mardi 27 octobre 2009

Israël-Palestine - Une frontière de plus en plus étanche

David Newman
Édition du lundi 26 octobre 2009
L'idée selon laquelle la chute du mur de Berlin aurait sonné le glas des murs et des barrières dans le monde ne trouve pas d'écho en Israël-Palestine. L'érection, au cours des six dernières années, d'une barrière (ou mur) entre Israël et la plus grande partie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza a créé un degré de séparation physique entre ces territoires qui n'avait jamais été atteint au cours des trente premières années de l'occupation israélienne.

Bien que la Ligne verte, imposée à la suite de la guerre d'indépendance d'Israël -- la Naqba palestinienne de 1948-49 -- ait constitué une frontière claire durant 60 ans, ce n'est finalement que très récemment qu'une véritable barrière physique s'est élevée entre les deux territoires.

La permanence de la Ligne verte

Après la conquête par Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en 1967, les dirigeants israéliens n'ont eu de cesse d'affirmer la caducité de la frontière artificielle de 1949. À cette fin, la Ligne verte avait disparu des cartes officielles, faisant du territoire s'étendant de la Méditerranée au Jourdain un même ensemble politique et fonctionnel, comme cela avait été le cas avant la création de l'État d'Israël. Ce qui, en réalité, n'a jamais été le cas depuis 1967.

Les barrières qui couraient le long de la Ligne verte ont été détruites peu de temps après la guerre, mais aucun gouvernement n'a pris de mesures pour modifier le statut juridique des territoires occupés et les annexer à Israël. Dès lors, la Ligne verte demeure la ligne politique et administrative qui sépare Israël de la Cisjordanie et de Gaza -- de fait, deux ordres juridiques distincts sont appliqués de part et d'autre de la frontière, tandis que les résidants arabo-palestiniens sont des citoyens d'Israël ou des Palestiniens sans État, selon qu'ils résident d'un côté ou de l'autre de la frontière.

L'idée de rétablir une frontière physique entre les deux territoires a graduellement émergé dans la foulée de la première intifada en 1987 et n'a cessé de se renforcer à compter de la deuxième intifada en 2000. À l'origine, des barrages routiers et des couvre-feux avaient été mis en place pour empêcher les Palestiniens de voyager en Israël, les dirigeants israéliens invoquant des mesures de sécurité nécessaires. Le marché du travail israélien s'est alors retrouvé en déficit de près de 100 000 travailleurs palestiniens, main-d'oeuvre bon marché, qui ont dû être graduellement remplacés par des travailleurs immigrants.

Pour autant, encore à la fin des années 1980 et même au début des années 1990, l'idée de construire une barrière a été rejetée par la plupart des politiciens israéliens: ils ne souhaitaient pas mettre l'accent sur les fonctions frontalières d'une telle séparation, alors même que le consensus dit «deux États, deux nations» n'avait pas été atteint.

Le tournant sécuritaire

La seconde intifada s'accompagnant d'attentats-suicide à l'intérieur d'Israël, les pressions pour une barrière physique se sont faites plus intenses: les politiciens s'entendaient sur le besoin de fermer hermétiquement la zone et de prévenir les déplacements des kamikazes potentiels.

Au cours des cinq dernières années, la barrière, la clôture, le mur (selon le point de vue qu'on adopte) a été réalisé autour de la plus grande partie de la Cisjordanie (avec quelques exceptions d'importance, comme le désert de Judée au sud, quasiment infranchissable): 90 % de la barrière est une clôture et moins de 10 % est un mur de béton. Le mur a été érigé dans les zones urbaines où des bâtiments israéliens et palestiniens se font face, comme dans Jérusalem et autour de la ville, ou encore à Kalkiliya.

Pour le reste, la barrière revêt la forme d'une clôture électrifiée, soigneusement surveillée. Un certain nombre de points de passage officiels ont été mis en place.

Un tracé unilatéral
Outre le fait que la barrière a été réalisée unilatéralement par Israël, elle ne se conforme pas au tracé de la Ligne verte: à plusieurs endroits, la barrière se déporte à l'est de la Ligne, à l'intérieur de la Cisjordanie, annexant de facto des portions de territoire à Israël, suivant l'implantation des colonies israéliennes.

Tant la Cour internationale de justice que la Cour suprême israélienne ont estimé que ces déviations étaient illégales et ont ainsi imposé une modification du tracé. Ce dessin sinueux a créé un nouveau groupe de Palestiniens, otages de leur espace, puisqu'ils ne peuvent ni entrer en Israël -- faute de disposer des documents adéquats -- ni interagir avec le reste de la Cisjordanie, dont ils sont coupés.

Les frontières terminologiques

Le gouvernement israélien utilise le terme de «clôture» et refuse de parler de «mur», alors que cette dernière dénomination est adoptée tant par les Palestiniens que par l'Assemblée générale des Nations Unies.

Le secrétaire général des Nations Unies qualifie quant à lui l'ouvrage de «barrière» parce que, selon lui, le terme serait plus générique et donc plus neutre. Tranchant dans la mêlée, la Cour internationale de justice a adopté le vocable de «mur» pour englober l'ensemble de la structure.

La construction de cette barrière de séparation (ou clôture, ou mur) est peut-être l'exemple le plus frappant des nouveaux murs de l'après-mur de Berlin. Toutefois, en raison du nouveau discours sécuritaire qui a émergé à la suite du 11 septembre 2001, il y a fort à croire que ce n'est pas le dernier. En Israël-Palestine, nous espérons cependant que cette barrière de séparation saura être le catalyseur qui permettra l'émergence d'un débat politique sur les futures frontières d'une solution à deux États...

*****

David Newman est professeur de géographie politique à l'Université Ben-Gourion en Israël et directeur de la revue internationale Geopolitics