vendredi 8 janvier 2010

Faut-il sauver le soldat israélien Gilad Shalit ?

publié le jeudi 7 janvier 2010
Laurent Zecchini
La question posée à Benyamin Nétanyahou, premier ministre israélien, représente le plus difficile des dilemmes : faut-il sauver le soldat Gilad Shalit, prisonnier du Hamas depuis le 25 juin 2006

Si, du point de vue humanitaire, la réponse va de soi, il n’en va pas de même dès que l’on charge le fléau de la balance : en échange d’une seule vie, l’Etat juif doit-il libérer près d’un millier de prisonniers palestiniens, dont une minorité, auteurs ou commanditaires d’attentats, ont du sang sur les mains ?

Qu’Israël, pays qui a construit sa capacité de dissuasion sur la réputation d’invincibilité de son armée, l’efficacité de ses services de renseignement et aussi la brutalité de ses représailles, en vienne à considérer comme acceptables les termes d’un tel marché ne laisse pas de surprendre. En Europe et en Amérique, la raison d’Etat dicterait sans doute une réponse négative : un gouvernement démocratique, comptable de la sécurité de ses citoyens, ne saurait assumer sans difficulté la responsabilité politique de relâcher des meurtriers susceptibles de récidiver.

Mais la vérité est grise, car Israël a une longue histoire de négociations avec ceux qu’il qualifie de " terroristes ". Le précédent du 20 mai 1985, lorsque l’Etat juif avait obtenu la libération de trois de ses soldats en échange de celle de 1 150 Palestiniens, l’atteste. Si la guerre de Gaza a été déclenchée au cours de l’hiver 2008, c’est en partie parce que la réputation de Tsahal avait été sérieusement entamée lors de la guerre du Liban de l’été 2006.

Enfin, l’affaire Shalit est avant tout un constat d’échec : celui de l’armée et des services de renseignement Shin Beth (sécurité intérieure) et Mossad (sécurité extérieure), incapables, en trois ans et demi, de libérer Gilad Shalit. Ce soldat de 23 ans est devenu une icône nationale et une épine politique pour le gouvernement. Celui-ci se doit de faire avancer les négociations pour sa libération et, au minimum, de donner cette impression à l’opinion publique. 52 % des Israéliens demandent une libération " à n’importe quel prix ", et une partie du rabbinat invoque le " commandement religieux " de " racheter le captif ".

Cette détermination tient à l’essence de la société israélienne : l’armée est étroitement identifiée à l’Etat et représente une part intime de chaque famille. Garçons et filles sont censés consacrer, respectivement, trois et deux années de leur vie à Tsahal. En échange de ce sacrifice consenti à la défense de la nation, chacun attend de l’armée qu’elle veille, coûte que coûte, au sort de ses soldats. Mais les opposants à un compromis avec le Hamas forment un parti puissant : l’Association des parents de victimes du terrorisme dénonce par avance une " capitulation " et compare M. Nétanyahou à Chamberlain.

Se situant souvent à l’extrême droite de l’échiquier politique, c’est un lobby idéologiquement proche de celui des colons. Pour un premier ministre connu pour temporiser devant l’obstacle, ce double front représente un risque politique majeur. Car le scénario de l’éventuelle libération de Gilad Shalit est écrit : à la formidable liesse qui se déclenchera en Israël feront écho les manifestations de victoire à Gaza et en Cisjordanie. M. Nétanyahou peut craindre que la première se dissipe vite, alors que les images de la seconde imprimeront durablement les esprits.

S’il donne son accord aux termes de l’échange que souhaite lui imposer le Hamas, M. Nétanyahou doit payer le prix de lui consentir un formidable élan politique. Il ne s’agit donc pas seulement de " sauver le soldat Shalit ", mais de poser un acte déterminant pour le processus de paix israélo-palestinien.

Car le grand perdant risque d’être Mahmoud Abbas, président de l’Autoritépalestinienne. A plus forte raison si son rival Marouane Barghouti, emprisonné en Israël, est élargi. Le Hamas espère tirer prestige d’un compromis pour accroître sa popularité en Cisjordanie, au détriment du Fatah.

Un accord donnerait du crédit à sa rhétorique selon laquelle seule la violence est susceptible d’arracher des concessions à Israël et rendrait plus flagrante l’inanité de la démarche modérée de M. Abbas.

Est-ce ce que souhaite M. Nétanyahou ? Suit-il la stratégie de privilégier le Hamas - pour affaiblir le Fatah et faire perdurer un statu quo favorable à la colonisation en Cisjordanie -, qui fut celle d’Ariel Sharon ? S’agira-t-il d’exciper du renforcement du Hamas pour éradiquer le " foyer terroriste " de Gaza ?

Certains experts, comme Matti Steinberg, qui fut conseiller pour les questions palestiniennes de trois chefs successifs du Shin Beth, le pensent. " Je ne sais pas si c’est la stratégie de Nétanyahou ; je constate simplement que la montée en puissance du Hamas est une conséquence constante de sa politique ", note-t-il. Le médiateur allemand dans l’affaire Shalit va reprendre prochainement son bâton de pèlerin. Israël et le Hamas s’efforcent de faire retomber sur l’autre la responsabilité des errements de la négociation, voire de son échec, en utilisant l’arme de la désinformation.

Cette effervescence médiatique n’est peut-être qu’un écran de fumée destiné à dissimuler la détermination d’Israël de refuser les exigences du Hamas. Si ce n’est pas le cas, la décision de M. Nétanyahou est celle d’un homme seul, probablement le test le plus exigeant de sa carrière politique.

publié par le Monde

http://www.lemonde.fr/