vendredi 8 janvier 2010

« Les colonies israéliennes tuent la solution à deux Etats »

publié le jeudi 7 janvier 2010
Entretien avec Ghassan Khatib
En l’absence de toute avancée vers la paix entre Israéliens et Palestiniens, les dirigeants de l’Autorité palestinienne adoptent une démarche légitime afin que soient exercées des pressions sur Israël pour arriver à le faire revenir à la table de négociation.

Ghassan Khatib, personnalité influente, ancien ministre de l’Autorité palestinienne (AP) et co-éditeur du groupe Bitterlemons de publications Internet, a déclaré en s’entretenant avec Jerrold Kessel et Pierre Klochendler que l’AP recherche un soutien international pour obtenir qu’Israël se conforme au gel de toute implantation coloniale supplémentaire, comme convenu dans la Feuille de route.

IPS : La solution à deux Etats est-elle toujours vivante ou a-t-elle été éliminée ?

Ghassan Khatib : Non, elle vit toujours mais l’expansion des colonies israéliennes est en train de la tuer. En l’état actuel, elle reste encore une possibilité. Mais si elle ne trouve pas bientôt application, et si l’expansion des colonies se poursuit, il se pourrait qu’elle devienne pratiquement impossible à mettre en œuvre.

IPS : Dans ce cas, cela ne vaut-il pas la peine d’essayer de prendre le Premier ministre Netanyahu à son propre piège du gel des colonies ?

GK : Il y a deux problèmes : d’abord, il n’a pas dit « geler » ; ensuite, il a extrêmement nuancé sa décision politique quant à la colonisation, ce qui fait qu’en réalité il n’y a pas de gel. Il fait une exception pour Jérusalem qui, selon l’analyse israélienne, équivaut à 22% de la Cisjordanie. Il exclue aussi les immeubles pour lesquels un permis de construire a déjà été délivré, et également les établissements publics. Tout cela fait que rien n’a changé.

Nous avons déjà tenté cette démarche – c’est d’ailleurs là-dessus que le Président Bush avait insisté à la veille de la conférence de paix d’Annapolis, il y a deux ans. Il nous avait dit que nous ne devions pas exiger l’arrêt de la colonisation comme condition préalable, mais d’en traiter avec la question des colonies lors des négociations. Si la colonisation s’arrête, disait-il, c’est très bien ; sinon, vous, les Palestiniens, serez dans une position beaucoup plus forte pour exiger l’arrêt des constructions dans les colonies par la suite. Mais ça n’a pas marché. Le résultat fut simplement qu’il y a eu d’autres expansions, et que la pression internationale pour l’arrêt de la colonisation s’est relâchée.

IPS : Mais étiez-vous favorables à la relance des discussions, cela n’aurait-il pas accru la pression sur Israël ?

GK : Nous avons deux objectifs : le premier, demander à la communauté internationale de nous aider à aller à des discussions bilatérales, tout en tenant compte des leçons du passé. Les négociations doivent avoir des attributions claires. Cela n’est pas imposer une condition préalable. Second objectif : ces négociations doivent avoir comme base la Feuille de route qui a été acceptée par toutes les parties. La Feuille de route contient des obligations pour toutes les parties, notamment le gel de la colonisation, et je ne vois pas pourquoi Israël ne remplirait pas les siennes.

IPS : Etes-vous déçus par la démarche du Président US Barack Obama ?

GK : Nous restons confiants, toujours optimistes, Obama changera les choses. Bien que cela prenne plus de temps qu’on l’avait prévu. Pourtant, son approche est complètement différente de celle de son prédécesseur. C’est ce que nous apprécions le plus.

IPS : Avec le manque d’avancée, est-il inconcevable que les Etats-Unis puissent prendre leurs distances avec l’ensemble du processus ? Est-ce une préoccupation sérieuse pour les Palestiniens ?

GK : Je ne suis pas inquiet, ils ne peuvent pas faire cela. Il y a une très forte interaction entre le conflit israélo-palestinien et la situation dans la région tout entière. La stabilité au Moyen-Orient est vitale pour tout le monde. Cette question revêt un intérêt fondamental pour les Etats-Unis. Obama est motivé pour agir.

