dimanche 11 octobre 2009

Egypte-Israël. Des liens rejetés d’emblée

publié le samedi 10 octobre 2009

Samar Al-Gamal
36 ans après la guerre d’Octobre qui a marqué un tournant dans les relations entre les deux pays, la normalisation avec Tel-Aviv est peu admise par les Egyptiens. Elle constitue même un tabou.

C’est au 12e étage du nouveau bâtiment d’Al-Ahram que Shalom Cohen, ambassadeur d’Israël au Caire, a été reçu par Hala Moustapha. Cette dernière est rédactrice en chef du magazine Al-Dimoqratiya (la démocratie), revue saisonnière, peu populaire et à tirage très limité. Evénement qui dévoile au grand jour cette contradiction que revêt ce dossier de « normalisation » avec Israël. La polémique entre adversaires et partisans de relations « normales » entre Le Caire et Tel-Aviv est relancée, alors que l’Egypte s’apprête à célébrer l’anniversaire de la guerre d’Octobre 1973, une guerre qui a été scellée par des traités de paix, marquant un tournant dans ses rapports avec son ennemi, avec un grand « E ».

Dans le cas spécifique de Hala Moustapha, la nouvelle a été dévoilée par des partisans de la normalisation et des proches du Haut comité des politiques du parti au pouvoir, de quoi donner l’impression qu’il s’agit d’un règlement de comptes entre la journaliste, d’ailleurs membre de ce comité politique, et ses adversaires.

Le paradoxe est bien ailleurs. Le conseil d’administration de la fondation Al-Ahram est dirigé par Abdel-Moneim Saïd, un des fondateurs du mouvement de Copenhague, qui prône des relations plus étroites entre les « ennemis d’hier ». Tout comme Hala Moustapha, Saïd est membre du PND, parti du président et du gouvernement.

Un régime surnommé « le grand normalisateur ». Les relations diplomatiques sont à haut niveau et la coopération économique a été accélérée ces dernières années. Les visites de responsables israéliens en Egypte sont, peut-être, plus fréquentes que leur déplacement en Europe. Ils sont presque tous reçus par le chef de l’Etat en personne, sinon par le chef du Service des renseignements, Omar Soleimane. Le président Moubarak a même l’habitude d’accorder des entretiens à la télé israélienne. Un comité sécuritaire égypto-israélien se réunit périodiquement et l’échange commercial entre les deux pays a atteint désormais 400 millions de dollars, même s’il est en faveur du Caire. La capitale égyptienne, qui exportait vers Israël avec 12 millions de dollars, parle aujourd’hui d’exportations d’une valeur de 300 millions de dollars (lire article page 4). Un important groupe d’hommes d’affaires suit le même parcours, dirigé notamment par Galal Al-Zorba, président de la Fédération des industries.

Lorsqu’il s’agit de culture, les choses sont tout à fait autres. En dehors de rares exceptions de certains écrivains, la normalisation est une véritable « injure ». Ici, pas question de faire comme si tout était normal. La visite en Israël du dramaturge Ali Salem a soulevé un tollé. L’écrivain Sonallah Ibrahim l’avait même accusé d’agir comme un affilié au Mossad. L’Union des écrivains l’avait exclu de ce rassemblement d’auteurs au lendemain de sa première visite en Israël, il y a un peu plus de 7 ans. C’est le sort que peut subir n’importe quel autre écrivain, journaliste, avocat, médecin et autres. Parce que, tant qu’un règlement définitif n’est pas conclu et que l’occupation israélienne des territoires arabes continue, tous les syndicats d’Egypte se tiendront à leurs règlements qui incriminent la normalisation avec Israël, celui des journalistes est le plus actif à ce niveau (lire page 5).

Au niveau même du ministère de la Culture, le ministre qui fait partie du gouvernement « normalisateur » est obligé de s’aligner sur les intellectuels, où la soi-disant paix ou normalisation avec Israël manque d’approbation. Le projet de Farouk Hosni de traduire la littérature israélienne a suscité de vives critiques au sein du milieu cultivé, même s’il avait cherché à rassurer ces opposants en affirmant que « la traduction se fera non à partir des originaux en hébreu mais de leurs traductions en langues européennes pour éviter tout contact avec des écrivains ou éditeurs israéliens ».

C’est un projet qui avait vu le jour dans les années 1960 sous Nasser et qui avait pour objectif de « connaître son ennemi ». Traduire des livres historiques, oui, mais le littéraire, non, disent les opposants, car les romans risquent de briser la barrière psychologique entre eux et promouvoir une normalisation culturelle. « Parce que la culture israélienne est basée sur la négation de l’autre (le Palestinien) et fondée sur des légendes erronées », estime Imane Al-Emari, professeur de presse internationale.

L’écrivain Fahmi Howeidi rappelle des déclarations du ministre israélien de l’Intérieur, Avi Dekhter, l’an dernier, affirmant que son pays « cherche à établir un partenariat avec toutes les forces et mouvements influents en Egypte : l’élite dirigeante, les hommes d’affaires, l’intelligentsia et l’élite médiatique ». Une percée difficile à mesurer sur le plan intellectuel, car elle est pour l’instant menée à titre individuel et on ne peut pas vraiment parler de véritable mouvement pro-normalisation.

« Ce sont souvent des individus qui se définissent comme des libéraux et qui en grande majorité sont des dissidents d’autres mouvements », explique l’analyste Diaa Rachwane. En fin de compte, les « normalisateurs » sont à compter sur les doigts, peut-être d’une seule main.

L’impopularité des Israéliens dans les rues égyptiennes ne fait qu’augmenter. Au fil des années, Israël a réussi à transmettre aux Egyptiens le message suivant : nous refusons la paix. Que ce soit sous les Travaillistes ou le Likoud ou Israël Beiteinu, Tel-Aviv a prouvé aux Egyptiens qu’ils avaient raison, qu’un simple texte de traité de paix ne vaut rien face à une politique agressive et violente avec les Palestiniens.

Ce traité a permis à Israël d’obtenir un appartement dans le quartier de Guiza pour lui servir de première ambassade dans une capitale arabe, mais ses locataires se déplacent en cachette, ne pouvant pas prendre part à la vie publique égyptienne.