vendredi 10 décembre 2010

Tourisme durable ou maintien de l'occupation israélienne ?

Cisjordanie - 09-12-2010
Par Charlotte Silver > charlottesilver@gmail.com

Charlotte Silver est une journaliste basée en Cisjordanie et travaille pour le Palestine Monitor
Sur un ton résolument optimiste, l'Initiative de Tourisme Rural Durable a été lancée le mois dernier par deux jours de conférence à l'Université Birzeit, en Palestine occupée. Les organisateurs, les intervenants et les responsables du gouvernement de l'Autorité palestinienne sont apparus optimistes et festifs tandis qu'ils exposaient le projet de créer une industrie touristique rurale indépendante et florissante en Cisjordanie occupée. Selon les animateurs, ce secteur privé en plein essor peut servir d'étape vers l'édification d'un Etat palestinien indépendant. Toutefois, sous occupation israélienne, la mise en œuvre de quoique ce soit de "durable" semble incertain, voire douteux.














Le docteur Khould Daibes, Ministre du Tourisme pour l'Autorité palestinienne (AP) basée à Ramallah, a clairement exposé sa vision de la construction du tourisme en Cisjordanie. Lors de la conférence, elle a déclaré que "la réalisation du projet d'un Etat doit aller de pair avec le développement du tourisme rural."
Le tourisme rural durable vise à exploiter l'abondance d'attractions historiques, naturelles et religieuses dans toute la Cisjordanie occupée qui doivent encore être adaptées à la consommation touristique. La théorie est qu'en investissant dans le secteur privé local dans des zones souvent négligées de la campagne cisjordanienne, le tourisme rural génèrerait des emplois vitaux et des revenus pour les habitants, stimulant ainsi une économie palestinienne indépendante.
Un des intervenants à la conférence, Hijazi Eid, guide touristique de Cisjordanie et directeur de Masar Ibrahim al-Khalil (le Chemin d'Abraham), qui propose des visites guidées à pied en Cisjordanie occupée, a appelé au "transfert de propriété" du tourisme. Incriminant le contrôle trop important des donateurs étrangers, comme l'Agence états-unienne pour le développement international (USAID) et les gouvernements d'Allemagne et du Japon, Eid a insisté sur le fait que le tourisme devait appartenir à la population locale.
Il existe en effet des raisons tangibles de mettre de l'espoir dans le tourisme comme atout financier viable pour la Palestine en ce moment. Selon Saeb Bamya, le coordinateur palestinien du Groupe d'Aix, une institution de recherche économique palestino-israélienne, le tourisme en Cisjordanie occupée est à un niveau record depuis le début de l'occupation de juin 1967 et on pense qu'il atteindra un million de touristes cette année. Bamya a déclaré : "Je puis vous assurer que le tourisme est l'un des secteurs privés les plus importants en Palestine. Je crois que ce secteur ferait un boom rapide si nous étions dans une situation normale."
La déclaration de Bamya touche au cœur de la sorte d'espoir déformé qui est ressorti de la conférence : un sentiment de normalité dans une situation complètement anormale. L'occupation de la Cisjordanie, tout en permettant en apparence une croissance économique, a néanmoins tronqué la capacité de la Palestine à se développer de façon indépendante. De plus, à la lumière de la fragmentation du paysage physique de la Cisjordanie, avec les checkpoints israéliens intimidants et peu commodes, et le refus d'Israël de coopérer avec l'Autorité palestinienne pour l'aider à développer son secteur touristique, l'initiative de "tourisme rural durable" ressemble plus à de la mauvaise foi qu'à une grâce salvatrice.
Dawood Hamoudeh, de la Coalition Stop the Wall, est extrêmement critique sur la promotion de tout projet enraciné dans le cadre de l'occupation et décrit comme "durable". Soulignant la suprématie inhérente d'Israël quand il s'agit de capter le tourisme vers cette région, Hamoudeh affirme que le Ministre palestinien du Tourisme est dans l'incapacité de tenir quelque que promesse que ce soit tout en étant sous occupation.
A l'heure actuelle, les Palestiniens vivant sous occupation sont eux-mêmes coupés de l'accès aux parties les plus belles et les plus importantes de Cisjordanie. Par exemple, les checkpoints surpeuplés rendent l'accès à Jérusalem et à Bethléem atroce et souvent impossible.
Selon Hamouded, le tourisme domestique en Palestine représente plus de la moitié de l'activité touristique en Cisjordanie occupée. Hamouded pense que l'AP doit s'attaquer aux effets invalidants qu'a l'occupation israélienne sur la mobilité des Palestiniens si elle est sérieuse quand elle parle de développer le tourisme : "Si l'AP ne peut pas trouver une alternative à ce problème, en retirant les checkpoints par exemple, alors la moitié de l'industrie touristique sera paralysée. Il s'agit de l'occupation et de la restriction de mouvement des Palestiniens."
Alors que certains intervenants à la conférence de Birzeit reconnaissaient les inconvénients que l'occupation israélienne représente pour le tourisme, il y eut un silence béant sur les obstacles réels et peut-être insurmontables qui existent.
Faisant référence à la Cisjordanie occupée, le Ministre du Tourisme Daibes a hardiment affirmé : "Nous ferons la promotion de la Palestine comme site et attraction touristique indépendante, en dépit des restrictions de l'occupation et de la destruction délibérée de nos sites de patrimoine culturel."
Selon Bamya, Israël a un intérêt politique spécifique à empêcher un secteur touristique prospère, ou n'importe quel secteur privé, en Palestine : renforcer l'économie palestinienne conforterait la position de l'AP pendant les négociations avec Israël.
De plus, Bamya a continué à jeter le doute sur la viabilité de la relance du secteur touristique des populations locales sans un investissement étranger important : "La Palestine reçoit d'énormes sommes d'argent comparé à son PIB. L'argent des donateurs sert à survivre, au lieu d'être utilisé pour l'investissement et le développement."

