dimanche 23 janvier 2011

Mahmoud Abbas a la tête d’un « état » policier finira-t-il comme Ben Ali ?

22 Janvier 2011
Il semblait naturel que les habitants de la Cisjordanie toujours occupée après l’échec de deux Intifadas successives veuillent célébrer le soulèvement Tunisien réussi. Mal leur en a pris. Mahmoud Abbas - qui vient même d’accepter que des mercenaires de Blackwater y assurent la « sécurité » - s’identifie beaucoup plus avec le président déchu de la Tunisie, Zine al-Abidine Ben Ali. Quand des Palestiniens se sont rassemblés à Ramallah mercredi dernier en soutien à la révolution en Tunisie Abbas a donné l’ordre à la police palestinienne d’empêcher les manifestations et d’interdire que des drapeaux tunisiens soient agités.
Une preuve de plus comme l’écrit Aisling Byrne - article traduit ci-dessous - que la Cisjordanie sous le régime de Mahmoud Abbas est entrain de devenir un état policier.
La Construction D’ Un Etat Policier
« Si nous construisons un état policier - qu’est qu’on fait vraiment ici ? » a demandé un diplomate européen répondant à des accusations de torture par les forces de sécurité palestiniennes. Le diplomate fait bien de se poser la question. Un état policier n’est pas un état. C’est une forme de vol des droits du peuple de ses aspirations et sacrifices pour le bénéfice personnel d’une élite. Ce n’est pas ce que le monde veut dire quand il appelle à la constitution d’un état. Mais un état policier c’est ce qui est entrain d’être insidieusement établi en Palestine dissimulé sous la forme d’un état et d’une bonne gouvernance. Cette dissimulation vise à faciliter l’autoritarisme créant suffisamment de dépendance populaire - et de peur - pour étrangler toute opposition.
La transition d’une noble aspiration à un état à un plan visant à faire entrer les Palestiniens de Cisjordanie dans un nouvel endiguement allégé - une nouvelle forme d’occupation gérée à distance - n’est pas le fait d’une erreur malheureuse. Les racines de cette manipulation de l’aspiration palestinienne pour la transformer en son contraire - déguisée cyniquement et vendue comme la création d’un état - se trouvait là dés le départ. Le professeur Yezid Sayyigh a montré comme la rhétorique des US et de l’UE « faisant la promotion d’un développement de la démocratie et de l’état de droit est au mieux un vœu pieux au pire une tromperie». Les deux, l’Amérique et l’Europe portent l’entière responsabilité de cette trahison.
A l’origine de cette tromperie qui allait se développer sous forme d’un état policier dans la région il y a l’acceptation par les US et les Européens de la définition personnelle que donne Israël de ses besoins sécuritaires - - et par extension la définition par Israël des exigences de collaboration des forces de sécurité palestiniennes. Ce pacte Faustien qui assure la priorité des critères de sécurité tels que définit par Israël comme limites aux négociations - - au dessus de tout principe de justice - - est à l’origine de l’inflation inévitable des demandes d’Israël pour une collusion sécuritaire avec la direction palestinienne - - demandes que la « guerre contre le terrorisme » de l’Amérique a accru.
Le raisonnement occidental tordu dissimulé c’était que si la solution à deux états était dans l’intérêt de la partie dominante tout ce que les Palestiniens devaient faire c’était de montrer qu’une solution stable à deux états était à la disposition d’Israël. Et finalement cela se ferait car c’était dans l’intérêt démographique d’Israël. Sur ces fausses promesses la direction de Ramallah dirigée par Abbas a adopté la collusion sécuritaire sans difficulté. Le projet occidental de construction d’un état a été simplement conçu dans le but de fournir une efficacité palestinienne pour faciliter cette collusion sécuritaire soigneusement enveloppée dans un discours de réformes sécuritaires et de bonne gouvernance. Mais le problème c’est que ce raisonnement - - qu’Israël donnerait aux Palestiniens un état souverain dans son propre intérêt - - était faux.
