mercredi 9 avril 2014

La fermeture des tunnels de Gaza exacerbe la crise économique

mercredi 9 avril 2014 - 09h:40
Nigel O’Connor - Al Jazeera
L’Egypte a démoli les tunnels de Gaza qui mènent vers son sol, coupant ainsi tous les approvisionnements nécessaires à la population civile.
JPEG - 47 koAu mois de mars, les autorités Egyptiennes ont annoncé la destruction de 1.370 tunnels le long de la frontière Gazaouie.
Rafah, la Bande de Gaza – Dans un pavillon désert, deux hommes chargent des boîtes sur une petite remorque tirée par une moto.
Autrefois bourdonnante d’activité, l’administration des douanes du terminal de la Bande de Gaza enregistre à peine un flot réduit des importations depuis que l’armée Egyptienne a commencé à détruire le vaste réseau de tunnels de contrebande au lendemain de la destitution du Président Egyptien Mohamed Morsi.
Avoisinant le terminal vide et s’adossant sur une série d’immeubles vétustes et criblés de balles, un ensemble de structures à ossature métallique s’étendent au loin. Chaque recouvrement blanc abrite l’accès à un tunnel de contrebande privé et dont la fermeture n’a fait que paralyser davantage l’économie déjà assiégée de Gaza.
Au mois de mars, les autorités Egyptiennes ont annoncé la destruction de 1.370 tunnels le long de la frontière Gazaouie.
« Ils travaillent actuellement d’arrache-pied pour détruire tous les tunnels, » déclare le garde-frontière du Hamas Mohamed Abu Hossam à partir de son poste de garde qui longe la frontière entre Gaza et l’Egypte. « Vous voyez les explosions de leur côté ? on dirait une guerre. Hier, elles étaient 20 explosions, aujourd’hui dix. »
Le blocus terrestre et maritime imposé par Israël sur la Bande de Gaza entre dans sa huitième année. Cette situation de fermeture a motivé la construction de tunnels pour importer les médicaments, la nourriture, les biens de consommation et les matériaux de construction. Et bien que certains spéculateurs aient pu faire fortune grâce à la construction des tunnels, le réseau a appuyé l’industrie de la construction en assurant de nombreux moyens d’existence à travers le travail, la distribution et la fourniture de matériaux.
« Cela fait deux mois que les autorités Egyptiennes ont détruit le tunnel en le remplissant d’eau, » déplore Ahmed, travailleur dans les tunnels, en signalant l’entrée sombre de la tête. « Actuellement, il n’y a plus rien à faire et il n’y a plus aucune chance pour que les gens travaillent. Si les tunnels sont ouverts, il y a du travail à Gaza. Je suis marié et j’ai deux enfants que je dois nourrir et prendre en charge. Je suis chanceux de pouvoir encore travailler en surveillant l’entrée du tunnel. »
Avant leur destruction, les tunnels engageaient environ 20 personnes dont la tâche consistait à faire sortir la marchandise souterraine, la charger sur les camions pour ensuite la distribuer dans toute Gaza.
« J’étais payé 80 shekels [$23] par jour, affirme Ahmed. Je portais le sable durant la construction du tunnel, et une fois opérationnel, je transportais la marchandise jusqu’aux camions qui l’attendaient. »
Ouvert et vulnerable
Sous la présidence de Morsi qui n’a duré qu’une année, le gouvernement Hamas, dont la formation fut inspirée du mouvement Egyptien des Frères Musulmans, a laissé ses relations se détériorer avec l’Iran, la Syrie et le Hezbollah, ses partisans de longue date. Ainsi, au lendemain du coup d’état militaire qu’a connu l’Egypte l’an dernier, le Hamas s’est retrouvé isolé et de toute évidence vulnérable.
La démolition du réseau de tunnels de la Bande de Gaza ainsi que la quasi-fermeture du passage frontalier de Rafah qui n’est ouvert que rarement et sporadiquement, traduisent l’opinion hostile que porte le Caire envers le gouvernement en place à Gaza. L’Egypte prétend que le Hamas entretient des relations avec les groupes armés basés au Sinaï et, en date du 4 mars, la Cour Suprême Egyptienne a interdit le Hamas de toute activité en Egypte. Le gouvernement a ensuite désigné le mouvement comme « organisation terroriste ».
Face à l’augmentation des contraintes monétaires, c’est l’aptitude du gouvernement à fonction qui est mise à l’épreuve. Le Ministère de l’Economie déclare qu’entre juillet et décembre, les pertes des recettes suite à l’arrêt des importations sont estimées à $460 millions et que 50.000 fonctionnaires n’ont reçu qu’une partie de leurs salaires au courant des quatre derniers mois.
Interrogée par Al Jazeera, Isra al-Modallal, porte-parole du Hamas a déclaré : « Le gouvernement est confronté à de nombreux problèmes, mais les employés du gouvernement soutiennent notre mouvement et nous avons un plan d’urgence mais pas assez d’argent. » Elle ajoute que les blocus égyptien et israélien constituent une punition collective et contribuent à la création d’une crise humanitaire.
