lundi 14 septembre 2009

A Jérusalem-Est, des Palestiniens désespérés

dimanche 13 septembre 2009 - 20h:02

Karim Lebhour - La Croix


L’expulsion de deux familles palestiniennes de leur maison, cet été, a ravivé les craintes des Palestiniens de voir les colonies israéliennes cerner petit à petit la partie arabe de Jérusalem.

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Christopher Gunness, porte-parole de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, montre une photo appartenant aux familles Ghawi et Hanoun, expulsées de leurs maisons à Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est .
(Photo Gharabli/AFP).


L’adresse de la famille Hanoun se résume désormais à quelques chaises en plastique et des matelas entassés sur un bout de trottoir que des décorations de Ramadan ne parviennent pas à égayer. Depuis le 2 août, cette famille palestinienne campe sur ce carré de bitume, juste en face de la maison d’où elle a été expulsée manu militari par la police israélienne dans le quartier de Cheikh Jarrah, au cœur de Jérusalem-Est.

Un écriteau portant le chiffre « 43 » indique le nombre de nuits passées sur le trottoir. De l’autre côté de la rue, Maher Hanoun, le père de famille, peut voir les colons, des religieux juifs, qui vont et viennent dans la maison qui était la sienne.

« Je suis né dans cette maison et mes enfants aussi. Elle a été donnée à mes parents par les Nations unies en 1956. Comment les Israéliens peuvent-ils dire que c’est à eux ? », s’indigne-t-il. « Les colons progressent maison par maison. L’année dernière, ils ont pris celle des Al-Kurd et maintenant la nôtre, renchérit Rami, son fils. Bientôt, tout le quartier sera à eux. »

L’expulsion des deux familles Hanoun et Ghawi, au cœur de l’été, marque le dernier épisode d’une bataille judiciaire débutée en 1972 entre les habitants de ce quartier et Nachlat Shimon, une association de colons juifs qui se dit propriétaire du terrain. La Cour suprême israélienne a finalement donné raison aux colons et ordonné l’expulsion des maisons palestiniennes. Vingt-cinq autres maisons palestiniennes sont menacées du même sort.

"Les Israéliens veulent vider Cheikh Jarrah"

À terme, Nachlat Shimon ambitionne de construire 200 logements pour des familles juives. Une décision « profondément regrettable », a jugé la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, au moment où l’administration Obama tente de négocier un gel de la colonisation israélienne. « Ce sont des cas particuliers qui ne relèvent pas d’une politique gouvernementale, assure Ygal Palmor, porte-parole du ministère israélien des affaires étrangères. Il s’agit d’une dispute juridique entre des individus et une association sur une propriété. C’est au tribunal de trancher. »

Pour les Palestiniens au contraire, ces expulsions s’inscrivent dans une longue liste de projets immobiliers israéliens destinés à effacer leur présence dans ce quartier de Cheikh Jarrah, l’un des plus prestigieux de Jérusalem-Est, et empêcher la possibilité d’une capitale palestinienne à Jérusalem-Est. Le bureau de la Coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) a recensé 540 logements juifs en projet à Cheikh Jarrah.

« Les Israéliens veulent vider Cheikh Jarrah de ses habitants palestiniens pour les remplacer par des Juifs. S’ils prétendent que c’est leur terre, alors nous aussi devons reprendre toutes les terres que nous avons perdues à Jérusalem-Ouest en 1948, ce que la loi israélienne ne nous permet pas de faire », tempête Adnan Husseini, le gouverneur palestinien de Jérusalem. Un titre purement honorifique. À Jérusalem-Est, l’Autorité palestinienne n’a aucun droit ni aucune souveraineté.

En vertu des accords d’Oslo, Israël y interdit en effet toute activité officielle palestinienne et la police intervient régulièrement pour empêcher des activités jugées trop politiques. Dernier événement en date : un banquet de Ramadan auquel devait participer vendredi le premier ministre palestinien, Salam Fayyad, interdit sur ordre du ministre israélien de la sécurité intérieure.

"Jérusalem-Est est un cas à part"

Le statut de Jérusalem-Est est l’une des questions les plus sensibles du conflit israélo-palestinien. Conquise en 1967 par Israël, la partie orientale de la ville a depuis été annexée par l’État hébreu qui, en 1980, a proclamé Jérusalem comme sa capitale « une et indivisible ».

« Jérusalem-Est est un cas à part, reconnaît Ygal Palmor. C’est une partie de la ville de Jérusalem qui est sous souveraineté israélienne. La Cisjordanie n’a jamais été annexée et son statut reste à négocier. Ce n’est pas le cas de Jérusalem. » Conséquence, malgré les récriminations de l’Europe et des États-Unis, le rythme des constructions israéliennes à Jérusalem-Est se poursuit à un rythme soutenu. Près de 200 000 Israéliens vivent dans des implantations à Jérusalem-Est, presque autant que les 270 000 Palestiniens.

Porte-parole d’une organisation de colons, Daniel Louria ne fait pas mystère de son intention de « judaïser » Jérusalem-Est. Son organisation, Ataret Cohanim, rachète par divers moyens le plus possible de propriétés arabes. « Notre objectif est très simple, c’est celui du peuple juif depuis près de deux mille ans, le retour des Juifs dans leur patrie. Jérusalem est le cœur et l’âme de notre peuple. Nous continuerons de faire tout ce qui est nécessaire pour ramener une vie juive à cet endroit. » Au risque de mettre le feu aux poudres.

Vendredi 11 septembre, des incidents ont éclaté à Silwan, près de la Vieille Ville, après qu’un colon a ouvert le feu sur deux Palestiniens. Dans ce quartier, la municipalité veut raser 88 maisons palestiniennes pour construire un espace vert, rattaché au parc archéologique déjà existant de la cité de David. « Les colons et la municipalité travaillent de concert, jure Hatem Abdel-Qader, un notable palestinien de Jérusalem. L’objectif est de relier entre elles toutes les colonies autour de Jérusalem-Est. Les Palestiniens de la ville seront alors enfermés dans des enclaves de plus en plus réduites. » Jusqu’à ce qu’il ne reste plus grand-chose à négocier.

Jérusalem - La Croix - 13/09/2009 18:26