jeudi 6 novembre 2014

La renaissance artistique de Gaza

La dernière guerre israélienne a redonné un souffle à l’univers artistique de Gaza, où les artistes expriment leurs souffrances tout en esthétisme et en créativité, à travers du spectacle vivant et des performances comiques.

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A l’est de Gaza, de jeunes Palestiniens regardent les statues de l’artiste Eyad Sabbah, représentant les habitants de Gaza fuyant leurs maisons sous les bombardements israéliens pendant la dernière guerre lancée par Israël contre Gaza - Photo : Reuters/Mohammed Salem
L’artiste visuel Eyad Sabbah a redonné un souffle de vie aux zones détruites par l’occupation dans le quartier de Shajaiya, dans l’est de Gaza. Afin d’immortaliser les scènes de souffrance et de destruction qui ont eu lieu dans ce quartier, il a gravé des statues qui relatent les souffrances endurées par les habitants pendant la guerre ainsi que les déplacements forcés. Son travail est exposé sur un petit terrain cerné de toutes parts par des bâtiments en ruines, dont l’hôpital de réadaptation al-Wafa, réduit en poussière.
Dans ce quartier qui a subi les déplacements les plus massifs et les destructions les plus importantes lors de la dernière guerre dans la bande de Gaza, les visiteurs peuvent sentir l’odeur putride de la mort dans chaque allée et voir son fantôme dans les yeux des habitants. La vie dans ce quartier a totalement périclité. Les habitants n’ont plus le moral tandis que les bâtiments et les infrastructures ont été détruits.
« Le projet appelé Worn Out ("délabré"), que j’ai lancé dès la fin de la guerre, a duré environ un mois et demi », a indiqué à Al-Monitor Eyad Sabbah, qui est également conférencier à Université al-Aqsa de Gaza. Il qualifie sa démarche comme un « art du réagencement de l’espace ouvert ».
« Après la guerre, j’ai commencé à réfléchir à un moyen de toucher directement les personnes et d’exprimer le malheur qu’elles ont vécu, a-t-il expliqué. J’ai appelé ce projet ainsi car il est révèle l’état psychologique qui prédomine chez les habitants et face à ces bâtiments et infrastructures en ruines. Dès que l’on entre dans le quartier de Shajaiya, on se rend compte que tout est délabré. »
Selon Eyad Sabbah, l’artiste est le reflet de l’époque à laquelle il vit, tout comme de son pays. Il pense également que tous les artistes de Gaza ont été touchés par la guerre et par les malheurs qu’elle a causés, et souhaiterait que chaque artiste monte un projet ou un programme en relation avec la guerre : « La guerre a un impact sur la production artistique et sur tous les aspects de la vie. L’ampleur des déplacements forcés à Shajaiya est terrible et ceci nous a tous touchés, bien que la même chose soit arrivée dans toutes les régions de la bande de Gaza. Toutefois, la situation à Shajaiya a projeté des scènes différentes par rapport aux autres régions. »
Eyad Sabbah, qui a lui-même dû fuir son domicile, dans le quartier de Sudaniya (nord de Gaza) où la situation était explosive, s’est servi de matériaux fragiles qui ne sont d’habitude pas utilisés en sculpture, comme la fibre de verre, l’argile et le bois. Il a façonné ses statues avec ces matériaux pour exprimer le caractère épineux de ce sujet.
La dernière guerre israélienne contre Gaza a donné lieu à une nouvelle vague de créativité chez divers artistes. Les idées créatives se sont entremêlées avec la souffrance pour produire une approche unique, dans la mesure où les artistes eux-mêmes ont fait partie de l’histoire.
L’artiste Hana Hamash, 24 ans, a été profondément touchée par la guerre, tout comme son œuvre. Elle a dû être déplacée de sa maison qui a subi des dégâts importants. Son studio a été détruit tandis que des éclats d’obus ont transpercé plusieurs de ses peintures. Hana Hamash a réalisé une exposition intitulée Gaza 52, qui symbolise le premier jour qui a suivi la guerre menée par Israël pendant 51 jours.
« Au 52e jour, la vie a repris son cours normal, mais la souffrance nous attendait. C’est ce dont nous nous sommes rendu compte seulement plus tard. L’exposition évoque les souffrances endurées par les femmes et les enfants en particulier lors de la guerre, et reprend le thème de l’unité nationale », a-t-elle expliqué.
Bien qu’elle ait perdu son studio et toutes ses réserves de peinture, Hana Hamash a travaillé avec des organismes de jeunes soutenant le projet pour restaurer les œuvres et monter une nouvelle exposition d’environ 25 peintures, à la fois des nouvelles et des anciennes, touchées par les projectiles. Hana Hamash, qui a affiché ses œuvres lors de plusieurs expositions collectives et individuelles dans la bande de Gaza, aux États-Unis et en Égypte, a indiqué qu’elle a consacré un large espace de l’exposition à la guerre israélienne contre la bande de Gaza et aux souffrances endurées par le peuple.
Les œuvres ne font pas que mettre au grand jour la souffrance des gens : elles permettent également d’afficher la souffrance d’une manière humoristique et de l’alléger ainsi, ce qui est également possible avec le théâtre. Raafat al-Aidi, directeur de l’organisation al-Ayyam Masrah à Gaza, a expliqué que sur le plan psychologique, la guerre a fortement et profondément marqué les enfants et toutes les classes sociales. Selon lui, il était important d’agir rapidement, car les habitants avaient besoin d’exprimer ce qu’ils avaient enduré lors de la guerre.
Acteur, metteur en scène et écrivain, Raafat al-Aidi a expliqué sa démarche à Al-Monitor : « Nous avons commencé nos représentations théâtrales immédiatement après la guerre, dans quatre écoles. Les spectacles étaient prêts à la suite de la guerre de 2012. Nous avons pensé que nous pouvions les présenter de nouveau après la dernière guerre. Chaque représentation théâtrale comique était suivie d’un atelier de théâtre pour aider les enfants à exprimer leurs sentiments et leurs pensées. »
Les spectacles, présentés par de grands comédiens palestiniens, ont été vus par environ 55 000 enfants et près de 2 000 adultes, à la fois des visiteurs, des enseignants et des parents.
D’après Raafat al-Aidi, les dramaturges ont repris le chemin des planches avec encore plus d’énergie qu’avant la guerre. Pleins d’allant, ils ont emmené avec eux de nombreux souvenirs. Autant d’idées qu’ils ont commencé à transformer en pièces de théâtre.
« Nous préparons actuellement une production théâtrale considérable intitulée Construction, tout en nous attelant à restituer le moral et la vie que la guerre a détruits. Dans quelques jours, les représentations théâtrales commenceront dans les écoles publiques et à l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) pendant une semaine », a-t-il expliqué.
Au sujet de l’effet de l’art dramatique et de l’impact de son message, Aidi a précisé que le projet a également atteint un public européen, et ce grâce à une courte pièce de théâtre intitulée A summer holiday in Gaza, qui a été jouée de nombreuses fois en Belgique sur une période de trois semaines. La pièce, qui abordait la souffrance des habitants de Gaza durant les 51 jours de guerre, a eu un impact considérable sur la population belge.
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Mohammed Othman est un journaliste de la bande de Gaza. Il est diplômé de la Faculté des médias au département de la Radio et de la Télévision à Université Al-Aqsa, à Gaza en 2009.
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - Valentin B.