vendredi 8 janvier 2010

Gaza, la déchirure

jeudi 7 janvier 2010 - 07h:06

Dr Zouhair Lahna - UAM93

Les mois passent et la plaie occasionnée par l’agression sur la bande de Gaza de décembre 2008- janvier 2009, reste béante. Agression disproportionnée d’une armée d’occupation vis-à-vis d’une population encerclée et ne possédant que des moyens rudimentaires pour subsister, et le cas échéant se défendre.
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Photo : Associated Press

La suite fût lamentable. Au lieu de chercher les moyens de lever cet embargo injuste et prolonger la sympathie mondiale vis-à-vis de la population palestinienne de Gaza, il nous a été donné à observer un feuilleton Fath-Hamas, avec des rencontres, sommets, rejets mutuels de responsabilités, promesses, etc. Les images de la population martyrisée et sans moyens pour panser ses plaies ont laissé la place aux images de dirigeants de tous bords devant des micros tantôt discutant calmement, tantôt vociférant. Lamentable et pathétique.

Tous les dons qui ont été promis pour la reconstruction sont en stand by !! Qui a le droit d’en disposer, les dirigeants locaux non désirables ou les acceptables qui n’ont plus d’entrées dans la bande ? Entre les deux, des palestiniens ordinaires ont payé un lourd tribut suite à cette agression et n’ont toujours pas vu les premiers éléments d’une reconstruction annoncée.

Ma première visite à Gaza, durant les derniers jours de l’agression armée sioniste et après le cessez-le feu, m’a laissé un sentiment d’inachèvement. J’avais commencé un travail chirurgical que je souhaitais développer et partager avec mes collègues palestiniens. Ce sentiment d’inachèvement que je vais devoir trainer encore un peu.

Les trois semaines passés en janvier 2009, au sein de l’hôpital du croissant rouge palestinien de Khan Younes, m’ont permis de soigner et d’opérer quelques patientes. Mon activité qui n’est pas au premier abord urgente, puisqu’il s’agit de la médecine reproductrice et de la chirurgie féminine, s’est avérée intéressante une fois sur place. Les besoins se font ressentir eu égard au blocus imposé depuis plus de trois ans. Alors, les femmes consultent et cherchent des solutions en présence d’un médecin venu d’ailleurs. Par ailleurs, on a souhaité mettre la lumière sur une autre problématique à laquelle s’intéresse Bernard Guillon, mon ami et collaborateur, fondateur de l’Association de Développement de la Santé des Femmes, c’est celle de la position et du préjudice que subissent les femmes durant les conflits. Mais nous semblons bien seuls à s’intéresser à ce problème durant ce conflit. Les Organisations internationales et humanitaires regardent ailleurs...

Je me suis rendu à la frontière de Gaza six mois après l’agression de l’armée d’occupation

Je me suis rendu à la frontière de Gaza six mois après l’agression de l’armée d’occupation. Une mission médicale a été mise en place à Paris afin de venir en aide à des blessés victimes de séquelles traumatiques. Cette initiative prise par une association créée suite à cette agression et qui s’est donné pour nom : Union For Palestine. La présidente est une jeune femme et jeune maman douée d’une forte personnalité et une force de travail et d’engagement peu communes. Preuve s’il en fallait que les agressions peuvent faire naitre vocations et militantismes, peu soupçonnables.

C’est Bernard Guillon qui m’a mis en relation avec Union For Palestine. Il existe une vivacité dans les pays occidentaux, que ça soit par les musulmans ou les défenseurs des droits humains qui devraient faire pâlir les autres. Mais là c’est un autre sujet et qui ne fera que fâcher tous ceux qui ne font pas grand chose mais pensent qu’ils militent pour la cause palestinienne juste parce qu’ils en parlent ou poussent de temps en temps des cris qui restent sans échos.

Venant de Casablanca, c’est au Caire que j’ai été rejoint par mes trois autres collègues de cette aventure. Le premier est le docteur Jacques Bères, co-fondateur de Médecins Sans frontières et immense figure de l’humanitaire en France, il a été de toutes les guerres, plus de cinquante missions à son actif. Soixante dix ans d’âge assorti d’une volonté et d’une jeunesse dans l’action. Je connaissais un peu Jacques avant cette rencontre puisqu’il a été Président d’Aide médicale Internationale, juste après mon mandat de vice président dans cette association née de la mouvance des French Doctors. Le deuxième personnage est Patrick Knipper, un chirurgien plasticien, président d’une association de la chirurgie réparatrice, et qui se donne quatre à cinq fois par an le temps d’aller en mission notamment en Afrique afin de réaliser en brousse de la chirurgie esthétique et réparatrice à des démunis, victimes de malformations ou de séquelles de traumatismes voire de brulures. Il ne voulait surtout pas qu’on parle de sa spécialité comme d’une spécialité de luxe. C’était la première fois que je rencontrais un chirurgien plasticien de cette trempe, un plaisir. La troisième personne est Hassan Farssadou, le président de l’Union des Associations Musulmanes de la seine saint Denis (UAM 93).

Ce jeune chef d’entreprise, et militant associatif depuis de longues années, est venu comme logisticien. Son association a financé cette action humanitaire. Le voyage de son secrétaire général M’hammed Henniche dans les suites immédiates de l’agression sur Gaza, leur a fait prendre conscience qu’il fallait agir, puisque ceux qui au nom des palestiniens multiplient les appels aux dons auprès des bienfaiteurs et surtout dans les mosquées, étaient loin de réaliser ce qu’ils faisaient croire aux donateurs.

