vendredi 26 février 2010

Israël et ses voisins : le temps est venu d’aplanir le terrain de jeu

Israel - 25-02-2010
Par Michael Neumann

Michael Neumann enseigne la philosophie dans une université canadienne. Il est l’auteur des ouvrages : What's Left: Radical Politics and the Radical Psyche et The Case Against Israel. Il a également contribué à l’ouvrage The Politics of Anti-Semitism, publié par CounterPunch. Il est joignable par mél à l’adresse mneumann@live.com 
Ces dernières années, tant le sionisme que l’occupation (israélienne) ont été critiqués, sinon à mort, aussi totalement qu’il est possible. Les forts en gueule pro-israéliens en Amérique devraient ne réussir à tromper personne : la plupart des habitants de notre planète ont pris ces critiques à cœur. Même les alliés supposés indéfectibles d’Israël savent que l’occupation doit prendre fin ; il en va de même pour une majorité d’Israéliens. Même si certains des critiques les plus sermonneurs se plaisent à penser qu’il en va autrement, le gouvernement américain – j’entends par là sa branche exécutive – le sait fort bien, depuis un certain temps. Sa position officielle a toujours consisté à dire que l’occupation devait prendre fin. Quant à l’aide massive accordée à Israël, il convient de garder deux points à l’esprit. Primo, les Etats-Unis donnent au moins autant d’aide, y compris militaire, aux pays arabes et au Pakistan – et ils vendent des armes sophistiquées aux pays du Golfe. Deuxio : cette aide est en grande partie une tentative pathétique d’acheter Israël afin qu’il s’achemine vers quelque chose qui ressemblerait à un compromis raisonnable avec le monde arabe.
D’aucuns supposent pathétique cette tentative en raison de son insincérité. Mais c’est là une vision follement optimiste, qui présuppose un autodafé curieusement populaire au sein de la gauche : l’Amérique serait un colosse qui pourrait, d’un simple signal du doigt, amener à résipiscence les pygmées censés l’entourer. Quelle que soit la vérité du pouvoir américain, de manière générale, cela ne tient certainement pas la route, dans le cas d’Israël. La puissance de la totalité du monde occidental ne saurait suffire à amener ce pays à la raison. Israël n’est pas simplement une puissance nucléaire : Israël est une des principales puissances nucléaires mondiales. Pire : c’est la seule puissance militaire qui ait ouvertement caressé l’idée d’utiliser des armes nucléaires, même si cela devait s’avérer suicidaire pour elle. Les stratèges israéliens, sans doute assurés de l’approbation divine, appellent cela l’option Samson. Avec un peu d’ingénuité et de chance, Israël pourrait fort bien asséner une première frappe on ne peut plus crédible contre n’importe quelle puissance sur notre planète. Il ne le fera pas, bien entendu, mais ce « bien entendu » est fondé sur notre certitude que les autres puissances nucléaires de tout premier plan n’oseraient pas, elles non plus, recourir à la force militaire pour contraindre Israël à faire quoi que ce soit. Alors, question de « si la situation l’exige »… dans cas d’Israël, il n’y a pas de situation, et il n’y a pas non plus d’ « exige »…
Que se produirait-il, imaginons, si les Etats-Unis « tournaient le robinet de l’aide » ? Les détracteurs d’Israël – y compris certains Israéliens – sont de plus en plus insistants pour réclamer cela. Une fois de plus, ils sont follement optimistes. Nul doute qu’Israël trouve extrêmement confortable l’aide américaine. Mais les Américains, eux aussi, trouvent formidable l’aide israélienne ! L’establishment militaire israélien non seulement produit, mais développe beaucoup de matériels d’importance vitale pour les Etats-Unis, parmi lesquels des systèmes anti-missiles, des drones et des tactiques de guerre cybernétique. Et c’est la raison pour laquelle des sanctions économiques ne marcheront jamais. Israël a une surabondance de technologie, y compris de hardware militaire, que la plupart des pays du monde sont prêts à faire la queue pour les acheter, quasiment à n’importe quel prix. Non seulement Israël pourrait s’en sortir financièrement et économiquement, mais il le ferait en pratiquant un commerce que l’Occident ne pourrait que considérer catastrophique.
