vendredi 29 janvier 2010

The Shoa [The show] must go on !

jeudi 28 janvier 2010 - 08h:15
Gilad Atzmon
La semaine dernière, un survivant de l’Holocauste, Thomas Blatt (82 ans), a témoigné au procès de John Demjanjuk.
Blatt a déclaré qu’il fait encore des cauchemars où il revoit la période qu’il a passée dans le camp de Sobibor : « J’y retourne, dans mes rêves : ceux-ci sont terriblement réels. Dans mes rêves, je suis encore là-bas. Cela m’obsède, continuellement : tel est le prix que j’ai payé, pour m’en être sorti... »
John Demjanjuk, Ukrainien d’origine (89 ans) set accusé par le Tribunal de Munich d’avoir joué le rôle d’un ‘complice indirect*’ dans la mort de 27 000 juifs, dans le camp de Sobibor, alors qu’il était lui-même un prisonnier de guerre de l’Allemagne. Car, voyez-vous, le système judiciaire allemand en est à poursuivre des « auxiliaires » du crime nazi. Ce qui est fort gênant, c’est le fait que cela n’arrange pas grand-chose, dans le procès en question. Demjanjuk nie tout lien avec le crime qu’on lui impute. De plus, le procureur allemand ne dispose pas de la moindre preuve d’une implication personnelle ou indirecte de Demjanjuk avec un quelconque crime, ou avec tout autre événement criminel lié à l’Holocauste.
M. Blatt ne se rappelle pas, lui non plus, de Demjanjuk. Il n’est pas non plus en mesure de dire si celui-ci est coupable, comme on l’en accuse, d’avoir contribué à gazer quelque 27 900 juifs. « Cela fait plus de soixante ans », a-t-il expliqué... « Je ne me souviens même pas du visage de mes parents. C’est au tribunal de trancher : était-il là-bas, ou non ? S’il y était à l’époque où j’y étais moi-même, alors je peux aisément imaginer qu’il a poussé des juifs, à la pointe de la baïonnette, dans les chambres à gaz... »
D’après le quotidien britannique The Mirror, M. Blatt a été convoqué à ce tribunal « pour donner une voix vivante à l’horreur, en lieu et place d’un récit historique poussiéreux ». Apparemment, dans l’état qu’a atteint l’état hyperréaliste de notre monde, les documents historiques et la factualité sont réduits à l’état de « poussière », tandis qu’un témoignage personnel, saturé de spéculation, d’associations d’idées et d’émotions, est considéré représenter une « voix vivante » persuasive. En fin de compte, Demjanjuk, un vieillard, est accusé, dans ce procès, d’avoir contribué à la mort de non moins de 27 900 personnes. Le tribunal allemand ferait mieux d’apporter quelque chose de concret, plutôt que de pures spéculations.
M. Blatt a affirmé mordicus que « les Ukrainiens ‘comme Demjanjuk’ étaient les pires de tous. Nous avions plus peur d’eux que des Allemands ». Il y avait « cent-vingt gardes ukrainiens, et seulement dix-sept hommes de la S.S., à un moment donné... », a indiqué ce Blatt au tribunal allemand. Blatt affectionne manifestement les généralisations. Je me demande si un garçon palestinien suggérant que les juifs ‘comme Blatt’ qui ont assassiné sa famille l’année dernière en bombardant un abri de l’Onu à Gaza, serait, lui aussi, accueilli à bras ouverts au tribunal de Munich. Pour une raison étrange, dans le contexte du discours libéral occidental, dès lors qu’il s’agit de juifs, la généralisation ne pose aucun problème, pas plus que le recours à des catégorisations raciales et le fait de suggérer qu’il puisse y avoir une culpabilité par association. Et, d’une manière ou d’une autre, le reste de l’humanité se voit enjointe d’éviter ce même discours.
Toutefois, ces accusations grossières, de but en blanc, portées contre les Ukrainiens, en tant que personnes qui, apparemment, sont prises pour des preuves à conviction au tribunal de Munich, peuvent en réalité mettre en évidence la motivation sinistre qui préside au procès en cours. Comme les autres, les Allemands semblent montrer certains signes patents de « fatigue de la Shoah ». Ils semblent préférer décliner leur responsabilité dans le passé nazi, et laisser les prisonniers de guerre ukrainiens tout prendre en pleine gueule. De la même manière, nous pouvons nous attendre à ce qu’à un certain stade, l’Amérique et la Grande-Bretagne ne décident de recourir à la même tactique, en accusant leurs collaborateurs dans le monde arabe de la mort et des carnages qu’elles-mêmes ont laissés derrière elles. Israël, qui est en train d’être confronté à son dossier judiciaire de plus en plus fourni de crimes contre l’humanité, pourrait, lui aussi, mettre l’astuce allemande en pratique. Il pourrait aussi être tenté de sélectionner des Palestiniens au hasard et de les accuser d’avoir joué un rôle objectif dans les crimes perpétrés contre le peuple palestinien, non ?
Mais il y a quelque chose d’encore plus intéressant, dans ce procès honteux en cours. Alors que Demjanjuk nie avoir joué un quelconque rôle, fut-ce objectif, dans les crimes nazis, M. Blatt reconnaît volontiers avoir travaillé pour la S.S. et apporté sa contribution à ce qu’il qualifie lui-même de machine de mort : « Un autre travail (que je devais faire) consistait à couper les cheveux des femmes qui allaient être tuées », explique-t-il. « Celles qui venaient de pays comme la Hollande croyaient au mensonge », affirme-t-il. « Les femmes me disaient : « S’il vous plaît : ne me coupez pas les cheveux trop court ! » Mais les juifs polonais, eux, ils savaient déjà. Ils avaient entendu énormément d’histoires terribles, ils avaient senti la fumée des brasiers, la nuit ». Blatt poursuit : « Ils disaient : « Comment peux-tu faire ça ? Comment peux-tu travailler pour la S.S. ? » « Si je le faisais, c’était pour survivre ».
L’on peut se demander si la volonté de survie de Blatt est plus cachère que le désir d’un prisonnier ukrainien de rentrer chez lui. Autrement dit, étant donné l’aveu fait par Blatt de sa collaboration à la S.S., pourquoi n’a-t-il pas été accusé, par le même tribunal allemand, d’avoir été un « supplétif » du crime nazi ?
Une réponse possible, c’est que Blatt est juif, alors que Demjanjuk, lui, est un Goy. Aussi terrible cela soit-il, aux yeux du tribunal de Munich, la volonté de ‘survivre’ d’un juif est sans doute supérieure au désir d’un Ukrainien de survivre jusqu’à la fin de la guerre en un seul morceau. Si tel est effectivement le cas, le tribunal allemand ne fonctionne ni moralement ni de manière universelle. Par conséquent, il serait raisonnable d’avancer que le tribunal de Munich est incapable de tirer les leçons nécessaires et élémentaires du passé nazi de l’Allemagne.
La justice allemande, d’une manière ou d’une autre, persiste à différencier les gens en fonction de leur race et de leur ethnicité.
[* Un ‘complice indirect’ est une personne qui apporte assistance à la perpétration d’un crime, mais qui n’y participe pas, en réalité, en tant que complice principal].
(JPG)
* Gilad Atzmon est écrivain et musicien de jazz, il vit à Londres. Son dernier CD : In Loving Memory of America.
25 janvier 2010 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.gilad.co.uk/writings/the...
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
 http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8071