samedi 15 août 2009

L’école de l’apartheid israélien

vendredi 14 août 2009 - 04h:45

Jonathan Cook
Counterpunch



Un couple arabe dont la fillette d’un an a été renvoyée d’un service de garderie le premier jour de son arrivée a intenté un procès en dommages-intérêts contre une mère juive, l’accusant d’incitation raciste contre leur enfant.

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Depuis sa création en 1948, Israël a mis en place un système d’enseignement presque entièrement basé sur la ségrégation entre juifs et arabes.
(photo : Khaleel Reash/MaanImages)


Une famille arabe intente un procès pour « incitation raciste »

Maysa et Shua’a Zuabi, de Sulam dans le nord d’Israël, ont engagé une action juridique la semaine dernière, disant qu’ils avaient été « choqués et humiliés » quand la propriétaire du centre leur a dit que six parents juifs avaient demandé le renvoi de leur fille parce qu’elle était arabe.

Dans cette première affaire juridique de ce type en Israël, les Zuabi réclament 80 000 dollars à Neta Kadshai qu’ils accusent d’avoir été la meneuse.

La fillette, Dana, serait la première enfant arabe à être admise dans le centre de garderie de la communauté juive rurale de Merhavia, à moins d’un kilomètre de Sulam.

Toutefois, selon les avocats qui défendent les droits humains, compte tenu du peu de lois sur l’antiracisme en Israël, les chances de succès des Zuabi sont faibles.

Depuis sa création en 1948, Israël a mis en place un système d’enseignement presque entièrement basé sur la ségrégation entre juifs et arabes.

Mais le manque chronique de moyens financiers des écoles arabes fait que ces dernières années, un petit nombre, mais qui grossit, de parents arabes ont cherché à déplacer leurs enfants dans le système juif.

Dana a été admise au centre de garderie en décembre dernier, l’obtenant dans ce cas après que la propriétaire, Ivon Grinwald, ait dit au couple qu’elle avait une place vacante. Seulement, le premier jour de présence de Dana, six parents ont menacé de retirer leurs propres enfants si elle n’était pas renvoyée.

Madame Kadshai, en particulier, aurait mené une campagne « intense de calomnies pour obtenir le renvoi [de Dana] du centre de garderie, précisant que [ses] enfants ne seraient pas dans le même centre qu’une fille arabe ». Madame Zuabi a été convoquée à un entretien le soir même et madame Grinwald lui a dit qu’elle ne pouvait pas se permettre de perdre les six enfants. Elle a rendu le contrat que madame Zuabi avait signé et lui a remboursé les avances versées.

Madame Zuabi rapporte que pendant qu’elle était dans le bureau de madame Grinwald, celle-ci a reçu un appel de madame Kadshai calomniant une fois encore Dana et exigeant son renvoi.

Madame Grinwald a refusé de parler à la presse la semaine dernière. Cependant, en décembre dernier, la première fois que les Zuabi se sont plaints, elle avait déclaré à la radio de l’armée : « Les parents [juifs] l’avaient appelée à propos d’une fille du « secteur [arabe], lui disant que c’était un centre de garderie pour enfants juifs et qu’il devait le rester... je ne peux changer le monde, je dois préserver mon gagne-pain. »

Israël n’a pas de Constitution, mais l’avocate des Zuabi, Dori Kaspi, poursuit madame Kadshai sur la base des dispositions de la Loi fondamentale de 1992 relatives à la liberté et à la dignité humaines, la législation la plus proche que possède Israël pour les droits humains.

Dans des affaires précédentes, où des enfants arabes avaient été renvoyés d’écoles, les parents avaient engagé une action juridique pour discrimination contre les autorités de l’Education ou la direction de l’école.

Les avocats sont sceptiques quant à la réussite du couple, étant donné le manque de références juridiques sur les principes d’égalité et d’égalités des chances.

Un avocat, qui souhaite ne pas être nommé, a déclaré : « Les cas comme celui-ci ne sont pas couverts par les lois contre la discrimination. La législation anti-discrimination en Israël est très spécifique, elle traite de nombreux cas de discrimination mais dans l’emploi et l’accès aux lieux publics tels que pubs et clubs. »

Et même alors, ajoutait l’avocat, leur application reste extrêmement laxiste.