Cela ne signifie pas que le conflit israélo-palestinien soit insoluble. Cela signifie que toute solution « nous » échappe, à nous, les critiques, assurément, mais même aux dirigeants occidentaux. La solution, s’il en existe une, devra être bâtie sur un véritable équilibre des puissances au Moyen-Orient. Les perspectives d’un tel équilibre ne sont pas totalement sombres, mais elles impliquent des réalités que très peu de gens sont prêts à regarder en face. Au mieux (!), les perspectives d’une paix, d’une fin à la « terreur » israélo/palestinienne, est entre les mains de ces soi-disant terroristes, le Hezbollah, et de leurs sponsors, dont l’Iran. Le Hezbollah est peut-être juste assez puissant pour que les Israéliens voient, comme les Blancs d’Afrique du Sud, les paroles inscrites sur le mur, et règlent leur contentieux avec leur peuple conquis. Jusqu’à la prochaine guerre avec le Liban, tout le monde comprendra que les chances, pour cela, sont minces.
Mais il y a une possibilité, plus effrayante : elle pourrait être rendue moins effrayante, à la seule condition que l’Occident admette l’inévitable.
Le monde ‘arabe’, comme l’Iran, comprend certainement l’avantage écrasant et mortel que représentent, pour Israël, ses armes nucléaires. Mais ces pays n’ont pas la capacité d’affronter Israël, ni l’autorité politique qui leur permettrait d’amener d’autres à le faire à leur place. Qu’adviendrait-il si le moyen d’acquérir cette autorité politique leur devenait accessible ?
De fait, ce moyen existe déjà.
Aujourd’hui, le monde, et donc le monde ‘arabe’ sait que l’Occident ne fera jamais, au grand jamais, jamais rien contre Israël : la seule opportunité de le faire est déjà loin. Tôt ou tard, cela amènera les voisins d’Israël à recourir à leur seule alternative. Une alternative particulièrement économique, non seulement en dollars, mais aussi, très probablement, en vies humaines.
Les pays arabes et l’Iran seraient parfaitement fondés à dénoncer les accords de non-prolifération nucléaire (ces accords, quoi qu’il en soit, sont scandaleux de par leur effet net, qui est de protéger Israël contre toute concurrence militaire, tout en garantissant à celui-ci une carte blanche dans l’arène nucléaire). Le monde arabe, vraisemblablement avec la coopération d’autres pays, pourrait alors mener à bien un programme d’équipement et de recherches nucléaires, dans le but déclaré et explicite de garantir sa capacité nucléaire tant militaire que civile.
La simple annonce de ces projets – avec leurs effets sur le moral des Israéliens et sur la détermination occidentale – pourrait produire des résultats considérables, sans coût réel pour qui que ce soit. Dût Israël persister dans son obstination, le développement (du programme nucléaire arabo-iranien) se poursuivrait, augmentant la pression pour trouver – que dis-je, imposer – une solution au conflit israélo-palestinien. Bien sûr, l’on peut voir dans cette simple idée une preuve d’extrémisme échevelé. Mais ce qui est extrême, c’est de laisser Israël, pour commencer, développer, puis brandir des armes nucléaires, tout en liant les mains de ses victimes potentielles. Leur délier les mains consiste, tout simplement, à revenir à la politique de l’équilibre des forces qui, des siècles durant, a été considérée comme la meilleure garantie pour la paix.
Aujourd’hui, cela semble pure fantaisie. Mais le monde arabe, avec le soutien du monde musulman non-arabe, changera suffisamment pour placer cette stratégie dans le domaine du possible. Collectivement, ces pays ont une richesse et des capacités techniques indéniables. Ils sont de plus en plus conscients de la nécessité de laisser de côté toutes les vieilles animosités. Et l’on peut présumer qu’ils finiront bien, un jour, par se fatiguer d’être traités par le mépris.
Et, allez-vous me demander, quel est le rôle de l’Occident, dans cette histoire ? La seule chose intelligente qu’il puisse faire, c’est se tirer du pas : il est strictement infoutu d’en faire davantage. Mais il est évident qu’en lieu et place, nous allons assister à des crises de désespoir, à de l’hystérie, à de l’épilepsie morale. Peut-être la crise passera-t-elle, et peut-être l’Occident finira-t-il par se résoudre à faire ce qu’il a si bien su faire, depuis si longtemps : rien.