Si la construction d’un état palestinien est vue comme un pacte avec les institutions palestiniennes pour construire et faciliter une collusion sécuritaire - - en espérant que cela poussera Israël à voir comme étant dans son propre intérêt de donner un état aux Palestiniens - - alors tout l’ensemble de la Matrice de la politique occidentale devient claire. C’est un pré requis d’Oslo et des accords qui ont suivi que l’AP devrait travailler avec l’armée israélienne - - « avec la participation d’officiers de sécurité US « - - pour battre et démanteler toute opposition à son plan, et, comme l’a rappelé Mme Clinton à Mahmoud Abbas l’année dernière cette demande s’étend au Hamas - - sauf s’il accepte les conditions du Quartet.
Cette politique n’est pas nouvelle. C’est une politique américaine établie de longue date de contre insurrection remontant à la campagne US au début des années 1900 contre les « rebelles » philippins et adoptée dans les conflits qui ont suivis. Cette doctrine combine un appareil sécuritaire dur n’ayant de compte à rendre à personne à une «pacification bienveillante» : des hommes fort de l’appareil sécuritaire contrôlent les secteurs des affaires et de la finance.
Dans le contexte palestinien cette pacification a acquis une signification bien plus étendue que la demande originelle d’Oslo d’une collusion avec Israël pour démanteler et détruire les opposants à Oslo. En fait, le concept est utilisé pour créer une architecture et une élite politico sécuritaire et économique pour appliquer une pacification bienveillante. En retour les élites reçoivent des avantages matériels importants et des privilèges. Cette architecture politique et sécuritaire a eu un tel succès pour normaliser la situation en Cisjordanie que l’assistant à la secrétaire d’état US de l’époque l ‘a salué comme étant «le meilleur gouvernement de l’Autorité Palestinienne dans l’histoire».
Ces oligarches dominent les positions clés politique économique et sécuritaire et dans de nombreux cas possèdent et dirigent des entreprises principales dans le nouveau paysage palestinien. Un exposé récent publié par Reuters documentant « le rôle croissant de Washington dans le secteur privé palestinien dominé par un petit groupe de riches entreprises et d’investisseurs liés à un réseau de fonds croisés » visait les deux fils de Mahmoud Abbas tous les deux ayant bénéficiés de contrats de plusieurs millions de dollars d’USAID dont l’un d’eux « pour améliorer l’image de L’Amérique dans les territoires palestiniens ». Un autre oligarche - - qu’on dit à la solde de la CIA et des services secrets britanniques - - c’est Mohammed Dahlan, qui de sa position comme chef de la sécurité à Gaza supervisait l’utilisation des points de passage et le monopole pétrolier établi avec la société israélienne Dor, qui lui a rapporté dit-on des millions de dollars ( une enquête du Fatah est actuellement en cours sur Dahlan). Les remarques du premier ministre Salam Fayyad lors d’un discours de remerciement à Mme Clinton après avoir reçu 150 millions de $ pour l’AP en Novembre dernier résume parfaitement la situation générale d’une dépendance ainsi créée. « Il n’y a aucun signe de progrès visible sur le terrain actuellement en Palestine qui ne porte pas l’empreinte charitable de l’USAID ».
L’appareil sécuritaire mis en place en tandem avec une seconde génération de monopoles et de concentration de pouvoirs économiques sont pratiquement tous opaques sans compte à rendre. En effet le contrôle final reste aux mains d’Israël et de la CIA et d’autres services de renseignements. Des diplomates occidentaux et des fonctionnaires ont décrit la relation entre la CIA et les deux organisations palestiniennes chargées de la sécurité responsables pour la plupart des actes de torture contre des supporters du Hamas comme étant « tellement proches que l’agence américaine semble superviser le travail palestinien ». Suite à la victoire du Hamas aux élections de 2006 le financement de ces appareils de sécurité a été augmenté et continue de l’être secrètement. Ces fonds sont fournis clandestinement par des donateurs occidentaux et leurs alliés régionaux.
