dimanche 11 octobre 2009

Guerre et politique

publié le samedi 10 octobre 2009

Abdel-Moneim Saïd
La guerre de 1967 "s’est terminée avec la défaite des Etats arabes et l’occupation de leurs territoires. (...)l’objectif de l’Egypte dans la guerre de 1973 n’était pas d’anéantir Israël, mais de rompre la volonté de la guerre israélienne dans l’objectif de réfuter les prétentions selon lesquelles l’armée israélienne serait invincible et de convaincre les Israéliens qu’il ne pourront pas vivre en sécurité en se basant sur la force."

Nombreuses sont les études stratégiques qui ont abordé la relation entre la guerre et la politique. Or, personne ne l’a mieux explicité que l’expert militaire allemand Carl Von Clausewitz [1]. Selon lui, la guerre est une continuité de la politique, mais par d’autres moyens, et la victoire militaire est une victoire provisoire si elle n’est pas couronnée par un objectif politique global qui en fait une victoire stratégique. De plus, Clausewitz pense que la guerre n’est qu’un moyen de parvenir à cet objectif. Et selon cette théorie, l’objectif de la guerre est de rompre la volonté de l’ennemi par la violence ou la politique. Il n’est plus possible de trancher les différends internationaux en se basant sur le principe du recours à la force militaire. Et en même temps, il y a des objectifs politiques et stratégiques qui ne peuvent être réalisés sans guerre. Or les Etats ne peuvent recourir à la force juste pour exposer leurs forces ou pour se venger. Là, il devient impossible de faire la différence entre la guerre et la paix.

Au cours des dernières décennies, l’expérience arabe avec l’occupation israélienne a témoigné du succès et de l’échec dans la relation avec une partie dont l’animosité et la contradiction avec les intérêts égyptiens et arabes stratégiques sont claires.

Pendant les années 1950 et 1960, on disait que le conflit arabo-israélien est un conflit d’existence et non pas de frontières. L’outil militaire constituait donc le facteur tranchant entre les 2 parties jusqu’à la guerre de 1967, qui s’est terminée avec la défaite des Etats arabes et l’occupation de leurs territoires. Puis la situation a changé, quand Sadate est arrivé au pouvoir en 1970. Là, a commencé une nouvelle phase dans le domaine de la préparation des forces armées. Or, la préparation d’une guerre offensive nécessitait beaucoup d’efforts et de temps parce que l’Egypte ne fabriquait pas ses armes, dépendant entièrement des ressources étrangères (l’Union soviétique en particulier).

Donc l’objectif de l’Egypte dans la guerre de 1973 n’était pas d’anéantir Israël, mais de rompre la volonté de la guerre israélienne dans l’objectif de réfuter les prétentions selon lesquelles l’armée israélienne serait invincible et de convaincre les Israéliens qu’il ne pourront pas vivre en sécurité en se basant sur la force. C’est de là que Sadate a planifié le déclenchement d’une guerre offensive limitée, basée sur l’idée de traverser le Canal de Suez, de détruire la ligne de Barlev et d’occuper la rive Est du Canal d’une profondeur de 15 à 18 km, dans une tentative d’épuiser l’armée et l’aviation israélienne et lui faire assumer le maximum de pertes.

Et dans cette phase, l’objectif était d’obliger Israël à faire la guerre dans des circonstances qui ne lui conviennent pas parce que la structure démographique d’Israël à cette époque comptait à peu près 3 millions d’habitants et en temps de guerre 20 % de la population est mobilisée dans les forces armées. Ce qui est un taux très élevé, difficilement supportable pour Etat, et Israël ne pourrait garder ce taux pendant de longues périodes pour ne pas affecter son économie. Il était donc planifié de maintenir cette situation jusqu’à ce qu’Israël ressente que la guerre a trop duré et réclame un cessez-le-feu ou une intervention des forces étrangères.

