vendredi 14 janvier 2011

En Cisjordanie, la difficile mission d’un « chasseur de colonies »

publié le jeudi 13 janvier 2011
Karim Lebhour

 
Les Palestiniens n’ont la maîtrise légale de leur sol que dans les portions de territoires dont Israël s’est officiellement retiré, c’est-àdire les zones A et B des accords d’Oslo (40 % de la Cisjordanie). Israël considère les 60 % restants (zone C) comme des « territoires disputés ».
Les rues tracées au cordeau, les pelouses bien taillées et les rangées de petites maisons parfaitement alignées donnent à Kochav Yaakov des allures de banlieue américaine au cœur de la Cisjordanie. Depuis sa fondation en 1985, cette implantation juive près de Ramallah a triplé de volume, grignotant les terres des villages palestiniens alentour. Kochav Yaakov et Tel Zion, son extension ultraorthodoxe, croissent rapidement.
En plusieurs endroits, grues et bulldozers déblayent le terrain pour de nouveaux logements, tous construits sur le même modèle, rapide et bon marché, qui se vendront à 30 % du prix d’une habitation équivalente à Jérusalem. Au volant de son 4 × 4, Dror Etkes note et photographie tous les travaux en cours. « Depuis la fin du gel de la colonisation (le 27 septembre 2010, NDLR), les colons construisent à toute vitesse. C’est du jamais-vu ! s’exclame-t-il. Je le prends comme un signe d’inquiétude. Ils essayent de bâtir avant d’en être empêchés. »
Cet ancien guide touristique israélien parcourt depuis près de dix ans les 121 colonies et les cent avant-postes de Cisjordanie dans lesquels vivent 300 000 Israéliens, avec pour mission d’établir la propriété des terres sur lesquelles sont établies les constructions. Inutile de compter sur le cadastre. Il n’y en a pas. Les « cadastrages » commencés par les Ottomans, puis poursuivis par les Britanniques et les Jordaniens, n’ont jamais été achevés.
« Les deux tiers de la Cisjordanie ne sont pas enregistrés et l’accès aux données existantes est verrouillé par les autorités israéliennes. Identifier les propriétaires palestiniens est très difficile. Quand j’y parviens, je passe les informations à des juristes », explique Dror Etkes.
Avec l’aide d’organisations israéliennes, ce « chasseur de colonies » a déjà initié une vingtaine d’actions en justice pour le compte de propriétaires palestiniens lésés qu’il aide à naviguer dans le système bureaucratique par lequel Israël contrôle plus de la moitié des terres de Cisjordanie. Il sourit de certains subterfuges, comme la passion récente des colons pour les enclos à chevaux : « On en voit partout ! C’est un moyen d’occuper un terrain sans enfreindre l’interdiction de construire. »
Dror Etkes arrête son véhicule devant un terrain en friche de Tel Zion. Les rangées de mobilehomes tracées au sol sont restées vides. « Nous avons pu prouver que l’extension se faisait sur le terrain privé d’un Palestinien et faire arrêter les travaux. » Quelques dizaines de mètres plus loin, en revanche, les travaux continuent. « Ce sont des terres d’État. Nous n’avons aucune chance », explique-t-il, pointant la démarcation sur l’écran de son ordinateur portable.
En juxtaposant des photos aériennes avec les données arrachées à coups de procès à l’administration militaire, Dror Etkes est parvenu à cartographier avec précision le statut juridique des terres de Cisjordanie. « Nous avons au moins réussi à ralentir les constructions sur les terres privées. Si nous avions eu cet outil vingt ans en arrière, la carte des colonies serait sans doute très différente », soupire-t-il.
Kochav Yaakov et Tel Zion ont été fondés sur des terres domaniales, puis étendus sur des terres privées. Selon un rapport rédigé en 2006 par l’association « La paix maintenant », 40 % des terres des colonies israéliennes ont été confisquées à des propriétaires palestiniens.
« Les propriétaires terriens possèdent rarement leur acte de propriété, note Khalil Toufakji, directeur du département de cartographie à la Société des études arabes. Dans les villages, on se contente le plus souvent du droit coutumier, mais ce flou juridique alimente les conflits entre familles et profite à Israël. »
Les Palestiniens n’ont la maîtrise légale de leur sol que dans les portions de territoires dont Israël s’est officiellement retiré, c’est-àdire les zones A et B des accords d’Oslo (40 % de la Cisjordanie). Israël considère les 60 % restants (zone C) comme des « territoires disputés ».
Dès la conquête de 1967, l’armée a commencé à saisir des terrains pour « raisons sécuritaires », avant de les donner aux premiers colons. Une quarantaine de colonies ont été fondées de cette façon. En 1979, un arrêt de la Cour suprême israélienne a mis fin à cette pratique. Pour contourner l’interdiction, les autorités israéliennes ont déclaré « terres d’État » les terrains non enregistrés et non cultivés.
« L’État s’est basé sur une série de lois ottomanes autorisant le Sultan à saisir les terres non inscrites au cadastre et en jachère depuis au moins trois ans. Du jour au lendemain, 100 000 hectares sont devenus propriété d’Israël. C’est le principal réservoir pour l’extension des colonies », constate Dror Etkes en balayant du regard les collines pelées du désert de Judée.
Les tours de passe-passe juridiques frisent parfois l’ubuesque. Quelques dizaines de kilomètres plus au nord, les autorités israéliennes viennent d’exproprier plusieurs dizaines d’hectares des villages palestiniens de Beit Iksa et Beit Surik, pour permettre le passage d’une ligne de train rapide entre Jérusalem et Tel-Aviv. La procédure est légale, si le projet sert également la population locale.
« Les autorités ont trouvé un petit truc, pointe Dror Etkes. Sur le papier, il est fait mention d’un prolongement possible de la ligne de train jusqu’à… Ramallah ! » L’administration israélienne pariant sans doute que, quand la paix viendra, tout le monde prendra le train !
"En médaillon : « Dans les villages, on se contente le plus souvent du droit coutumier, mais ce flou juridique alimente les conflits entre familles et profite à Israël », explique Khalil Toufakji.