jeudi 25 février 2010

Journalistes enlevés en Afghanistan : Sarkozy intimide la presse libre

Olivier Bonnet
Mercredi 24 Février 2010
Journalistes enlevés en Afghanistan : Sarkozy intimide la presse 
libre
"À l’heure actuelle, nous avons dépensé plus de dix millions d’euros pour s’occuper de cette affaire (sic). Je ne remets pas en cause la liberté de la presse. Mais j’appelle à la responsabilité des uns et des autres" : a déclaré le général Jean-Louis Georgelin durant le Grand RV Europe 1 - Le Parisien, à propos des deux journalistes de France 3 enlevés en Afghanistan. Heureusement qu’il précise ne pas remettre en cause la liberté de la presse, c’est gentil, merci mon général ! La Fédération française des agences de presse réagit à cette déclaration, tendant à discréditer une nouvelle fois des confrères pourtant unanimement reconnus comme des professionnels irréprochables, dans un communiqué publié par le groupe Actif et militant du Post et signé par son président, Arnaud Hamelin, lui-même correspondant de guerre durant vingt ans :
"Merci, mon général... mais ne vous arrêtez pas là ! ahDix millions d’euros ! Diable, quelle somme ! Merci mon général pour cette transparence dont l’armée, la grande muette, est peu coutumière. 10 millions d’euros, chiffre rond, qui a le mérite de frapper les esprits. Voila donc la somme que l’Etat français aurait déjà déboursé pour retrouver deux journalistes enlevés en Afghanistan, et dont jusqu’à présent il était officiellement recommandé de ne pas parler. Bel effort de franchise, mon général, à même de provoquer l’aigreur de nos compatriotes, dans ces temps de disette. Nous comprenons mieux maintenant d’où pourrait venir le déficit des finances publiques : des journalistes irresponsables n’y seraient pas pour rien !
Alors, mon général, n’hésitez pas, continuez, vous en avez dit trop ou trop peu. Vous avez parlé « argent », alors dites nous où sont passés nos millions ? Sont-ce des heures de vols des drones qui rechercheraient nos compatriotes, des liasses de billets données de la main à la main à des informateurs, des aides gracieuses accordées à des chefs de guerre qui nous assurent savoir où ils se trouvent ? Fichtre, dix millions d’euros, quelle activité pour retrouver deux Français disparus depuis 55 jours ! J’observe que pour la première fois, nous avons communication d’un coût financier en relation avec notre intervention en Afghanistan. Mais est-ce ce montant là qui nous intéresse le plus ?
Poursuivant notre éducation, vous pourriez nous dire pourquoi la France et ses soldats doivent participer en Afghanistan à une guerre dont les objectifs, après huit ans d’intervention étrangère, restent flous. En quoi les intérêts vitaux de la France, ou la sécurité individuelle de nos concitoyens, sont ils menacés en Afghanistan, pour que nous y maintenions un contingent de plus de 3500 hommes, qui risquent tous les jours leur vie, et coûtent à la France plus de 100 millions d’euros par an. 107 millions sur le rapport 2009. On notera la disproportion entre les 10 millions que vous avez annoncés pour retrouver depuis 55 jours nos deux compatriotes et les 107 millions qui représentent la totalité des dépenses de l’intervention française sur l’année 2009 en Afghanistan…
Par ailleurs, mon général, que mettez vous dans l’autre plateau de cette balance ? La vie de journalistes qui cherchent à comprendre ce que notre armée est allée faire en Afghanistan ? La curiosité de professionnels reconnus qui s’interrogent sur les raisons de notre engagement et sur les moyens employés pour y parvenir ? Il me semble que c’est bien le moins qu’ils puissent faire pour éclairer nos concitoyens. Non, nous ne sommes pas des inconscients, nous faisons notre métier, en quelque sorte notre devoir, comme le font en ce moment nos soldats en Afghanistan. Témoins de l’Histoire, et de notre temps, nous souhaiterions que des chefs politiques et militaires acceptent que s’ouvre dans notre pays un débat argumenté, alimenté par les faits et les images que des journalistes ont le courage d’aller chercher sur le terrain.Ces deux journalistes disparus depuis le 30 décembre sont l’élément incontournable d’un système qui est celui de l’information. Ce système est le garant du maintien de la démocratie, non pas en Afghanistan, où elle n’a pas de racines, mais dans notre pays, ici, en France, où elle a été inventée. Sa défense, par tous les moyens, à tous les prix, est un défi qu’il faut relever. Général Georgelin, ne nous trompons pas de guerre, il n’en existe aucune entre les militaires et les journalistes.
"

jftJean-François Téaldi, secrétaire général du SNJ-CGT de France Télévisions, proteste lui aussi sur Le Post : "Je suis plus qu’indigné. Je suis écoeuré. Ce n’est pas la première fois. Depuis le 17 janvier, les plus hautes autorités font une course aux inepties. Les déclarations de Georgelin, là, dépassent l’entendement. (...) Moi, je pense que ça ne peut pas être une initiative isolée, mais une politique décidée au plus haut niveau pour destabiliser France Télévisions. Ils veulent courcircuiter l’info pour en faire de la communication, de la propagande. Et surtout nous empêcher de montrer ce qu’il ne faut pas montrer." Au plus haut niveau ? Bingo ! Rappelons la "colère" exprimée par Nicolas Sarkozy début janvier : "C’est insupportable de voir qu’on fait courir des risques à des militaires pour aller les chercher dans une zone dangereuse où ils avaient l’interdiction de se rendre. Il faut que les Français sachent le coût de cette histoire" (cité par Rue89). Il a demandé à ce qu’on communique sur le coût, Georgelin communique sur le coût. Mais ce n’est pas France Télévisions que le président veut déstabiliser, comme le dit Téaldi qui défend sa boutique, c’est l’ensemble de la presse libre ! Comment peut-on faire correctement son métier d’informer en se contentant de se laisser embarquer avec les unités militaires ? C’est évidemment impossible. Mais Sarkozy n’en a cure : il veut juste des journalistes qui font où on leur dit de faire. Et cette lamentable tentative de dresser l’opinion publique contre les confrères participe d’une guerre contre cette information indépendante qui insupporte notre apprenti dictateur au petit pied.