jeudi 24 avril 2014

Liberté pour Marwan Barghouti

Je ne m’attendais pas à ce que Marwan Bar­ghouti reste pri­sonnier dans les geôles israé­liennes aussi long­temps. En avril pro­chain, il aura effectué douze ans.
Je me sou­viens encore de ce matin d’avril, quand je suis allé le voir au centre de détention de Mes­kobieh à Jéru­salem, trois jours après son enlè­vement du centre de la ville de Ramallah.
Dans une salle réservée aux visites des avocats, je me suis assis, ne m’attendant pas vraiment à ce qu’on me per­mette de le voir.
Selon mon expé­rience, les enquê­teurs israé­liens ont tou­jours empêché la visite de l’avocat au détenu de sécurité, de façon à l’isoler dans les pre­miers jours de l’enquête et à le priver de toute assis­tance en le laissant à la merci de l’isolement avec le sen­timent que " les amis et la famille " l’ont oublié, ce qui atteint son moral et ses capa­cités à faire face.
Marwan est venu vers moi. Je pense qu’il a été lui aussi surpris par la visite, tout autant que moi, et en moins d’une seconde, on s’est serré dans les bras.
Les ques­tions et les réponses ont fusé, sa prin­cipale pré­oc­cu­pation était de ras­surer sa famille qu’il aime comme son pays. Pendant deux heures, cette pièce exiguë est devenue une sorte de palais de nos­talgies. Marwan n’était pas inquiet et n’avait pas peur d’être enlevé et détenu en Israël. Il parlait len­tement, en essayant d’économiser ses forces et sa res­pi­ration. Je le regardais, son visage fatigué, ses traits tirés, son teint sombre, l’homme ne me sem­blait pas comme à son habitude. Cependant, il est resté digne.
Il me regardait " Je n’ai pas dormi, Jawad ! Depuis plus de 24 heures … ils m’empêchent de dormir …Ils emploient des méthodes sata­niques … Crois-​​moi, Jawad, ce sont des formes de torture les plus atroces … J’ai failli devenir fou… Je suis épuisé et je perds parfois la capacité de réfléchir et de me concentrer… ". Il s’est tu pour ras­sembler ses forces puis il a continué en disant, " Ils ont l’intention d’attaquer la légi­timité de l’Intifada et de la résis­tance pales­ti­nienne à travers mon arres­tation et mon procès, ils veulent saper le pré­sident Arafat, et ils visent à délé­gi­timer l’organisation du Fatah et le Conseil légis­latif palestinien …".
En un instant, mes sou­venirs m’ont ramené quelques années en arrière, à ces jours d’avant et aux détails de l’affaire, qui étaient, d’après la plupart des faits et des élé­ments, uniques et spécifiques.
Celui qui lit l’acte d’accusation pro­noncé contre Marwan Bar­ghouti saura l’importance des objectifs qu’Israël a essayé de frapper, et le nombre d’experts juri­diques, média­tiques et diplo­ma­tiques investis pour per­suader " le monde" que ce pays a été capable d’arrêter le plus grand ter­ro­riste de tous les temps, qui repré­sente pra­ti­quement une direction ter­ro­riste d’une popu­lation de terroristes.
Il com­prendra aussi que faire avorter et déjouer les plans d’Israël, était devenu d’un intérêt national et his­to­rique supé­rieur. Celui qui se remémore ce que ce dossier a suscité comme mobi­li­sation inter­na­tionale offi­cielle, ins­ti­tu­tion­nelle et popu­laire, pourra mesurer son impor­tance et le rôle joué par Marwan ainsi que l’importance de la position de principe qui a été la sienne.
J’écris ceci pour rap­peler à la géné­ration d’aujourd’hui cer­tains détails impor­tants qui ont pu être oubliés et affirmer que la libé­ration de Marwan Bar­ghouti pré­sente un intérêt qui dépasse l’importance de justice qu’il mérite. Elle équivaut à la recon­nais­sance de valeurs et d’acquis qu’Israël a tenté d’effacer. C’est aussi le rappel des prises de posi­tions et des batailles dont le tri­bunal a été le théâtre ; au premier plan, l’objectif de contre­carrer l’attitude constante des diri­geants israé­liens et de réussir à ren­verser l’équation par la mise en accu­sation de l’occupation qui doit être pour­suivie et jugée.
Aujourd’hui, je me rap­pelle encore de cette pre­mière et impor­tante visite où j’ai pu me ras­surer à son sujet, d’autant plus que cer­tains médias israé­liens ont publié les regrets et la colère du Premier ministre Sharon quand il a appris que les soldats avaient arrêté Marwan Bar­ghouti au lieu de le tuer et de se débar­rasser de lui une fois pour toutes.
C’est au cours de cette visite que je me suis entendu avec Marwan sur la ligne de défense de principe que nous allions mener et selon laquelle nous ne recon­naî­trons ni la légalité de son arres­tation à Ramallah, car c’est un enlè­vement, ni la légalité des inter­ro­ga­toires, ni les tri­bunaux de l’occupation mili­taires ou civils qui sont au service de l’occupant.
Marwan Bar­ghouti est un député élu et un leader poli­tique connu, nous n’accepterons pas une accu­sation pré­parée pour le compte de l’État israélien occupant et peu importe son contenu.
Le droit de résister à l’occupation est un droit garanti, et c’est l’occupation qui devrait être inculpée et jugée pour ses actes et ses crimes contre le peuple palestinien.
Je me sou­viens encore quand je l’ai quitté pour le laisser entre les mains des enquê­teurs, sachant qu’ils ne le lais­se­raient pas dormir car ils ne sup­portent pas sa ténacité et qu’ils allaient essayer de briser son image et sa pensée.
Dehors, à la sortie de la prison, j’ai rap­porté aux jour­na­listes les décla­ra­tions de Marwan, et rappelé notre position, ce qui devint plus tard le célèbre dossier : " Marwan Bar­ghouti " - contre l’occupation israé­lienne de la Palestine. Depuis, des années se sont écoulées, mais ce dossier est tou­jours ouvert et d’actualité.
Par Jawad Boulos, avocat de Marwan Bar­ghouti lors de son procès à Tel Aviv Traduit par Moncef Chahed