Une augmentation principale de ces fonds clandestins c’est le financement officiel des pseudos « Bataillons de Dayton » des forces paramilitaires entraînées et financées par les Américains et certains Européens sous l’ex direction du Gl Keith Dayton - - et qui comprennent actuellement plus de 8000 hommes armés. Ces bataillons ont remportés un tel succès - - des statistiques montrent qu’il y a eu une augmentation de 72% d’activités coordonnées entre les forces palestiniennes et israéliennes - - que même de hauts commandants de l’armée israélienne ont demandé combien de ces « nouveaux Palestiniens » Dayton pouvait créer et avec quelle rapidité ?
Les recrues des bataillons Dayton ont une seule allégeance. Chaque recrue doit être acceptée par Israël, l’AP, le gouvernement jordanien et une base de données US. Israël note le numéro de série de chaque arme délivrée aux forces de sécurité palestiniennes- - et conserve un droit de véto sur tous les équipements fournis. Même les performances des forces de sécurité palestiniennes sont déterminées par Israël : comme l’a expliqué un diplomate occidental le principal critère c’est la satisfaction israélienne : « si les Israéliens nous disent que cela marche alors nous considérons cela comme un succès ».
Les donateurs de toutes tendances - - y compris l’ONU - - financent la construction des infrastructures de la Matrice pour le secteur sécuritaire y compris des prisons : UNDP financent 52 prisons - - « plus de prisons que d’écoles » a dit un analyste de la sécurité lors d’une visite récente en Cisjordanie, des nouveaux bâtiments et camps pour les forces de sécurité dans 8 villes palestiniennes ( chaque service de renseignements à son propre centre de détention dans chaque ville), une académie et tout un tas de collèges de formation, des baraquements pour les forces de sécurité et d’autres installations. La principale cible de toute cette infrastructure sécuritaire c’est le Hamas. Des campagnes pour officiellement rétablir l’ordre public ont fourni une couverture pour réprimer le Hamas et des ONG des droits de l’homme ont documenté le fait que plus de 10 000 supporters du Hamas ont été arrêtés par les forces de sécurité de l’AP depuis 2007.
Le ratio actuel police/sécurité - population en Palestine est de 1 pour 80 non seulement c’est le plus élevé au monde mais c’est aussi financièrement insoutenable. (caractères gras ndlt)
La torture des détenus de l’opposition principalement du Hamas par les forces de sécurité palestiniennes est habituelle. « En fait» note un diplomate occidental « les officiers des renseignements US ont connaissance de la torture et ne font rien pour la stopper.» Quiconque a des tendances islamistes supposées se voit refuser un travail ou est chassé du secteur public (car pour être employé de même que pour faire partie du conseil d’administration de toute société civile il faut un certificat de bonne conduite délivré par les services de sécurité).
Le Gl Majd Faraj commandant des services de renseignements de Cisjordanie a résumé lors d’une réunion conjointe avec l’armée israélienne sa vision :
I[« il n’y a pas de rivalité entre nous… nous avons un ennemi commun …on ne joue plus. Le Hamas est l’ennemi. Nous avons décidé de lui faire la guerre. Il n’y aura pas de dialogue… Vous avec fait une hudna ( trêve) avec eux. Nous pas. »]i
Les objectifs sécuritaires détaillés qui selon certaines sources ont été approuvées par Mahmoud Abbas - qui a reconfirmé son engagement à respecter ces principes le mois dernier malgré son passé conflictuel sur ce point- lors d’une conversation avec d’anciens officiers de la sécurité israéliens sont contenus dans une annexe à l’initiative de Genève. Ils incluent la démilitarisation de l’AP , les limites des armes en sa possession, et une présence israélienne dans l’état palestinien démilitarisé et le déploiement de bataillons d’infanterie, un israélien et 3 de forces multinationales dans la Vallée du Jourdain - - en principe pour 36 mois. Ils envisagent également la participation israélienne aux postes frontaliers avec la Jordanie et l’Egypte ainsi que des survols israéliens du territoire palestinien.
En plus Salam Fayyad a proposé au ministre de la défense israélien que l e nombre de postes de police palestinienne en Cisjordanie soit doublé et qu’Israël réduise le nombre de barrages routiers les tâches de ceux ci étant dévolues aux forces de Dayton. Fayyad a déjà cherché à obtenir l’autorisation pour que le nombre de bataillons Dayton soit doublé passant de 12 à 25.
