mardi 5 octobre 2010

Étranglés par l’aide

Palestine Monitor
publié le lundi 4 octobre 2010.
3 octobre 2010
Une conférence de deux jours à l’université de Birzeit la semaine dernière a réuni des universitaires du monde entier pour débattre de l’un des problèmes les plus complexes de la Palestine : l’aide.
Le Dr Sara Roy, principale oratrice, y soutient que l’aide a dépolitisé les causes profondes de la souffrance palestinienne. En se focalisant exclusivement sur les aspects humanitaires de l’occupation, les donateurs en effet privent les Palestiniens de leur expression et de leur droit à l’autodétermination. Reconnaissant les effets néfastes de l’aide, notamment la question de la dépendance, les participants ont recherché quelles peuvent être les alternatives à un système qui faillit malgré ses gros budgets.
Les Territoires palestiniens occupés font partie des plus grands bénéficiaires d’aide par habitant au monde. En 2008, 1,8 milliard de dollars ont été alloués à l’Autorité palestinienne (AP), 700 millions à des projets spécifiques, et 500 millions en aide humanitaire, selon les statistiques du Consulat français à Jérusalem.
Sur ces grosses sommes d’aides qui affluent sur les Territoires palestiniens occupés, on ne sait pas vraiment combien arrivent jusqu’à à la population palestinienne. Un récent rapport de la Banque mondiale révèle qu’entre 1999 et 2006, le PIB palestinien a baissé de 40%, contraignant un tiers des ménages à la pauvreté. Alors que l’aide aux Palestiniens est censée aider à conforter leur économie, c’est le contraire qui se produit.
Un message sans cesse répété lors de la conférence est que cette aide compromet sérieusement l’autosuffisance palestinienne, entravant toute possibilité de développement à long terme et rendant les Palestiniens dépendant des donateurs étrangers. Des stratégies de développement et d’aides doivent d’urgence être examinées.
Les échecs sont illustrés par l’aide alimentaire à la Palestine. En 2008, 36% des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie étaient confrontés à l’insécurité alimentaire. Samia Al-Botmeh, l’une des organisateurs de la conférence de Birzeit, fait valoir que l’insécurité alimentaire résulte essentiellement d’un dysfonctionnement de l’aide qui vient de la communauté internationale, laquelle considère l’insécurité alimentaire comme un problème d’ordre technique ou naturel, au lieu de s’attaquer aux problèmes fondamentaux de la limitation des accès et des déplacements.
Les problèmes politiques posés par l’occupation réduisent l’aide alimentaire à traiter les symptômes de l’insécurité alimentaire au lieu de ses causes, refusant de voir ainsi les conséquences des stratégies d’Israël pour limiter l’expansion des Palestiniens. Les aides alimentaires atténuent les effets les plus graves et maintient la population en vie, mais dans le même temps, elles créent une situation d’occupation durable. Pire, les actes de la communauté des donateurs absolvent Israël de ses responsabilités légales en tant que puissance occupante issues de la Quatrième Convention de Genève qui oblige l’occupant à répondre aux besoins de la communauté occupée.
Hassan Jabareen, fondateur de l’organisation Adallah pour la défense des droits des Palestiniens, exprime une critique très argumentée de l’aide humanitaire, selon laquelle l’aide a dépouillé les Palestiniens de tous leurs droits. Il soutient que cette aide les a réduits à n’être que de simples victimes maintenues en vie grâce à l’aide alimentaire, normalisant le déni de leur citoyenneté et de leur droit à l’autodétermination.
L’aide doit être réorganisée afin de servir la cause palestinienne de manière durable, de briser le syndrome de dépendance. Il y a des désaccords pour déterminer d’où doit venir l’impulsion pour ce changement, d’en haut, d’en bas, de la communauté internationale des donateurs, ou de la volonté populaire palestinienne.
Nora Murad, fondatrice de la fondation Dalia – organisation de développement à base communautaire – avance dans ses grandes lignes une solution au problème de dépendance à l’aide en Palestine. En se concentrant sur ce dont la population dispose comme ressources, et non sur l’argent qui lui manque, la population peut être sensibilisée sur ses capacités et possibilités. Dalia conseille une rupture avec les autorités des secteurs humanitaires internationaux pour permettre aux Palestiniens de décider eux-mêmes comment utiliser les ressources financières.
Selon Dalia, un système de philanthropie est la réponse adéquate. International ou Palestinien, quiconque peut être « donateur ». Les dons peuvent être remis aux communautés sans conditions préalables sur la façon d’utiliser cet argent. De cette manière, la distribution de l’aide se fait sur une base démocratique. Ce sont les bénéficiaires qui sont responsables devant leur propre communauté et non pas les ONG étrangères ou les institutions mondiales. La solidarité est le principe clé de ce projet, elle vise à rapprocher les communautés entre elles et contourne les intérêts extérieurs au secteur de l’aide.
Dalia a récemment lancé un projet pilote dans le village de Saffa (à une vingtaine de km à l’ouest de Ramallah), responsabilisant les habitants du village en les laissant décider comment redistribuer les 12 000 dollars d’aides aux comités locaux. Des schémas similaires ont prouvé leur efficacité au Brésil, où les transferts d’argent ont réduit le niveau de la pauvreté de 10% à travers le pays.
Même si le projet se base sur les valeurs humaines, démocratiques, il reste pourtant la question de savoir si ce type d’aide est réaliste à une plus grande échelle. Cette sorte de soutien décentralisé, plus diffus rendrait-elle les Palestiniens moins dépendants des principaux donateurs de l’USAID (agence des USA pour le développement international), de l’Union européenne ou de l’UNRWA (Office des Nations unies pour les réfugiés de Palestine) ? Peut-elle être une solution aux problèmes économiques auxquels les Palestiniens sont confrontés aujourd’hui ?
Quels que soient les doutes qui peuvent monter à propos de ce nouveau type d’aide, le changement au niveau local doit être adopté par la population afin d’inciter les donateurs internationaux à repenser leur politique sur la Palestine et Israël. De cette façon, comme Sara Roy le demande, la communauté des donateurs peut habiliter la population palestinienne à exprimer ses droits politiques pour atteindre le Saint-Graal de l’autodétermination. Toutefois, une autre question se pose, sa mise en œuvre est-elle souhaitée par la communauté internationale.
Pour s’informer sur la Fondation Dalia : http://www.dalia.ps/
http://www.palestinemonitor.org/spip/spip.php?article1556
traduction : JPP
Palestine Monitor