Et de poursuivre : « Tous les secteurs sont touchés. Les tunnels représentaient l’ouverture à la vie pour Gaza et leur fermeture affecte tous les secteurs de l’économie et engendre de nombreux problèmes au gouvernement. Mais la réalité est que par ces mesures, ce sont les civils qui paient pour ce qu’ils n’ont pas fait. Les gens ont besoin d’indépendance, de liberté et de justice, mais au lieu de cela, ils parlent d’électricité, de nourriture et d’eau. »
Au milieu de la crise croissante, la tension s’intensifie entre les factions armées de Gaza et Israël. En date du 12 mars, le Jihad Islamique a tiré plus de 70 missiles sur Israël en réponse à l’assassinat de trois de ses membres à Rafah. Malgré cet incident, le cessez-le-feu avec Israël, supervisé par le Hamas avec le consentement des différentes factions en place depuis 2012, semble s’être maintenu.
« Nous pouvons contrôler la sécurité à Gaza, mais nous ne sommes pas en mesure de contrôler un soulèvement populaire, » a prévenu al-Modallal. « Nous ne pouvons pas maîtriser une troisième intifada. »
Pénuries chroniques
La pression s’accentue sur les civils à Gaza, dont environ 60% vivent dans l’insécurité alimentaire et où seulement 5% de l’eau locale est potable. Selon les estimations de l’ONU, le chômage a grimpé de 32.5% en septembre à 40%. Outre les employés des tunnels directement touchés, la pénurie des matériaux a conduit à l’arrêt de la majorité des projets de construction à Gaza et a fait beaucoup de sans emploi. La hausse des prix a également ajouté à la misère et à la pression sur les 1.7 million de Gazaouis.
A la suite des premières pénuries, Israël a augmenté l’importation de carburant de 20 fois afin de compenser le carburant moins cher qui provenait autrefois de l’Egypte, mais le prix a doublé. Le prix du gaz de cuisine a augmenté de 20% et les prix du pain et du riz ont respectivement augmenté de 11 et de 33%.
Et pour mesurer les changements, il suffit d’évaluer les achats de biens de consommation. Masrool Ramadan est propriétaire d’Abu Musa Electroniques à Rafah et avoue que personne n’achète plus rien sauf en cas d’extrême nécessité.
Faisant un signal de la tête vers les quelques frigos dans son magasin, il raconte : « Si quelqu’un doit acheter un article et qu’il peut se permettre, il l’achète, mais maintenant, il n’y a plus de marché et la situation est déplorable. Nous avions l’habitude de ramener d’Egypte des réfrigérateurs Japonais et Coréens flambant-neufs mais plus maintenant ; c’est à peine si nous ramenons des produits d’Israël de deuxième main. Il est très pénible d’acheter des produits d’Israël. Notre marchandise nous parvient via les points de passage, donc nous devons payer pour chaque jour que la marchandise passe au passage avant sa sortie, sachant que la durée de maintien peut atteindre jusqu’à un mois. »
Masrool reconnait que l’économie des tunnels n’était qu’une solution temporaire et vise à une amélioration permanente des relations entre Gaza et le monde extérieur.
« Les tunnels ont été construits car c’était la seule solution pour la survie des gens. Tout le monde savait que leur exploitation n’était qu’une question de temps. Nous espérons que la frontière s’ouvre afin de permettre l’entrée de ce que nous voulons légalement, mais actuellement, il n’y a pas d’éclairage dans les rues et il n’y a pas d’espoir, » a-t-il conclu.
Mais pour ceux qui ont investi dans l’économie des tunnels, la perception de la situation dépend du degré de leurs pertes. C’est avec philosophie qu’Omar Ezam parvient à évaluer les choses, assis au-dessus de son tunnel détruit et contemplant l’amoncellement de gravats et d’acier tordu qui autrefois constituaient la maison qui abritait l’entrée égyptienne de son tunnel. En montrant de la main un groupe de chiens errants au loin, il explique : « Regardez ces routes. Il n’y a pas longtemps elles bondaient de camions, mais maintenant, elles sont devenues la propriété des chiens. »
Il s’est assis sur une pile de sacs de sable qui trainent à l’entrée du tunnel et qui servaient à dissimuler les activités des regards des soldats égyptiens placés sur la frontière.
« L’ère Morsi était faite de fleurs et de roses, c’était tout simplement la belle vie. A présent, l’espoir d’un dénouement ne se fera qu’avec le départ de Sisi, mais en attendant, il est très difficile que les choses changent, » souligne Omar avant de conclure : « Les Egyptiens ont le droit de choisir leurs dirigeants, néanmoins, nous leur demandons de ne pas oublier leurs frères à Gaza. Nous avons, nous aussi, besoin de respirer. »
31 mars 2014 – Al Jazeera English – Vous pouvez consulter cet article en anglais à :
http://www.aljazeera.com/indepth/fe...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha