mercredi 23 novembre 2011

Al Baqa’a : La lutte d'une famille dans une vallée menacée de nettoyage ethnique

Hébron - 23 novembre 2011
Par Alistair George
Alistair George est milite avec ISM. Son nom a été changé.
"Les Israéliens espèrent que les jeunes partiront, que les vieux mourront et qu'ils pourront ensuite s'emparer de la terre et des maisons," dit Sami, un activiste travaillant à Al Baqa'a, une vallée balayée par le vent à quelques kilomètres à l'est d'Al-Khalil (Hébron). Ce que vit la famille Jaber à Al Baqa'a est semblable à ce que vivent beaucoup d'autres Palestiniens dans le secteur, une pression extraordinaire et quotidienne de la part des militaires israéliens et des colons installés dans le voisinage.
Al Baqa’a : La lutte d'une famille dans une vallée menacée de nettoyage ethnique

Atta et Rodni Jaber
Rodni Jaber est mère de trois filles et d'un fils. Vêtue d'une veste rose et d'un foulard fleuri, elle est volubile et impatiente de raconter l'histoire de sa famille.
"Ils ont démoli notre maison deux fois, c'est notre troisième maison. Nous avons vécu sous une tente pendant six mois et après une décision de justice disant que nous pouvions vivre sur ce domaine dans 150m², nous avons démarré la construction de cette maison."
Rodni et Atta Jaber sont agriculteurs, ils cultivent des vignes, des framboises et des tomates pendant les mois doux et des radis et des navets l'hiver. Des rangées nettes de choux-fleurs poussent près de leur maison en pierre située à mi-hauteur de la colline face à Al Bwayre à l'est, et les colonies israéliennes illégales de la montagne Al Bwayre.
La famille est propriétaire de 31 dunums de terre (1 dunum - 1000m²). Bien qu'elle possède des documents datant de l'époque de l'Empire Ottoman prouvant que la terre lui appartient, la maison est pourtant menacée par un ordre de démolition.
"Nous sommes allés au tribunal et nous avons obtenu un report de la destruction de cette maison," dit Rodni. "Nous ne sommes pas ici légalement, selon le droit israélien - mais ils nous laissent vivre ici pour le moment."
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La maison de la famille Jaber à Al Baqa'a
900 Palestiniens environ vivent dans la vallée de Al Baqa'a. Beaucoup des maisons de la région sont menacées par des ordres de démolition, les autorités et les colons israéliens tentant de rendre la vie des Palestiniens impossible pour étendre les colonies israéliennes. Les habitants de la région et des militants affirment être en possession d'une carte sur laquelle des tracés en rouge délimitent les secteurs dans la vallée de Al Bwayre et Al Baqa'a que des ingénieurs israéliens destinent à la construction de 500 nouvelles unités de logement pour des colons israéliens. La plus grande partie du secteur est actuellement habitée par des Palestiniens et devra être "nettoyée" pour faire place à l'aménagement envisagé.
En plus des démolitions de maisons et du harcèlement de l'armée, la famille Jaber a fait l'objet d'attaques répétées des colons israéliens des colonies voisines d'Al Bwayre et de Qiryat Arba, et de divers avant-postes.
Les colons ont attaqué la maison et la terre de la famille il y a environ un mois. L'armée israélienne est arrivée en jeep mais a refusé d'intervenir pendant que les colons tentaient de mettre le feu à la maison. Rodni Jaber explique :
"Les colons n'étaient là que pour protéger les colons. Les colons nous ont dit de quitter la maison, que 'c'est notre terre'. Ils ont même commencé à se plaindre aux soldats et à leur demander de nous chasser de la maison en disant que 'la terre est pour Abraham, pas pour eux', en faisant pression sur les soldats... Ils [les colons] ont essayé de mettre le feu à la maison et je me suis mise à les pousser pour les arrêter. J'ai même appelé la police israélienne pour qu'elle vienne voir ce que faisaient les colons. Toute la famille a fui tant nous avions peur d'être brulés dans la maison.
Mais ils n'ont pas réussi à incendier la maison. C'était juste un nouvel incident dans une longue série d'attaques contre la famille depuis des années. J'ai perdu un bébé après une attaque de colons. J'étais enceinte de 4 mois à l'époque, ils m'ont attaquée et je l'ai perdu. Les colons m'ont attaquée de nombreuses fois, et j'ai été à l'hôpital de nombreuses fois.
Il y a neuf ou dix ans, la résistance palestinienne a fait une 'opération' contre les colons, là, sur l'autoroute. Ensuite, les colons se sont rassemblés à Qiryat Arba et sont venus ici. Ils ont enfoncé la porte, sont entrés dans la maison et y ont mis le feu... Je suis partie, pieds nus et en pyjama. Les colons ont empêché notre famille de rentrer chez nous pendant trois jours... Puis les soldats ont occupé la maison pendant 40 jours. Une décision de justice nous a permis de revenir, et tout était cassé à l'intérieur. A l'époque, des colons sont allés chez mon frère, qui vit près d'ici, et ils lui ont tiré dans l'estomac. Il a survécu, mais maintenant il a un estomac en plastique."
