jeudi 6 novembre 2014

La judaïsation de Jérusalem

Depuis la campagne pour s’emparer du Néguev et de la Galilée en 1949 jusqu’aux quartiers réservés aux juifs qui sont « clôturés et gardés » dans la Vieille Ville, la judaïsation de Jérusalem a été systématique, même si la population palestinienne continue de lutter et de résister à l’éradication de sa propriété, à la fragmentation de ses communautés et à l’effacement de sa véritable identité de l’histoire de la Ville sainte.

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Mahmoud al-Abbasi, 40 ans, se tient dans les décombres de sa maison, démolie par la municipalité de Jérusalem dans le quartier de Silwan à Jérusalem-Est en violation de la Quatrième Convention de Genève sur les territoires occupés- Photo : Gali Tibbon
La judaïsation de Jérusalem est une composante de l’occupation de la Palestine entière, et un simple examen superficiel révèle combien l’institution sioniste a politisé en profondeur la vie quotidienne des citoyens non juifs et des habitants de la Palestine occupée. L’hyperpuissance de la société coloniale israélienne a créé des politiques discriminatoires qui visent directement les arabes ; et la raison de cette politique discriminatoire est de favoriser la population juive, en rendant la vie des Palestiniens de plus en plus difficile.
En décembre 1949, le Premier Ministre israélien David Ben Gourion prononça un discours devant la Knesset où il évoqua Jérusalem comme une « Jérusalem juive », la déclarant « une partie organique inséparable de l’État d’Israël », une ville qui n’acceptera jamais « une puissance étrangère ». Les juifs se sacrifieront pour Jérusalem » déclara vigoureusement Ben Gourion.
La Résolution 181 de l’Assemblée Générale des Nations Unies avait proposé en novembre 1947 l’établissement d’un « corpus separatum », suggérant que Jérusalem devienne un district sous supervision internationale administré par les Nations Unies. Cette résolution 181 de même que les activités coloniales et une politique inéquitable institutionnalisée par l’état colonial pour favoriser très largement les colons, a entraîné l’expulsion de milliers de Palestiniens confrontés à la démolition de maisons, à la déportation intérieure et au déni de leur droit au retour.
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), le nombre de démolitions et de déplacements à Jérusalem-Est (Zone C) a beaucoup augmenté en 2013. Pour 2014, il y a déjà au moins 121 cas documentés de personnes déplacées à Jérusalem-Est, 46 structures détruites, listées par l’OCHA, et tout cela est dû uniquement à la politique institutionnelle de l’état colonial.
Dans la Zone C et à Jérusalem-Est, chaque année des centaines de maisons palestiniennes et autres structures sont démolies faute de permis de construire délivrés par Israël. Le système de planification restrictif rend quasiment impossible aux Palestiniens l’obtention d’un permis, tout en accordant un traitement de faveur aux colons israéliens.
Silwan, bourg palestinien de 45.000 habitants à Jérusalem-Est, est une des nombreuses communautés qui continuent à souffrir du nettoyage ethnique par l’État colonial. Ce nettoyage ethnique, qui est parfaitement documenté, révèle la déshumanisation croissante infligée par la stratégie de colonisation d’Israël, dont l’armée attaque régulièrement les habitants, et qui sont obligés de souffrir du fait de la municipalité qui limite leur accès à la construction de maisons tout en autorisant de plus en plus d’avants-postes de colons, comme le démontre Grassroots Jerusalem et la Coalition for Palestinian Rights in Jerusalem (CCPRJ).
Les implantations à Jérusalem et ailleurs s’accélèrent depuis longtemps – les colonies sont un élément politisé et armé qui contribue à l’élimination physique des autochtones, à qui se substituent rapidement des colons armés hyper-nationalistes.
La judaïsation de Jérusalem influence non seulement la ville elle-même mais ceux qui vivent à ses confins. Des politiciens israéliens, et récemment le ministre des Transports Yisrael Katz, ont appelé à l’absorption dans un "Grand Jérusalem" afin de « préserver l’identité juive ». Cet appel a toujours été partie intégrante du projet sioniste : en 1994, le New York Times publiait un article décrivant des Israéliens « se hâtant de construire un Grand-Jérusalem » et la même année, le Christian Science Monitor décrivait un « modèle explosif » qui allait détruire toute possibilité d’autonomie pour les Palestiniens.
Ce « Grand Jérusalem », comme le souligne un rapport encore secret présenté à Ehud Olmert le mois dernier, incorporerait tous les projets de logements juifs qui ont été construits hors des limites de la ville ces 25 dernières années, selon les experts qui ont planché sur la carte métropolitaine proposée.
En 2013, une campagne menée par le conseil municipal sous le slogan « Judaïser Jérusalem », campagne orchestrée par Aryeh King, un colon d’extrême-droite qui, d’après un document de David Sheen pour The Electronic Intifada, « a lancé un appel à peine voilé à mutiler et à assassiner des Palestiniens », quelques heures avant que le petit Palestinien Mohammed Abou Khudair ne soit brûlé vif ; c’est un homme qui a pour habitude de lancer des déclarations extrémistes anti-arabes.
Le déplacement ethnique et la judaïsation de Jérusalem destinés à modifier la composition de la ville, continue à dévaster et à isoler des communautés entières qui luttent pour survivre dans l’ombre d’une occupation déjà destructrice, qui, selon le Tribunal Russell sur la Palestine, « soumet le peuple palestinien à un régime institutionnalisé de domination relevant de l’apartheid telle que la définit le droit international ».
Selon un rapport compilé par Mya Guarnieri et Sergio Yahni de l’Alternative Information Center, la judaïsation de Jéusalem signifie que 65 % des Palestiniens vivent sous le seuil de pauvreté, que dès 2007 le mur de séparation « a provoqué la confiscation de terres appartenant à 19,2 % des familles palestiniennes de Jérusalem », et le rapport montre combien l’expansion des colonies dans Jérusalem a été calculée et parfaitement organisée.
La mise sous séquestre fait partie intégrante du colonialisme israélien et l’état d’Israël mise là-dessus afin de briser des communautés autochtones, qui devront faire face à des campagnes coloniales armées et organisées dont le mode opératoire inclut la mobilisation de masse. Le but est d’usurper de vastes bandes de territoire avec l’aide de l’état, toujours aux dépens des Palestiniens natifs.
Cette judaïsation de Jérusalem procède non seulement d’un appétit insatiable d’Israël pour davantage de terres palestiniennes mais aussi de l’effacement de l’identité palestinienne : et pour que Jérusalem perde son caractère palestinien il ne faut plus qu’il y ait de Palestiniens, ou du moins, que plus aucun ne soit vu comme natif de la ville, que plus aucun d’eux ne soit étiqueté comme faisant partie intégrante du tissu historique de Jérusalem.

Roqayah Chamseddine est une journaliste libano-américaine basée à Sydney. Elle tient le blog Letters From The Underground.et écrit régulièrement dans Al Akhbar.
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Traduction : Info-Palestine.eu - AMM