Orient ; cette relation stratégique n’est pas seulement menacée par cet aveuglement politique mais aussi, et cela suffirait, par la création de beaucoup de soucis pour Washington et le fort désir US de se débarrasser de l’actuel gouvernement.
La Maison-Blanche franchira-t-elle le pas entre une relation « personnelle » inamicale et une pression politique réelle ? Dans l’immédiat, sans doute que non. Mais à moyen terme, ce n’est pas impossible. Il y a vingt ans, le Premier ministre israélien était Yitzhak Shamir, qui s’était opposé aux exigences explicites des Etats-Unis pour le gel de la colonisation. En moins d’un an, et par des pressions financières, il s’était trouvé remplacé par Yitzhak Rabin qui a accepté d’ouvrir des négociations avec l’OLP. Les intérêts stratégiques US au Moyen-Orient (la guerre contre l’Iraq) sont plus forts que le lobby israélien à Washington. Cela pourrait bien se renouveler, et dans un avenir pas si lointain.
Publié par l’AIC le 19 février
traduction : JPP pour l’AFPS