lundi 1 novembre 2010

Le parlement israélien propose un nouveau moyen de légaliser l’apartheid

Publié le 31-10-2010

Ici on dénonce le "communautarisme". En Israël on l’érige en vertu permettant de justifier l’exclusion des citoyens arabes israéliens, et de légaliser l’apartheid. Après la ségrégation de fait, souligne l’auteur israélien, on passe à la "ségrégation de droit".
"En 2010, la ségrégation entre Juifs et Arabes en Israël est presque absolue. Pour ceux d’entre nos qui vivent ici, c’est quelque chose qui va de soi. Mais les visiteurs venus de l’étranger n’en croient pas leurs yeux.
Sous l’habillage d’une désignation trompeusement anodine, « Amendement au projet de loi sur les associations coopératives », le Comité de la Knesset pour la Constitution, la Loi et la Justice a mis au point cette semaine un projet de loi destiné à contourner des décisions antérieures de la Haute Cour de Justice. De sorte que si cette législation est effectivement approuvée en séance plénière par la Knesset, il ne sera pas possible de la décrire autrement que comme une loi d’apartheid.
Il y a dix ans, la Haute Cour de Justice avait enjoint à la ville de Katzir d’admettre la famille de Adel et Imam Kaadan, citoyens arabes d’Israël, comme membre de la communauté. Sept ans plus tard, la Cour a prononcé une décision similaire contre le village galiléen de Rakefet, qui, comme Katzir, est juif. Cependant, le présent corps législatif a trouvé une réponse proprement « sioniste » aux magistrats de la Haute Cour. S’il devient une loi, cet amendement donnera aux comités d’admission de villages communautaires le pouvoir de réserver exclusivement aux Juifs la résidence dans leurs agglomérations.
Recourant à des formulations polies et aseptisées, le projet de loi permettrait à de tels comités dans de petites zones rurales suburbaines de rejeter les candidatures de familles qui « sont incompatibles avec le tissu socio-culturel de la communauté, là où il y a une hypothèse fondée qu’elles perturberaient ce tissu ».
En d’autres termes, si les comités d’admission étaient jusqu’ici contraints à faire preuve d’un certain degré de créativité s’ils voulaient dissimuler leurs motifs nationalistes et ethniques de rejeter les Arabes, désormais, comme l’a déclaré le rabbin Akiva, « Tout est prévu, et la liberté de choix est garantie » (Pirkei Avot 3). Des Arabes ? Pas ici. Désolés, la loi est avec nous.
Ceux qui feignent l’innocence, y compris certains au centre de notre échiquier politique, diront : « Le projet de loi n’a pas pour objectif d’écarter les Arabes. Qu’y a-t-il de mal à soutenir le droit de communautés à protéger leur mode de vie spécifique ? »
Certes, quel mal y-a-t-il à cela ? On ne conteste pas que les végétariens de Moshav Amirin, en Galilée, ont le droit de se défendre contre une invasion de carnivores, tout comme les adeptes de la méditation transcendantale de Hararit, dans la région de Misgav, ont besoin de pouvoir méditer ; mais ces communautés sont réellement d’un caractère particulier. Ce qui n’est pas le cas, tout à travers Israël, pour des douzaines de colonies communautaires (yeshuvim kehilati’im) dont la principale caractéristique culturelle est le fait que leurs résidents sont juifs et sionistes – une population dont on ne peut guère dire qu’elle soit sous une menace imminente et dont le mode de vie sans équivalent exigerait une protection.
Voilà plusieurs mois, nous avons eu un aperçu de la prestesse avec laquelle une telle loi sera appliquée, quand plusieurs villages de ce type, anticipant l’action de la Kensset, ont établi en hâte des réglements annexes qui excluaient effectivement les Arabes. Dans les communautés de Yuvalim et Manof, dans la région de Misgav, il est désormais exigé des postulants qu’ils fassent allégeance à la visée sioniste, tandis qu’à Mitzpe Aviv, un peu plus au sud, les candidats sont tenus à déclarer qu’ils s’identifient aux valeurs du sionisme et adhérent à la définition d’Israël comme état juif et démocratique.
Ce n’est pas comme si des familles arabes faisaient la queue pour déménager vers ces communautés barreaudées, qui ont été fondées principalement dans les années 70 et 80 par des organisations sionistes telles que l’Agence juive et le Fonds national juif, afin de « judaïser » des zones comme le Neguev et la Galilée. Nul ne s’est jamais attendu à ce que ces agglomérations apportent une réponse à l’effroyable pénurie de logements à laquelle est confrontée la population arabe. Pour eux, pas une seule ville nouvelle n’a été construite depuis 1948, à l’exception de quelques minables implantations bédouines dans le Neguev. Pas plus que le gouvernement central n’a jugé opportun d’apporter aux municipalités arabes existantes une assistance ou une approbation dans la conception de schémas directeurs qui leur permettraient de réaliser un programme de croissance et de développement propre à répondre aux besoins d’une population croissante, ou d’améliorer leur faible qualité de vie.
Tout ceci, sans même faire mention de villes telles que le Haut-Nazareth, Safed ou Carmiel, où diverses déclarations ont été faites – émanant parfois des principaux responsables municipaux en personne – avec l’objectif d’expulser les Arabes ou d’empêcher leur intégration dans ces villes.
En 2010 en Israël, la ségrégation entre Juifs et Arabes est quasiment absolue. Pour ceux d’entre nous qui vivons ici, c’est quelque chose qui va de soi. Mais les visiteurs venant de l’étranger ne peuvent en croire leurs yeux : ségrégation dans l’éducation, ségrégation dans les affaires, ségrégation dans les loisirs, langages différents, partis politiques séparés… et, bien entendu, ségrégation dans l’habitat. Quelques tentatives courageuses – en particulier dans les villes et les régions mixtes – ont été faites pour modifier la situation, lancer des ponts par-dessus les failles et promouvoir l’intégration. Ceci va depuis des efforts pour développer les cadres d’une éducation mixte jusqu’à des entreprises économiques conjointes et d’autres interventions visant à promouvoir de bonnes relations de voisinage fondées sur des chances égales. Jusqu’ici, ces tentatives s’opposaient à une situation de ségrégation de fait. Désormais, cependant, la ségrégation sera de droit, pour la honte d’Israël."
Amnon Be’eri – Sulitzeanu.
Haaretz, 20 octobre 2010
*Amnon Be’eri Sulitzeanu est directeur adjoint des Abraham Fund Initiatives, un organisme qui promeut la coexistence et l’égalité entre les citoyens juifs et arabes d’Israël.
(Traduit de l’anglais par Anne-Marie Perrin pour CAPJPO-EuroPalestine)
CAPJPO-EuroPalestine