IPS : En l’absence de progrès, toutefois, l’option pour les Palestiniens ne serait-elle pas de se rabattre sur une stratégie unilatéraliste ?

GK : Pas du tout, permettez-moi de profiter de l’occasion pour clarifier notre position : aucun organisme palestinien n’a jamais pris la moindre décision concernant une stratégie unilatérale. Notre politique est basée sur un mouvement dans deux directions : d’abord, encourager la communauté internationale à s’impliquer davantage, c’est une démarche par nature multilatérale ; ensuite, nous oeuvrons à créer les institutions de notre Etat. Il y a en cela évidemment un aspect d’unilatéralisme, mais c’est un unilatéralisme positif. C’est notre tâche, nous ne contredisons personne quand nous disons que nous travaillons à la concrétisation de notre Etat. Nous devons nous tenir prêts pour notre Etat. Tel est notre choix, notre stratégie de paix est bilatérale et multilatérale, et ne relève pas d’une démarche unilatérale.

IPS : N’est-ce pas là un obstacle majeur dans cette œuvre créative d’un Etat ? Après tout, la Palestine est divisée entre l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, et le Hamas dans la bande de Gaza…

GK : La situation intérieure palestinienne est bien sûr un élément négatif dans la réalisation de nos aspirations. Je tiens à souligner, toutefois, que l’insistance d’Israël à effectuer son retrait de Gaza de façon unilatérale, sans négociations et en dehors du processus de paix, a contribué à renforcer le Hamas et à affaiblir l’AP. De la même manière, la prévention par Israël de tout déplacement entre la Cisjordanie et Gaza continue d’avoir un effet nuisible grave.

IPS : On a l’impression que les Palestiniens se retrouvent piégés dans une incertitude politique ? N’est-ce pas dangereux ?

GK : Il est vrai qu’une situation d’incertitude ne peut pas durer longtemps. Le temps ne travaille pas pour nous, mais le Premier ministre (Salaam) Fayyad est sérieux quand il exhorte la communauté internationale à s’impliquer davantage pour nous aider à construire les structures de notre futur Etat. Certes, l’actuel statu quo, la division opérationnelle de facto du contrôle entre Israël et l’AP sur un même territoire ne sont pas sains du tout. Ni viables. Soit nous allons à deux Etats, donc vers un Etat palestinien, soit la situation va se détériorer de façon imprévisible.

IPS : A votre avis, Netanyahu se consacre-t-il à la paix ?

GK : Netanyahu n’est pas un partenaire pour la paix. Sa priorité, c’est son électorat national, particulièrement à droite. Il essaie de plaire à la droite plutôt que de satisfaire aux nécessités de la paix. Ce n’est bon ni pour la paix, ni pour Israël. On ne voit jamais monter les critiques d’Israël par la communauté internationale.

IPS : Le Président Abbas est-il sérieux à propos de son désistement ?

GK : Nous n’avons aucune raison de ne pas croire qu’il est sérieux quand il parle de ne pas se représenter. C’est un message politique qui montre à quel point les choses sont urgentes.

IPS : Ce qui fait que les six mois à venir vont être critiques…

GK : J’espère que la situation ne va pas devenir incontrôlable et qu’on va commencer à aller de l’avant. Que l’Egypte avancera dans son travail de réconciliation entre l’AP et le Hamas une fois qu’aura été effectué l’échange de prisonniers dont il est question depuis longtemps (entre Israël et le Hamas) et que, dans les six mois, la communauté internationale sera en mesure de nous sortir de la stagnation présente. Elle a besoin d’être plus efficace dans l’avancement des pourparlers bilatéraux, dans l’arrêt de l’expansion des colonies israéliennes conformément à la Feuille de route, et dans la poursuite de son aide à la création de l’infrastructure de notre Etat.

IPS : Fasse que le peuple palestinien ait la patience…

GK : Je crois qu’il est patient, mais il ne le sera pas indéfiniment. Le temps est un facteur très important.

Jérusalem, le 30 décembre 2009

http://ipsnews.net/news.asp?idnews=49851 traduction : JPP pour l’AFPS