Tourisme à Bethléem (Luay Sababa/MaanImages)
Hamouded estime toutefois que les Palestiniens sont très désavantagés lorsqu'il s'agit de capter le tourisme vers la région. Pour le moment, les touristes attirés par la Cisjordanie font des excursions d'une journée dans des endroits comme Bethléem, mais dépensent l'essentiel de leur argent en Israël. Selon des rapports du Ministère du Tourisme et du Bureau des Statistiques de l'AP, en 2007, 509.000 touristes sont allés à Bethléem, mais seulement 88.000 ont séjourné dans les hôtels de la ville.
En outre, Israël vient de lancer une énorme campagne de relations publiques en Occident pour promouvoir le tourisme dans le pays – sa récente entrée à l'OCDE atteste de ses efforts concertés pour normaliser et pacifier son image.
Hamoudeh cite l'appropriation du tourisme à Jérusalem Est occupée par Israël comme emblématique de sa domination générale et de son contrôle du secteur touristique. Parlant du quartier Silwan à Jérusalem Est, Hamoudeh explique que l'ordre en cours de démolir 88 maisons palestiniennes est lancé pour accueillir un projet qui attirera les touristes sur le site archéologique la "Cité de David". De plus, il y a dans le quartier adjacent Sheikh Jarrah trois grands hôtels israéliens – ou colonies – et, près de la colonie Har Gilo, sur la route de Bethléem, 13 hôtels sont actuellement en construction. Selon l'Office israélien municipal du tourisme, Israël projette d'arriver à 32.000 chambres d'hôtel d'ici 2025 à Jérusalem Est, et espère atteindre 10 millions de touristes d'ici là.
Il est difficile de ne pas voir une similitude entre la promotion de Daibe d'un tourisme indépendant et le projet d'établissement d'un Etat du Premier ministre nommé par l'Autorité Palestinienne, Salam Fayyad, qui a été critiqué comme un mirage d'indépendance réelle et dépendant de l'aide étrangère, créant l'illusion d'une croissance économique. Les deux dépendent du maintien de l'occupation et de sa réalité économique sauvage pour les Palestiniens.
Comme l'explique Hamoudeh, "Ce qui a eu lieu ces quatre dernières années est un jeu médiatique pour dire que le gouvernement Fayyad est meilleur que le gouvernement Hamas [à Gaza]. Parce que si vous regardez les autres projets – comme le projet industriel dans la Vallée du Jourdain – ils en parlent depuis trois ans, mais rien n'e s'est passé sur le terrain."
Même si l'objectif de développement du tourisme, en particulier le tourisme rural, a peut-être eu, au départ, des intentions socialement bienveillantes, il ne peut pas transcender les barrières économiques que crée l'occupation israélienne dans tous les aspects de l'économie palestinienne.