mercredi 4 novembre 2009

Lettre ouverte d’un élu de République au Président de la République

publié le mardi 3 novembre 2009

Madjid Messaoudene
Mise en cause des ONG israéliennes palestiniennes, rejet du rapport Goldstone, soutien aux méthodes de l’armée israélienne...l’ambassadeur Bigot, "représentant [de la France] en Israël est sorti de la réserve qui incombe aux fonctionnaires appelés à occuper des fonctions de représentation diplomatique."

Monsieur le Président de la République

Palais de l’Élysée, 55, rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris

Saint-Denis, le 02 novembre 2009

Monsieur le Président,

Je vous fais cette lettre, que vous lirez peut-être si votre statut d’ « omniprésident » vous en laisse le temps.

Nous le savons, les représentations officielles de l’Etat français sont la voix de la France. Ceci, que l’ambassade soit en Belgique ou…. en Israël. C’est la voix de la France qui est écoutée et entendue, votre voix, Monsieur le Président, quand les ambassadeurs, y compris lorsqu’il s’agit de M. BIGOT, ambassadeur de France en Israël, s’expriment. L’ambassade de France en Israël n’est pas le salon particulier de M. BIGOT dans lequel ce dernier peut prendre ses aises et tenir les propos qu’il souhaite et en l’occurrence ici, pour absoudre Israël de toute faute. Le Canard enchaîné a mis en lumière les graves dérapages de ce fonctionnaire, et le fait que ceci n’ait pas été relevé par les autres médias n’est pas anodin.

Votre représentant en Israël est sorti de la réserve qui incombe aux fonctionnaires appelés à occuper des fonctions de représentation diplomatique. Nous ne pouvons accepter, je suis sûr que vous en conviendrez, que l’ambassadeur ne soit pas sur les mêmes positions que le Président de la République.

Parmi ses illustres déclarations, qui remettent en cause les ONG israéliennes et palestiniennes, le Rapport de l’ONU du juge GOLDSTONE, - adopté par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU – et, fait grave, la politique française dans cette région du monde, on peut relever notamment : « J’ai du mal à croire que des soldats israéliens aient tué délibérément des civils palestiniens ».

Le bilan sinistre de Gaza en est pourtant la triste preuve : en 22 jours, 1300 Palestiniens ont été tués, dont plus de 410 enfants et 108 femmes, selon le dernier bilan des services d’urgences de Gaza. Plus de 5300 personnes ont été blessées. Comme le souligne également le Canard enchaîné, de nombreux témoignages de soldats de Tsahal contredisent les propos du diplomate français.

On relèvera aussi, de la part de votre éminent représentant en Israël, concernant les agissements de Tsahal à Gaza : « Nous savons bien comment l’armée israélienne opère à Gaza. Nous savons que ce n’est pas le cas ». Les Palestiniens, notamment les familles des victimes, apprécieront ces propos, frappés du sceau de la France.

Ensuite, il contredit nettement les positions officielles françaises, notamment sur l’exigence - partagée avec les USA - d’un gel total des colonies. M. BIGOT estime utile de rajouter que « demander à Israël un gel total des colonies [n’est pas] réaliste ».

Vous venez, Monsieur le Président, de co-signer avec Gordon BROWN, et je vous en félicite, un courrier pour réclamer le gel total des colonies. Peut-être M. BIGOT n’en a-t-il pas eu copie. En ces temps de libéralisation postale, c’est en effet une hypothèse plausible.

Enfin, et les Palestiniens de Gaza apprécieront, il légitime pratiquement le blocus infligé par Israël, et va même jusqu’à conditionner la levée du blocus à la libération de Gilad SHALIT. Selon M. BIGOT, sans libération du soldat d’occupation, « Israël ne peut pas envisager une réouverture de Gaza ».

En tant que citoyen, militant de la paix, et en tant qu’élu de la République, je suis particulièrement choqué par ces propos qui vont non seulement à l’encontre des missions et prérogatives d’un fonctionnaire en poste dans une ambassade française à l’étranger, mais également et surtout contre les positions officielles de la France.

En ces temps d’impunité totale d’Israël, et dans une période où même le Ministre KOUCHNER n’est pas autorisé par Israël à se rendre à Gaza afin de constater la reconstruction de l’hôpital que la France contribue à financer, nous n’avons pas besoin d’un diplomate qui se veut la voix de Tsahal et le porte-parole du gouvernement israélien.

Je vous rappelle, bien que vous en ayez décidé ainsi, que la France n’a pas pris part au vote au Conseil des Droits de l’Homme sur l’ONU sur le rapport GOLDSTONE, refusant donc clairement de reconnaître la responsabilité d’Israël lors des massacres de Gaza.

Plus généralement, côté français, la politique du « deux poids deux mesures » est à l’oeuvre, et vous en êtes, Monsieur le Président, l’un des tout premiers responsables. Vous comprendrez donc aisément que je ne puisse pas, comme des millions d’autres citoyens, accepter votre politique à l’égard de la question palestinienne.

On constate en effet tous les jours ce « deux poids deux mesures » quand il s’agit de près ou de loin d’Israël. Le cas de Salah HAMOURI est exemplaire. La France se contente du strict minimum pour « sortir » ce citoyen franco-palestinien de prison où il est détenu arbitrairement. Et vous-même, Monsieur le Président, vous êtes en passe de faire du cas de Gilad SHALIT, soldat franco-israélien de l’armée israélienne, une cause nationale, avec pour vous aider dans cette lourde tâche, la quasi-totalité des médias français bien-pensants.

Après Ingrid BETANCOURT, nous attendons que vous alliez cherchez les otages français « où qu’ils se trouvent ». Salah HAMOURI en fait partie, et je suis d’ailleurs disposé à vous y accompagner.

En dépit de désaccords sur une grande partie de vos positions, nous ne pouvons de surcroît, accepter que vos représentants, à l’étranger, réécrivent les relations franco-israéliennes, et donc franco-palestiniennes, à l’aune de leurs propres convictions.

C’est indéniablement le cas de M. BIGOT qui a confondu l’ambassade de France en Israël, avec une quelconque tribune politique. Fort logiquement, ce fonctionnaire, qui contrevient indéniablement à ses missions, doit être rappelé à l’ordre et revenir sur ses propos publiquement. Je n’imagine pas que ce diplomate ait reçu de telles consignes du Quai d’Orsay ou de l’Élysée, visant à affaiblir la portée de l’agression israélienne perpétrée à Gaza, véritable prison à ciel ouvert.

Vous devez donc, pour que la clarté soit faite, vous démarquer clairement des positions prises par votre ambassadeur. Il y va, vous le savez de l’honneur de la France. La France se doit, et vous l’avez encore fait récemment, de condamner et faire condamner l’occupation israélienne et ses conséquences désastreuses sur la société palestinienne.

Si M. BIGOT n’était pas pour le moins, rappelé à l’ordre, le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien et les militants de la paix seraient plongés dans l’incompréhension la plus totale.

Nous déciderions alors des suites à donner à cette affaire qui ne va pas dans le sens de l’apaisement qui vous est cher.

Je saisis cette occasion pour vous signaler que j’ai fait parvenir à votre Ministre des Affaires Étrangères, une lettre ouverte, restée sans réponse, celle-ci est encore disponible sur http://lemonde.fr/opinions/chroniqu...

Ne doutant pas de l’attention que vous porterez à ce courrier, ni de la prompte réponse que vous y apporterez, recevez, Monsieur le Président, l’expression de ma plus haute considération.

Madjid MESSAOUDENE

Conseiller municipal de Saint-Denis

Chapeau : C. Léostic, Afps