lundi 1 novembre 2010

Collaborateur

Palestine Monitor
publié le dimanche 31 octobre 2010.
De l’Algérie à Cuba, les mouvements de libération nationale ont été confrontés aux informateurs. C’est le jeu le plus sale que joue toute occupation, et la mainmise d’Israël sur la Palestine n’est pas différente.
Les collaborateurs ont été un outil essentiel pour le maintien du contrôle d’Israël sur les Territoires occupés. Gagnés par des méthodes discrètes et fourbes, ces collaborateurs sont utilisés pour contrecarrer les mouvements de résistance et miner leur unité. Souvent, l’armée parvient à arrêter ou à assassiner des cibles à partir d’informations fournies par des membres de leur propre famille.
Il existe différentes sortes de collaborateurs utilisés en Palestine. Cela va de ceux qui achètent des terres à des propriétaires arabes et les revendent à des Israéliens, aux collaborateurs armés qui aident les FDI (Forces de défense israéliennes) ou prennent part aux raids de l’armée d’occupation. La forme la plus courante de collaboration, c’est l’informateur (trice) de base, ou « Jasous ». Les Jasous fournissent des informations sur les activités et les déplacements de certains résistants et des informations générales sur l’activité de résistance.
S’ils se font prendre par les Palestiniens, les collaborateurs subissent des punitions sévères. Beaucoup a été dit par les médias internationaux sur les carences du système judiciaire palestinien qui autorisent l’exécution sommaire de collaborateurs par le lynchage et les tribunaux irréguliers. En Cisjordanie, officiellement ce n’est plus permis, mais à Gaza, si.
Les raisons qui amènent des Palestiniens à prendre le risque de collaborer viennent du fait qu’Israël a pris la population occupée comme dans un étau. Il n’y a guère de Palestiniens à ne pas avoir eu besoin d’un « service » de la part des autorités militaires, et c’est là que les pressions sont exercées.
Si les Palestiniens veulent aller travailler en Israël où les salaires sont plus élevés, il leur faut un permis. Leur situation est exploitée par le Shin Bet (police secrète israélienne) qui exige fréquemment que le demandeur de permis devienne un informateur. Avec de nombreux enfants affamés à nourrir à la maison, c’est une décision difficile à prendre, même pour les plus patriotes des Palestiniens. D’après un porte-parole du Fatah que j’ai rencontré, environ 70% des collaborateurs sont allés travailler en Israël à un moment donné.
Beaucoup de collaborateurs proviennent du milieu scolaire palestinien. Il est de pratique courante pour les soldats de l’occupation de rafler des élèves à la fin de leur année scolaire et d’exiger d’eux qu’ils choisissent entre la collaboration et la prison, cette dernière leur faisant rater les examens de fin d’année, les empêchant ainsi d’obtenir leur diplôme.
Les étudiants universitaires connaissent le même genre de harcèlements. Beaucoup arrivent à peine à payer leurs frais de scolarité. Les soldats et les agents de renseignements, sur les check-points, leur proposent de l’argent, ou, si ça ne marche pas, ils les menacent, là aussi, de les garder en détention pendant la période d’examen.
Avec les insuffisances que connaissent les services de santé palestiniens, les permis pour aller suivre un traitement médical en Israël ou à l’étranger sont devenus un moyen de chantage pour les recruteurs de collaborateurs. Le siège illégal de Gaza a mis les services de santé à genou, et provoqué un afflux de collaborateurs. En août 2008, la partie israélienne de l’organisation Médecins pour les droits de l’homme a publié les cas de 32 Gazaouis malades qui affirment qu’on leur avait refusé le permis de sortir de Gaza parce qu’ils avaient refusé, eux, de devenir des informateurs. Bassam Waheidi, gazaoui de 28 ans, a perdu un œil parce qu’il n’a pas eu cette autorisation d’aller se soigner suite à son refus de collaborer.
Des méthodes moins subtiles de recrutements d’informateurs sont utilisées dans les centres d’enquêtes de l’armée, si redoutés. J’ai rencontré Mohammed qui a passé deux mois dans l’un de ces centres. Ils servent généralement aux interrogatoires et aux recrutements de collaborateurs et des rapports montrent que l’usage de la torture y est fréquent et généralisé. Deux organisations israéliennes des droits de l’homme, B’Tselem et Hamoked, ont récemment publié que sept méthodes « spéciales » d’interrogatoire assimilables à une torture étaient couramment utilisées dans ces centres. Elles comprennent notamment les coups, les attaches douloureuses, les contorsions pénibles et les étirements maximums du corps.
Mohammed raconte que la première personne qui l’a interrogé était un Palestinien, de Naplouse, qui s’appelait Sammir. Mohammed s’est vu d’abord proposer par lui de l’argent et comme il a refusé, il a été frappé.
Mohammed raconte ses sentiments mitigés de voir l’un de ses compatriotes travailler pour les Israéliens. « Je préfère mourir plutôt que de voir des Palestiniens travailler pour les Israéliens de cette façon » m’a-t-il dit. Même s’il a éprouvé beaucoup de colère à l’encontre de Sammir, il lui a fait aussi pitié, « les Israéliens n’ont aucun respect pour lui, » dit-il, « ils se servent simplement de lui ».
Après avoir échoué à le corrompre et le faire céder par les coups, les Israéliens ont alors essayé de le faire chanter. Une tactique très fréquente chez les FDI, c’est d’utiliser des prostituées et de les faire dormir avec des Palestiniens en détention. La scène est filmée sur vidéo et les tortionnaires n’ont plus qu’à menacer les Palestiniens d’envoyer la bande à la famille des détenus. Dans la culture islamique conservatrice de Palestine, cela correspond à ruiner la vie de la victime. Pour Mohammed, qui n’a pas de telles opinions conservatrices, cela ne s’est pas avéré efficace.
En règle générale, les Palestiniens sortent des centres d’interrogatoire pour être confrontés à une audience de tribunal. Plus de 150 000 Palestiniens ont été poursuivis par le régime militaire au cours des 19 dernières années. Selon l’organisation israélienne Yesh Din, 95% de ces procès se sont terminés par des arrangements. C’est une occasion de plus pour le Shin Bet de persuader le détenu de devenir un informateur en échange d’une réduction de peine.
Pour ceux qui cèdent sous la pression, collaborer n’est pas aussi payant qu’on a bien voulu leur dire. Au début, un informateur peut se voir proposé des sommes autour de 500, 1 000 shekels (100, 200 €) par mois. Cependant, une fois qu’il est acheté, il se trouve à la merci des Israéliens. Les salaires sont parfois amputés et réduits à une cinquantaine de shekels par mois. Il n’y a alors aucune autorité vers laquelle se retourner, et il est trop tard pour faire marche arrière.
Mohammed compare les collaborateurs traités par Israël à des citrons, « les Israéliens les pressent pour en tirer toutes les informations possibles, et ensuite ils les jettent ». Quand la situation des collaborateurs est compromise ou quand leur vie se trouve en danger, seuls les plus précieux pour les Israéliens sont récupérés. Ceux qui en réchappent sont installés dans des quartiers arabes en Israël. Mais là, ils sont méprisés par leurs voisins et abandonnés par l’armée, juste un nouvel outil pour la machine de violence d’Israël.
voir aussi : "L’histoire d’un collaborateur palestinien" : http://www.arabicnews.com/ansub/Daily/Day/980221/1998022128.html
http://www.palestinemonitor.org/spip/spip.php?article1588
traduction : JPP
Lien