samedi 4 décembre 2010

Les miasmes de Wiki

publié le vendredi 3 décembre 2010
Susan Abulhawa

 
De prime abord, on peut penser que ce genre de chose redonne du pouvoir au peuple. Que cela nous renforce par de vraies informations et rappelle à ceux qui sont au pouvoir qu’ils doivent compter avec l’opinion.
Puis, vous prenez un moment pour réfléchir. Et c’est alors que les lacunes dans ces histoires vous apparaissent évidentes.
Plus d’un quart de millions de dépêches diplomatiques, marquées « secret », « confidentiel », ou « non classifié » - reçues ou émises par le département d’Etat US ont été « fuitées » vers le public, probablement par un dénonciateur. De prime abord, on peut penser que ce genre de chose redonne du pouvoir au peuple. Que cela nous renforce par de vraies informations et rappelle à ceux qui sont au pouvoir qu’ils doivent compter avec l’opinion.
Puis, vous prenez un moment pour réfléchir. Et c’est alors que les lacunes dans ces histoires vous apparaissent évidentes.
Bien que WikiLeaks prétende fournir un contrepoids à des décennies de désinformations servies en masse par les « vieux médias », c’est quand même à ces mêmes vieux médias qu’il donne l’occasion de mener des enquêtes approfondies sur ses documents. D’autres médias hautement respectés, comme Al Jazeera et bien d’autres médias indépendants, en sont exclus. Je trouve cela bizarre, pour commencer.
Si nous jetons un coup d’œil sur les dépêches proprement dites, ce qui se remarque le plus dans ces notes, secrètes et confidentielles, c’est ce qui ne s’y trouve pas. Soit, seules 290 ont été effectivement publiées jusqu’ici. Mais on paraît bien loin d’une coïncidence quand presque toutes les dépêches émises ou reçues par les Etats arabes, et divulguées jusqu’à maintenant, ont à voir avec le méchant Iran, par contre, motus et bouche cousue sur la plupart des plus grands désordres diplomatiques de ces dernières années.
Prenez par exemple la rencontre des officiers supérieurs avec le président du Comité des chefs d’États-majors interarmées, l’amiral Michael Mullen, plus tôt dans l’année. L’équipe était envoyée par le général David Patraeus pour informer le Pentagone que l’intransigeance israélienne dans le processus de paix mettait en péril les troupes américaines en Iraq et en Afghanistan, et que l’Amérique était perçue comme faible, inefficace, et incapable de tenir tête à Israël. De tels commentaires politiques venant des échelons les plus élevés de la hiérarchie militaire étaient sans précédent, et en diffusant les informations sur cette conférence, vous pouviez parier qu’il y aurait une agitation diplomatique importante. Et pourtant, une simple recherche sur le nom de Patraeus, dans la base de données pour les dépêches sur le site du Guardian, vous donne des dépêches selon lesquelles des pays arabes souhaitaient une attaque sur l’Iran ce qui, mais ce n’est qu’une coïncidence, tombe à point pour confirmer le battage israélien pour une nouvelle guerre.
Vous ne trouvez même pas le nom du vice-président Joe Biden dans une recherche par mot clé, alors même qu’une annonce de constructions de nouvelles colonies juives illégales à Jérusalem-Est à la veille de la visite de Biden à Tel Aviv revenait à rien d’autre qu’à donner une fessée magistrale et en public à Obama. Les déclarations qui en suivirent de la Maison-Blanche furent les plus dures que l’Amérique n’ait osé faire à Israël, même si elles n’ont guère correspondu à la colère d’Obama à ce propos. Jusqu’à présent, il n’y a pas une seule dépêche sur cette question.
Si vous cherchez des dépêches venant de Dubaï, tout ce que vous trouverez ce sont des documents qui dénoncent et accusent l’Iran avec des titres comme « Les Etats arabes méprisent le ‘méchant’ Iran », « Abu Dhabi favorable à des actions pour empêcher un Iran nucléaire », ou « Les Emirats s’inquiètent de l’ingérence iranienne ». C’est assez incroyable compte tenu que la crise diplomatique la plus forte, cette année, a eu lieu après qu’un haut dirigeant du Hamas ait assassiné à Dubaï. Les preuves et les accusations collectives dans le monde pointèrent le Mossad et plusieurs retombées diplomatiques graves s’ensuivirent quand il fut confirmé qu’Israël avait bien contrefait des passeports étrangers pour ses tueurs à gage. Et pourtant, pas un mot là-dessus dans aucune des dépêches publiées à ce jour. Au lieu de cela, à chaque fois qu’il est fait référence aux Émirats arabes unis, ou à Dubaï, il n’est question que du « méchant » Iran, tout comme les dépêches qui se référencent au général Petraeus.
Et la liste est longue. S’agissant du subterfuge notoire d’Israël (pour dire les choses avec modération) - leur espionnage contre les Etats-Unis, leurs demandes persistantes pour avoir des dollars, des armes, des faveurs spéciales et une couverture politique, leurs tactiques mafieuses d’exécution de dirigeants, intellectuels et scientifiques à travers tout le globe, et leur puissant lobby aux Etats-Unis, l’AIPAC, qui fut au centre de l’enquête du FBI qui conclut que des officiers supérieurs avaient communiqué des informations sensibles et classifiées US à Israël -, sur ce subterfuge, rien, aucune référence dans aucune de ces notes reçues ou émises par le département d’Etat US divulguées jusqu’à maintenant.
Autre chose qu’il faut noter.
La personne qui a eu accès à ces centaines de milliers de communications classifiées et qui a pu les récupérer sans que cela ne soit détecté, doit avoir une habilitation sécuritaire exceptionnelle. Il ou elle doit se trouver dans les niveaux les plus élevés de la hiérarchie. Pourquoi de tels individus risqueraient-ils leur carrière, peut-être leur vie, juste pour embarrasser les Etats-Unis, qui sont probablement leur propre pays ?
Les dénonciateurs ont tendance à être des gens qui obéissent à un appel de leur conscience et à des codes moraux pour exposer les crimes et les injustices commis. Mais ici, il n’y a rien de tel dans cette « fuite ». Plus absurde encore est l’idée que quelqu’un du personnel, un soldat, ait été en mesure de divulguer tous ces documents tout en étant en détention et sous surveillance.
Enfin, personne ne trouve-t-il étrange qu’alors que la plupart des dirigeants du monde se préparent en silence à quelques embarras et répercussions diplomatiques, Benjamin Netanyahu s’exprime en toute confiance et jubile devant la façon dont l’Arabie saoudite exhorte à une attaque contre l’Iran ? Si, j’en suis sûre.
Il y a encore des milliers d’autres dépêches qui auront à être examinées et expurgées par le réseau des anciens des « vieux médias » et j’espère que les dépêches qui seront divulguées dans les prochains jours et les prochains mois confirmeront les soupçons que je soulève. Je suis prête à garder un esprit ouvert jusqu’à nous ayons vu l’ensemble de la fuite. En attendant, ce que nous savons à ce jour, ne tient pas debout et franchement, sent la pourriture.
Susan Abulhawa est l’auteure des Matins de Jénine (Buchet Chastel), une oeuvre de fiction historique. Elle a écrit cet article pour PalestineChronicle.com.
traduction : JPP pour l’AFPS