lundi 15 septembre 2014

Les pêcheurs de Gaza accusent Israël de ne pas respecter les termes du cessez-le-feu

La situation le long de la plage de Gaza n’est pas rose, contrairement à ce moment qui précède l’aube, l’horizon parsemé de lumières venant des bateaux de pêcheurs.

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Un bateau de pêche flotte au large de la côte de Gaza - Photo : Luke Cody
Les marchés sont maintenant pourvus avec toutes sortes de fruits de la mer. Tout le monde pense, à tort, que c’est parce que les pêcheurs de Gaza pouvaient à présent entrer dans de nouveaux domaines de pêche après l’accord de cessez-le-feu du 26 août dernier. Ils étaient en effet censés pouvoir opérer jusqu’à la distance de six miles nautiques et finalement 12. Mais ce n’est pas encore le cas...
Je suis montée à bord d’un petit bateau avant le lever du soleil le 7 septembre et nous nous sommes dirigés vers la mer, au large de la côte de Gaza. Le bateau survolait et s’écrasait dans les vagues, avec une force qui les faisait paraître comme des rochers.
Le premier bateau de pêche rencontré appartenait à Mohammad Abu Amra. Trois autres pêcheurs étaient aussi à bord, tous vêtus de longues vestes imperméables rouges. Abu Amra déclare à Al-Monitor : « Nous sommes sortis en mer au coucher du soleil hier, pour jeter notre filet. Nous venons juste de le retirer. Mais n’y a pas beaucoup de poissons, contrairement aux premiers jours après la guerre. »
Comme le soleil se levait, ses rayons s’étendent à la surface de la mer. Les visages tendus et les sourcils froncés montrent l’inquiétude des pêcheurs. Nous passons près d’un autre bateau de pêche, laissant Abu Amra occupé avec le filet dans lequel quelques petits poissons ont été pêchés.
Toufic Abou Rayala a remonté ses filets avec l’aide de pêcheurs qui étaient à proximité sur un bateau un peu plus grand. « Nous n’avons pas dépassé les 5 miles [la limite avant la guerre]. Si nous l’avions fait, l’occupant nous aurait tiré dessus depuis ses navires de guerre » , dit-il. Rayala m’explique alors que la plupart des pêcheurs, dont lui-même, devaient des milliers de dollars à l’Association des pêcheurs de Gaza parce qu’ils avaient constamment besoin d’emprunter de l’argent pour acheter des fournitures, comme les filets et le carburant.
Issa al-Sharafi, criant pour être entendu par dessus les vagues et le vent, me dit : « Je travaille comme pêcheur depuis que j’ai 12 ans, et je n’ai jamais connu une situation aussi difficile que ces deux dernières années. » Il se place à côté de son bateau, me disant : « Pouvez-vous voir la nouvelle peinture ? C’est là où une partie du bateau a été brûlé lorsque les navires israéliens ont bombardé le quai pendant la guerre. Ils ont détruit de nombreux bateaux. »
Khaled Zaydan s’assit sur ​​le bord du bateau de Sharafi. « Je suis un pêcheur et je possède mon bateau, mais quand l’avion a tiré sur les hangars des pêcheurs dans le port, le moteur de mon bateau a été détruit. Un nouveau coûte environ 7000 dollars, mais je n’ai pas cet argent. Je suis venu ici pour pêcher avec mon ami Issa, » m’explique-t-il.
Depuis la mer, Gaza parait belle. Ses immeubles s’étendent le long de la côte, fièrement, bien que humbles. On ne peut pas imaginer que les flammes de la guerre dévoraient ce lieu il y a seulement quelques semaines.
« Ne croyez pas ceux qui vous disent que la situation des pêcheurs a changé ou que l’accord de cessez-le-feu leur permettra de réduire leur dette accumulée au fil du temps. Ce sont des mots vides de sens, des bavardages de médias. Nous ne pouvons pas aller au-delà des 5 miles [de limite], et parfois nous ne pouvons même pas aller au-delà de quatre. Nous ne pouvons pas prendre plus de poissons », me dit Sharafi.
Les pertes pour le secteur de la pêche au cours de la guerre dépassent 7 millions de dollars et le conflit a laissé 3500 pêcheurs dans une situation de grande difficulté, selon Mahmoud al-Assi, le responsable de l’Association des pêcheurs, qui m’a parlé une fois de retour au port.
Nous sommes tombés sur un bateau à moteur avec quelques 10 pêcheurs à bord et les conteneurs remplis de poissons. Il y avait des écailles de poisson partout, et l’odeur du poisson imprégnait l’air. Nafez Bardawil, le propriétaire du bateau à moteur, m’explique alors : « Nous avons pris une demi-tonne de poissons. Nous sommes allés à environ 600 mètres au-delà des 5 miles [de limite]. L’occupation israélienne a mis en place une zone tampon de 300 mètres, et parfois, les Israéliens tire sur nous pour nous faire reculer de 3 miles en arrière. »
Les bateaux de pêche reviennent l’un après l’autre de leur voyage en mer. La plupart des pêcheurs utilisent d’anciens techniques de pêches, très traditionnelles. Seuls quelques-uns des pêcheurs disposent de moyens modernes permettant de détecter la présence de bancs de poissons. Massoud Abou Aude est l’un des rares a faire usage d’une telle technologie. « Je navigue loin, et dès que je vois des poissons sur l’écran, je m’arrête et je jette le filet. Plus nous entrons dans la mer, plus de poissons nous devrions pouvoir prendre, mais l’occupation ne nous le permet pas, » dit-il.
Il ajoute qu’avec tous les poissons proposés à la vente dans les marchés, tout le monde pensait qu’après la guerre, les pêcheurs bénéficiaient des miles supplémentaires qu’ils étaient autorisés à couvrir. « Mais la raison était tout simplement que pendant la guerre, la mer était calme, et les pêcheurs ne pouvaient pas travailler. Le poisson s’est accumulé. Mais, après deux jours de pêche intense, le volume de poissons a chuté à nouveau. »
« Malgré la détérioration de notre situation après sept ans de blocus et trois guerres, je ne me suis senti désespéré que la fois où ma jambe a été blessé par les tirs des forces d’occupation en 2004. J’étais seul sur le bateau quand cela est arrivé. Ce jour-là, j’ai presque détesté mon métier, que j’ai pourtant repris à la suite de mon père et de mon grand-père », dit Massoud.
Israël resserre toujours son étau autour des pêcheurs. Le 9 septembre, il a kidnappé quatre d’entre eux en mer près de la zone de Sudaniya, en violation flagrante de la trêve. Une autre violation avait eu lieu un jour plus tôt, quand un navire israélien a tiré sur les bateaux de certains pêcheurs. Aucun blessé n’a heureusement été signalé.
Dans le port se trouvent les restes de 40 hangars pour les pêcheurs, construits par un organisme de bienfaisance du Qatar en 2012. Pendant la guerre, les F-16 israéliens les ont détruits, ainsi que les moteurs et outils de pêche qu’ils hébergeaient.
Farouq Abu Umaira est assis en face de l’un des hangars, un grand filet vert posé sur ses genoux. « Ils ont prétendu que nous avons pris environ 20 tonnes de poissons après la guerre, mais ce sont des mensonges. C’est un crime de le dire. Nous sommes plutôt réduits à l’état de mendiants », conclut-il.

Asma al-Ghoul est journaliste et écrivain, du camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

11 septembre 2014 - al-Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-palestine.eu - Mahmoud