vendredi 18 février 2011

Gaza : "Je n’ai plus que vous", par Vera Macht

jeudi 17 février 2011
Il y a dans la bande de Gaza, et notamment près de la frontière avec Israël, des familles dans un état de dénuement et de drame terrible, lié aux assassinats par l’armée israélienne qui fait régulièrement des "cartons" sur femmes, enfants, paysans qui vivent dans cette zone. Vera, une militante d’ISM, qui vit depuis bientôt un an à Gaza, tire la sonnette d’alarme.
« Je n’ai plus que vous sur qui compter. A partir de maintenant mes enfants dépendent de vous » . C’est l’appel désespéré d’un homme qui ne voit aucun moyen d’en sortir pour lui et ses enfants. Et nous, membres de ISM (Mouvement international de solidarité) qui avons répondu à son appel téléphonique, le recevons dans un silence impuissant. Ce n’est pas la première fois que nous allons voir cette famille, et chaque fois que nous nous rendons chez elle, c’est toujours plus horrible.
La dernière fois que nous y étions, c’était le 14 juillet 2010, le lendemain de la mort de sa femme. Elle a été assassinée, il n’y a pas d’autre mot pour cela. Nasser Jabr Abu Said vit à Johr al-Dik, à 350 mètres de la frontière avec Israël. Le soir du 14 juillet, la femme de Nasser était dans le jardin avec deux autres femmes de la famille quand elles ont été visées par des projectiles d’artillerie tirés d’un tank proche. Avec des « flêchettes shell » (NdT : arme anti-personnel ) qui explosent dans l’air de sorte que 5 à 8000 clous transpercent gens et choses, dans un cône de 300m sur 100m. C’est une arme illégale.
La femme de Nasser n’a pas été touchée, mais la soeur de Nasser a été blessée à l’épaule ainsi qu’une troisième femme, Sanaa Ahmed Abu Said, 26 ans, à la jambe. La famille a cherché refuge dans la maison et appelé une ambulance qui n’a pu approcher parce qu’elle a été stoppée par un tir de canon, venant des soldats israéliens à proximité. C’est alors que Nema Abu Said, 33 ans, la femme de Nasser, a réalisé que le plus jeune de ses enfants, Nader, dormait dans le jardin. Alors que Nema se précipitait dehors pour le ramener et le mettre à l’abri, elle et son beau-frère ont été transpercés par des clous d’une autre « flêchette shell ». Il a fallu quatre longues heures avant que l’ambulance obtienne enfin la permission de venir aider la famille, mais alors Nema était morte.
Quand nous avions été voir cette famille pour la première fois, personne n’avait eu le coeur d’expliquer à Nader que sa mère était morte. Il n’avait pas arrêté de la réclamer tant que nous avions été là. Mais comment expliquer quelque chose comme ça à un enfant de trois ans ?
Mais quand nous sommes revenus, cette fois, tous les enfants ne savaient que trop bien ce qui était arrivé. Nasser expliqua qu’il ne pouvait plus vivre dans sa maison parce que les incursions presque quotidiennes, les bombes et les tirs avaient détruit leur psychisme déjà traumatisé, à un point tel qu’ils se réveillent toutes les nuits, hurlant, en plein cauchemar, leur lit trempé.
L’UNRWA (Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les Réfugiés Palestiniens au Proche Orient) louait pour cette famille un petit appartement - juste à côté du cimetière où leur mère est enterrée. « Je ne pouvais pas éloigner mes enfants de la tombe de leur mère. Seulement, il y a eu tant et tant de malheurs que je me suis soudain aperçu, une nuit, que l’un des enfants était parti, et je l’ai trouvé en larmes dans le cimetière. J’ai alors compris que je ne pouvais pas rester ici plus longtemps » nous a dit Nasser.
Sa solution est déconcertante. Il a dressé une tente près de la Croix Rouge, à quelques centaines de mètres de sa vieille maison. La Croix Rouge leur a apporté trois couvertures. Quand Nasser a réclamé d’être aidé davantage, on lui a répondu qu’il avait déjà reçu de l’aide. L’UNRWA indique qu’elle ne peut pas financer une nouvelle maison. Bien que reconnaissant en même temps qu’il y avait un grand danger à rester dans l’ancienne maison, celle-ci doit d’abord être détruite. Tant qu’elle n’est pas détruite, ils ne peuvent rien faire.
Sous cette tente, dans la pluie de l’hiver, Nasser dort maintenant avec ses quatre fils et sa fille, âgés de 3, 5, 8, 9 et 10 ans. Sur seulement deux matelas, parce que Nasser a dû brûler les vieux matelas presque toutes les semaines, tant ils étaient régulièrement mouillés par les enfants durant la nuit. Il n’y a pas assez d’argent pour de nouveaux matelas, ni pour acheter suffisamment de couvertures, de vêtements et d’uniformes scolaires pour les enfants, et pour leur transport scolaire. Il n’ose pas les envoyer à l’école avant qu’il fasse jour, ce qui veut dire qu’ils manquent deux heures de cours tous les jours. « Ils ont un besoin urgent d’aide psychologique » dit calmement Nasser ; il ne savait pas par quoi commencer quand nous lui avons demandé ce dont il avait le plus besoin. Ils ont eu une aide psychologique, pendant une courte période, le psychologue avait diagnostiqué qu’ils étaient dans le même état psychologique que lorsque leur mère était morte.
Quand une bombe est tombée il y a quelques jours, près de la maison, les enfants en panique ont réveillé leur père. Ils ont besoin que leur père s’occupe d’eux en permanence, mais ce n’est pas la seule chose qui l’empêche de gagner de l’argent. Nasser ne peut plus travailler sa terre, elle était trop souvent rasée par les Israéliens, se trouvant dans une zone tampon, dont une partie est devenue inaccessible. Et il n’a pas les moyens de travailler le reste de sa terre. Il n’a pas d’argent pour acheter des graines et planter quelque chose. « J’aimerais beaucoup planter de nouveau des aubergines, des choux, et des pastèques. Des moutons seraient aussi d’une grande aide. Mais les bombes ont complètement détruit mon système d’arrosage et je n’ai pas d’argent pour le refaire. Je suis vieux. », dit Nasser Abu,37 ans. « Pour moi ça n’a plus d’importance, mais que va-t-il se passer pour mes enfants ? Est-ce qu’ils n’ont pas le droit de vivre, le droit de grandir en sécurité et avec un peu de joie ? »
« A partir de maintenant, mes enfants dépendent de vous ». Cette phrase s’incruste dans l’esprit. Alors je fais ce qui est en mon pouvoir. J’écris à ce sujet. La misère de Nasser nous concerne tous. Ce n’était pas le destin, ce n’était pas une catastrophe naturelle. Il y a quelques années, Nema et Nasser Abu Said étaient une famille heureuse et joyeuse.
Vera Macht (Vera.Macht@uni-jena.de)
Vera Macht vit et travaille à Gaza depuis avril 2010. C’est une militante de la paix et elle rend compte de la lutte quotidienne du peuple de Gaza.
Nous relayons son appel à l’aide financier, tel que publié sur le site du musicien britannique Gilad Atzmon :
http://www.gilad.co.uk/writings/an-urgent-appeal-for-gaza.html
Voici ses coordonnées bancaires :
Vera Macht,
Account Number : 2007474881
Bank Code Number : 20130600
Bank : Barclays Bank PLC
Reason for Payment : 4906386296166705
BIC : BARCDEH1
IBAN-Nr. : DE02201306002007474881
CAPJPO-EuroPalestine
(Traduit par Carole SANDREL pour CAPJPO-EuroPalestiine)
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