Ici encore, un autre sujet qui risque de fâcher ceux qui font semblant d’agir dans leurs flyers vis-à-vis des donateurs, plus ou moins sensibilisés aux malheurs du peuple palestinien. J’avais rencontré des membres des ces associations en vogue auprès des musulmans en France, durant les jours qui ont suivi le cesser le feu à Gaza. Leurs actions et facultés à réagir dans l’urgence étaient absentes. Tandis que du point de vue stratégies et ambitions, elles étaient plus qu’insuffisantes par rapport aux besoins et surtout par rapport aux promesses tenues vis-à-vis des donateurs.

Notre petit groupe de quatre personnes a été accompagné par Saïd, un jeune médecin égyptien qui fait partie de l’Union des Médecins Arabes, mais il a préféré faire valoir face aux autorités égyptiennes rencontrés lors des check points sa qualité de membre du Croissant Rouge Egyptien, plus acceptable ! L’Union des Médecins Arabes dirigée actuellement par des médecins affichant plus ou moins leurs observance de l’Islam, ne sont plus tolérés comme cela fût le cas au moment de l’agression sur Gaza, en Janvier 2009.

Une fois les cartons de médicaments et fongibles chargés sur le toit de notre taxi, une vielle Peugeot 404 Break, on a pris la route direction le nord afin de passer la nuit à al Arich, près de Rafah.

On a passé la nuit dans un confort sommaire dans un bungalow peu équipé mais qui a quadruplé de prix par rapport à Janvier dernier, à cause de la saison estivale.

La déchirure dont j’ai été témoin durant ce séjour au poste frontière de Rafah est l’histoire de cette mère...

Au poste frontière, une atmosphère effervescente était à notre rencontre. C’était le dernier jour d’ouverture annoncé pour les palestiniens qui souhaitent passer vers un côté ou l’autre de la frontière. En cet instant je ne pensais pas que j’allais passer quatre jours devant ce poste sans jamais pouvoir le traverser entièrement, que j’allais partager les histoires de palestiniens et de militants associatifs bloqués aux portes de Rafah.

Nous avions à priori l’accord des services de sécurité égyptiens pour passer mais on n’avait pas de papiers le prouvant en notre possession. Le lendemain, une fois le papier en main, la date était passé la veille, ça rappelle à juste titre les romans de Kafka. Plus encore, suites aux multiples interventions effectués par l’infatigable Sihem, présidente d’Union For Palestine auprès du Quai d’Orsay ou de l’ambassade de France au Caire , on avait l’impression au matin du quatrième jour que ça allait se décanter. On a été invité à traverser la douane et on a même été jusqu’à acheter les timbres pour avoir les visas de passage. Au bout de deux heures d’attente je revois encore le jeune chef de la sécurité marchant nonchalamment vers nous, et avant même d’ouvrir sa bouche il a hoché sa tête pour nous indiquer qu’il ne sera pas possible de passer faute de Coordination. Il nous a remis les passeports en nous indiquant gentiment qu’il n’y a pas de coordination. En ce moment, j’avais la certitude que personne ne passe sans un accord des autorités israéliennes ; c’était la coordination manquante.

Durant la même semaine une autre délégation française qui devait passer par l’autre point de passage d’Eretz a été également bloquée quelques jours, et il aura fallu les protestations du Professeur Oberlin dans les médias et le début d’une mise en place d’une procédure judicaire à Paris pour les laisser passer. Passer mais difficilement et pas suffisamment pour ne pas réaliser l’objectif du voyage. Ou autrement dit, dissuader afin de laisser tomber.

Le point de passage a ouvert trois jours après une fermeture de plusieurs semaines. Les membres d’une association internationale qui milite pour l’ouverture de la frontière nous ont raconté un peu l’humiliation et les difficultés que subissent les palestiniens entassés et qui souhaitent regagner leurs domiciles à Gaza. Les personnes ont passé la nuit à attendre, le lendemain les autorités égyptiennes n’ont ouvert les portes qu’à 11 heures du matin. On peut facilement imaginer la bousculade qui s’en est suivie. Les personnes âgées, les femmes et les enfants en bas âge ont bien entendu été victimes de cette maltraitance. Sans parler des insolations, ni des humiliations subies de la part les agents de sécurité ou autres douaniers.

La déchirure dont j’ai été témoin durant ce séjour au poste frontière de Rafah est l’histoire de cette mère qui venait comme moi de Casablanca espérant voir sa fille qu’elle n’a pas aperçu depuis plus de quatre ans et sa petite fille qu’elle ne connaît pas. Sa fille a épousé un palestinien de Gaza qu’elle a rencontré lors d’une conférence au Maroc. La suite c’est le blocus, la jeune femme ne peut quitter la prison ouverte de Gaza parce qu’elle ne pourra y retourner auprès de son mari. Elle ne possède pas la nationalité palestinienne. La mère est venue plusieurs fois afin de voir sa fille, elle est hébergée chez des égyptiens de Rafah. Perdant l’espoir d’entrer à Gaza pour passer quelques jours avec sa fille, elle a demandé aux autorités le droit de voir sa fille et sa petite fille ne serait ce qu’une petite heure au poste frontière, mais sa requête a été tout simplement refusée. Pour avoir des droits inférieurs à ceux des prisonniers, il faut venir voir Gaza.

Patrick et moi sommes rentrés au bout de huit jours sans avoir pu mettre les pieds dans Gaza, le cœur serré mais avec la volonté intacte de revenir et réessayer.

Hassan et Jacques qui devaient prendre l’avion deux jours après nous, ont eu un accord de dernière minute. J’ai été content que Jacques ait pu opérer quelques malades et que Hassan ait pu vivre cette expérience jusqu’au bout.

* Dr Zouhair Lahna

1e janvier 2010 - Vous pouvez consulter cet article à :
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