Cette guerre était donc le moyen de libérer la terre. C’était une tentative d’investir le début de la guerre et non pas sa fin. Dans ce contexte, il est possible de refaire une lecture des recommandations concernant la guerre d’Octobre adressées le 5 octobre par Sadate au lieutenant général Ahmad Ismaïl, dirigeant général des forces armées égyptiennes et qui prouve que la guerre a réalisé ces objectifs. Premièrement : rompre la forte inertie du processus pacifique. Deuxièmement : faire assumer le maximum de pertes possibles à l’ennemi (en hommes, matériel et armes). Et troisièmement : libérer le Sinaï sur plusieurs étapes selon les capacités des forces égyptiennes.

La dimension politique dans la guerre du 6 Octobre s’est avérée claire par l’intermédiaire du message de Sadate à Kissinger le 7 octobre 1973 (par l’intermédiaire du canal secret de contact conclu entre Hafez Ismaïl, conseiller du président Sadate pour la sécurité nationale et le président Nixon en février 1973). Dans ce message, la position de l’Egypte sur la guerre et la paix a été explicitée en 4 points principaux.

D’abord, l’objectif essentiel de l’Egypte est de réaliser la paix au Proche-Orient et non pas de réaliser des règlements partiaux. Ensuite, l’Egypte n’a pas l’intention d’approfondir les accrochages et d’élargir les affrontements. Puis, Israël doit se retirer de tous les territoires occupés, et là, l’Egypte sera prête à contribuer à la conférence de paix de l’Onu.

Le choix politique de Sadate à cette époque était de parier sur la capacité égyptienne de réaliser les meilleurs résultats politiques grâce à une position militaire dominée par l’équilibre. Après la guerre de 1973, il y a eu les pourparlers de cessez-le-feu, le premier accord de désengagement en 1974 et le second en 1975. En réalité, l’initiative de Sadate de se rendre à Jérusalem n’était surprenante que dans sa déclaration et dans son audace dans l’application du principe de Clausewitz concernant la complémentarité des moyens d’interaction militaire et politique.

C’est ainsi que l’Egypte s’est engagée dans un combat aussi difficile que la guerre d’Octobre mais qualitativement différent : le combat pour la paix. C’est ainsi que la visite de Sadate a réfuté les prétentions d’Israël, selon lesquelles il serait entouré par des peuples qui ne pensent qu’à l’anéantir. C’est ainsi qu’en quelques heures, Sadate a détruit ce qu’Israël a passé 3 décennies à construire.

En réalité, rares sont les Arabes et les Egyptiens qui ont lu Clausewitz et ceux qui l’ont lu ne l’ont ni compris ni appliqué, parce que son application est difficile à tous les niveaux. C’est ainsi que depuis des années, rien ne change au Golan et le désespoir règne toujours en Palestine.

[1] officier et théoricien militaire prussien du 19ème siècle. Il est l’auteur d’un traité majeur de stratégie militaire : De la guerre et selon D. Girard "Clausewitz est encore plus effrayant si on le lit dans le monde actuel. Il est très prussien en ceci qu’il aime la guerre. Et il a pour Napoléon un mélange de haine farouche et d’admiration passionnée. Il craint qu’après lui, la guerre ne dépérisse et qu’on revienne à la « guerre en dentelle », c’est-à-dire aux restrictions imposées au XVIIIe siècle. Il est bien évident que s’il revenait parmi nous, il serait « rassuré » sur l’état de la guerre (rires) : il verrait qu’elle n’a pas dépéri !

Clausewitz a eu une importance prodigieuse sur l’évolution de la Prusse. Il a influencé le grand réarmement prussien, la période de Bismark, la stratégie allemande en 1870, puis, en 1914, l’alternance qui a été l’autodestruction mutuelle de la France et de l’Allemagne. ". Voir aussi Raymond Aron sur l’influence de Clausewitz sur les théoriciens militaires et autres spécialistes en Fance http://books.google.fr/books?id=7SA...