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Ruines d'une maison détruite par l'armée israélienne à Al Baqa'a
Les habitants de Al Baqa'a vivent sous contrôle israélien civil et militaire total, en Zone C ; comment peuvent-ils donc se protéger lorsque les soldats restent les bras croisés et facilitent les attaques de colons contre leurs familles ?
Rodni raconte que "le chef de la police est venu et a dit 'en cas de problème, appelez-moi'. Le DCO (District Coordination Office) nous a remis un document qui dit que les soldats israéliens doivent protéger cette maison. Nous l'avons obtenu lorsque nous avons été attaqués en 2001. Mais ils ne font rien - ce n'est qu'un morceau de papier... La plupart des Palestiniens, dans cette zone, sont de ma famille, alors nous essayons de nous protéger les uns les autres. Si une maison est attaquée, nous allons la protéger."
Un cousin de la famille a été attaqué la semaine dernière alors qu'il circulait avec un âne dans la vallée ; les colons l'ont frappé à la tête avec une barre métallique. Il a été hospitalisé et il a dû avoir des points de suture. Heureusement il n'a pas été trop grièvement blessé.
Comment la famille supporte-t-elle les pressions psychologiques des menaces d'attaques constantes ? Rodni sourit et déclare, "Je suis très forte... et si quelque chose arrive, je me dis ‘Al Hamdullilah’".
Si les expériences de la famille sont souvent terrifiantes et brutales, elles sont aussi quelquefois absurdes. En 1998, Raja', le fils de Rodni, est né. Peu de temps après la naissance, des colons ont attaqué la maison ; un colon s'est plaint à la police que quelqu'un appelé "Raja" avait menacé de le tuer en pointant un couteau sur sa poitrine.
"Quelques jours après, les soldats sont arrivés pour arrêter mon fils, qui avait 40 jours," dit Rodni. "Ils avaient entendu parler de mon fils Raja', ils sont arrivés et ont demandé, 'Où est Raja' ?'. Je leur ai montré mon fils... je leur ai montré son extrait de naissance parce qu'ils ne croyaient pas que c'était Raja'."
Mais l'incident ne s'est pas arrêté là.
"Ils ont dit que Raja' devait venir au tribunal - alors qu'il avait 50 jours, j'ai dû l'emmener au tribunal. Ils ont dit 'Où est l'accusé Raja' ?' Je leur ai montré mon fils... Le juge a décidé que lorsqu'il aurait 16 ans, il devrait revenir au tribunal !"
Il est clair que lorsque l'affaire viendra au tribunal et qu'il sera évident que Raja' ne pouvait même pas s'asseoir ni tenir sa propre tête droite au moment de l'incident, et encore moins menacer quelqu'un, la situation sera grotesque. Rodni rit et convient que ce sera extrêmement embarrassant pour les Israéliens, mais la décision judiciaire court toujours. Raja' a maintenant 12 ans et dans quatre ans, il devra aller au tribunal pour expliquer son rôle dans l'incident !
Pendant que nous discutons avec Rodni, son mari Atta revient du travail, la tête couverte d'un bonnet de laine contre le froid de l'automne. Il parle avec éloquence de l'histoire de la Palestine et raconte ses souvenirs de la vallée de Al Baqa'a pendant la Guerre de juin 1967.
"J'avais cinq ans quand ils ont occupé la Cisjordanie . Je me souviens encore de ce jour-là. Les Israéliens bombardaient la population et l'armée jordanienne ici, ils ont tué peut-être 150 personnes. Tout le monde avait mis un keffieh blanc, comme un drapeau blanc, pour montrer que c'était une zone pacifique."
Après avoir parlé de l'histoire de la région et des menaces des colons et de l'armée israélienne, Atta décrit les défis de la vie de tous les jours dans la vallée de Al Baqa'a.
"Nous avons beaucoup de problèmes, ici ; il n'y a pas d'école pour nos enfants, nous n'avons ni clinique ni hôpital. Nous n'avons pas d'eau, alors que les colons ont de l'eau 24h/jour. Nous avons raccordé des tuyaux à la colonie après avoir fait tout une série de demandes à l'administration israélienne et aux compagnies d'eau. En 1998, nous avons fait une demande à la compagnie pour avoir de l'eau mais Israël l'a empêché. Selon les Conventions de Genève, vous êtes responsables de ceux que vous occupez, mais ils veulent nous faire partir de cette région, même si nous sommes les propriétaires de la terre depuis des centaines d'années."
Atta et Rodni refusent de se laisser abattre par les problèmes auxquels ils sont confrontés. Lorsqu'on l'interroge sur ce que réserve l'avenir pour sa famille, Atta ne répond pas directement à la question, mais en termes plus larges.
"Ce n'est pas que mon avenir, c'est l'avenir de tous les Palestiniens. Leur tragédie et leur souffrance s'amplifient tous les jours."
Source : Palsolidarity
Traduction : MR pour ISM
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