Les cas d’enfants arabes refusés dans des jardins d’enfants et des écoles primaires pour juifs sont devenus plus fréquents au cours des dernières années, spécialement dans les quelques villes mixtes du pays.

Yousef Jabareen, directeur de Dirasat, une organisation basée à Nazareth qui suit les questions de l’enseignement, dit que lorsque des parents ont essayé de transférer leurs enfants dans des écoles juives, c’était en raison des pauvres conditions des institutions arabes d’enseignement.

« Même s’il s’agit d’une réaction compréhensible, c’est une source de préoccupation, » dit-il. « Dans les écoles juives, les enfants arabes n’apprennent ni leur langue, ni leur culture, ni leur histoire. Il faut alors sacrifier l’identité arabe pour qu’ils reçoivent une éducation décente. »

Un rapport publié en mars a révélé que le gouvernement avait investi 1 100 $ pour l’éducation de chaque élève juif, à comparer aux 190 $ pour chacun des élèves arabes. L’écart est encore plus grand si on compare avec les écoles religieuses populaires gérées par l’Etat, où les élèves juifs reçoivent neuf fois plus de financement que les élèves arabes.

Il manque aussi officiellement plus de 1 000 classes pour les enfants arabes, dit monsieur Jabareen, bien que les organisations arabes pensent que ce soit en réalité bien pire. De plus, une proportion significative des bâtiments scolaires arabes existant sont jugés peu sûrs ou dangereux pour la santé des enfants.

Dans certaines régions du pays où des écoles religieuses privées sont disponibles, particulièrement à Nazareth et à Haïfa, les parents arabes tournent le dos au système de l’Etat, dit monsieur Jabareen.

Les deux tiers des 7 500 élèves arabes dans la ville mixte d’Haïfa, dans le nord, par exemple, seraient en attente d’entrer dans des écoles privées, malgré le haut niveau de pauvreté de la population.

En septembre dernier, le centre juridique Adalah pour les droits de la minorité arabe d’Israël a obligé la municipalité de la ville mixte de Ramle, près de Tel-Aviv, à enregistrer un garçon arabe dans un jardin d’enfants juif près de son domicile.

Le maire, Yoel Lavi, avait dit auparavant aux parents du garçon qu’il ne pouvait pas l’y admettre parce qu’il était arabe et que le jardin d’enfants était réservé aux enfants juifs.

Mr Jabarren se dit favorable aux écoles binationales et bilingues, dans lesquelles les enfants juifs et arabes pourraient être ensemble et étudier à égalité. Cependant, l’Etat n’offre pas de telles écoles aux parents.

Quatre écoles élémentaires bilingues accueillant des enfants arabes et juifs ont été créées dans le secteur privé. Israël n’a aucune école secondaire mixte.

Mike Prashker, directeur de Merchavim, une organisation prônant une citoyenneté commune en Israël, disait récemment au quotidien Ha’aretz : « La réalité israélienne des systèmes d’enseignements basés sur la ségrégation incite à l’ignorance et à la peur de l’"autre" ».

Un sondage publié par l’université d’Haïfa en janvier fait ressortir que les trois quarts des élèves juifs jugent les Arabes « incultes, non civilisés et sales ».

Une récente enquête de Merchavim révèle que la ségrégation parmi les élèves est le reflet de la ségrégation parmi les enseignants. Il y a quelque 8 000 enseignants arabes enregistrés comme demandeurs d’emploi par le ministère de l’Enseignement, et quelques dizaines seulement travaillent dans des écoles juives, principalement en enseignant l’arabe, alors que le système juif souffre d’un manque de personnels.

Le précédent ministre de l’Enseignement, modéré, Yuli Tamir, avait créé un comité public l’année dernière pour développer, pour la première fois, une politique de « vie en commun » pour les écoles juives et arabes.

Le comité a publié son rapport cette année, recommandant davantage de réunions entre enfants juifs et enfants arabes, que l’arabe devait être enseigné aux élèves juifs, et que les écoles devaient employer des enseignants arabes comme des enseignants juifs.

Le nouveau gouvernement de droite de Benjamin Netanyahu a annoncé en avril qu’il gelait le rapport.


(JPG)Jonathan Cook est écrivain et journaliste basé à Nazareth, Israël. Ses derniers livres sont : Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books).


Nazaretz, le 10 août 2009 - J. Cook, CounterPunch - une version de cette article a été publiée par le National à Abu Dhabi
Traduction : JPP