La Démocratie, élément clé autrefois du plan de construction des institutions a complètement disparu. Ayant chassé les responsables du Hamas élus de leurs postes sous prétexte de mauvaises performances les institutions démocratiques chargées du contrôle suspendues et les élections locales repoussées récemment l’AP opère en fait dans un cadre législatif ad hoc sans compte à rendre. L’état de droit fonctionne à coup de décrets prit par un président dont la légitimité est contestée. Le mandat officiel d’Abbas s’est terminé en Janvier 2009 et le premier ministre et son cabinet sont nommés par le président fonctionnant en fait sans base constitutionnelle.
A la place d’institutions responsables Mahmoud Abbas a proposé la création d’un nouveau Conseil Général - - composé de 451 membres. Il regrouperait le Comité Central du Fatah et le Conseil Révolutionnaire tous les autres membres seraient directement nommés par Abbas. Selon des sources crédibles Abbas a déjà utilisé un nouveau comité au sein de l’OLP pour approuver des décisions qu’il savait seraient rejetées par les institutions dirigeantes existantes et qui comme le fait remarquer un analyste : « donnent en fait à Abbas le pouvoir de remplacer d’actuels membres des institutions dirigeantes : les membres dépendent en fait d’Abbas pour leurs positions ».
Dans le secteur financier on a également une absence de compte à rendre par exemple le Palestine Investment Fund ( PIF). Créé sous la direction d’un certain nombre d’institutions US en 2002, le but du PIF était de fermer les comptes en banque secrets de la période Arafat dans lesquels des milliards avaient été siphonnés et de transférer les fonds à la trésorerie palestinienne. A l’origine sous le contrôle du ministre des finances et de l’ancien conseiller économique d’Arafat, Mohamed Rashid, l’homme d’argent secret d’Arafat, le conseil d’administration du PIF devait comprendre des représentants du secteur public et privé dont 3 ministres. En 2004 il détenait 4 milliards de $. Mais à la suite des élections de 2006 Abbas a amandé les articles d’association du PIF par décret : toutes les personnalités publiques - - inclus tous les ministres dont Fayyad - - ont été démis et le PIF est passé sous contrôle de l’OLP. Actuellement comme l’a expliqué un ancien haut responsable palestinien « le conseil d’administration est fréquemment révisé en fonction des préférences d’un très petit cercle dans la Muqata’a qui contrôle le PIF ». On ne sait pas si les amendements par décret présidentiel sont légaux mais plus important : « si la raison d’être de la création du PIF c’était de récupérer les fonds sur ces comptes externes et de les reverser sur la trésorerie nationale comme l’avaient demandé à Arafat la Banque Mondiale et le FMI alors pourquoi ces institutions et la communauté des donateurs détournent t -elles désormais la tête ? »
Les éléments classiques de la stratégie de la contre insurrection sont effectivement mis en place en Palestine :
- la création d’une élite palestinienne s’engageant à œuvrer pour ce plan américano israélien
- la mise sur pied de services de sécurité qui ne font allégeance qu’à l’élite pro américaine
- le contrôle total de l’économie
- la destruction de toute opposition à ce plan
- l’emploi et l’aide étrangère visant à fournir des avantages économiques à la population - - amélioration de la qualité de vie - - au moins suffisante pour faire croire à un semblant de soutien populaire pour dissimuler le caractère odieux de cet autoritarisme
- la dépendance financière du peuple aux élites.
C’est à ce niveau qu’est descendue la création d’un état.
Démilitarisation totale - -jusqu’à l’extrême - - c’est devenu une occupation sous un autre nom. Et dans ce processus toute tentative de construction nationale a été éliminée de même que l’a été toute mobilisation de la nation palestinienne sous l’égide d’une OLP réformée. Mais tout ceci bien sûr c’était ce qu’on espérait détruire.
Aisling Byrne 18/01/2011
Article en anglais
Aisling Byrne est Coordinateur de projets pour le « Conflicts Forum » et est basé à Beyrouth.  
Myriam Abraham