vendredi 26 novembre 2010

Israël pour un partage territorial

publié le jeudi 25 novembre 2010
Alain Dieckhoff

 
Avec l’impasse prolongée d’un interminable « processus de paix », les voix prônant l’abandon de la solution des deux États (Israël et Palestine) au profit de la constitution d’un seul État pour deux peuples deviennent plus nombreuses. C’est surtout vrai du côté palestinien, où le binationalisme fait des émules. Mais en Israël même, l’idée d’un État unique a fait un retour (timide) au cours des années 2000.
En 1946-1947, le binationalisme était l’apanage de groupes juifs, comme l’Ihoud (« Union ») du philosophe Martin Buber, et le Hashomer Hatzaïr (« La jeune garde »), parti lié au mouvement des kibboutz. La création de l’État d’Israël en 1948 rendit caduque cette option qui ne fut plus, par la suite, défendue que par de petits groupes non sionistes, d’extrême gauche, sans guère de relais dans l’opinion publique, ainsi que par des intellectuels juifs post-sionistes dans les années 1990 (Amnon Raz-Krakotzkin, Ilan Pappe…).
Le débat a repris une certaine vigueur après la seconde Intifada, dans un contexte marqué par une désillusion croissante quant à une solution négociée sur la base du paradigme des deux États. Alors que certains Israéliens se réfugiaient dans la passivité, d’autres, moins nombreux, concluaient que le partage territorial, pratiquement et politiquement irréalisable, devait être abandonné au profit d’un État unique.
Trois « courants » se dégagent alors. Il y a d’abord ceux qui considèrent, à l’instar de Meron Benvenisti, ancien maire adjoint de Jérusalem, que la colonisation a modifié de façon irrévocable la situation sur le terrain. Avec un demi-million de juifs en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, un partage est impossible : de facto, il existe déjà un espace binational entre la Méditerranée et le Jourdain qu’il convient de transformer en un véritable État judéo-arabe (avec une répartition paritaire des pouvoirs, du fédéralisme…).
Cette thèse de l’irréversibilité a reçu récemment le renfort inattendu de personnalités de droite, comme Moshe Arens, ancien ministre des affaires étrangères, ou l’actuel président de la Knesset, Reuven Rivlin. Soutiens farouches de la colonisation, ils pensent qu’il est temps d’étendre la souveraineté israélienne à la « Judée-Samarie » en octroyant la citoyenneté aux Palestiniens dans un État, non pas binational, mais juif. Cette perspective relève du tour de passe-passe. Elle apparaît en effet comme un moyen de préserver les acquis de la colonisation au sein d’un État qui maintiendrait, d’une façon ou d’une autre, les Palestiniens en situation de subordination politique.
Enfin, au sein de l’élite arabe en Israël est apparu un puissant courant de pensée en faveur du binationalisme. Pour ces universitaires, chercheurs, juristes (As’ad Ghanem, Nadim Rouhana…), la constitution d’un État binational dans l’ancienne Palestine britannique offre un double avantage : mettre fin à la marginalisation sociopolitique de la minorité arabe en Israël et permettre plus facilement la mise en œuvre du droit au retour pour les réfugiés palestiniens. Mais les propositions émanant des intellectuels arabes ont suscité beaucoup d’émoi dans l’opinion publique juive, pour laquelle l’État d’Israël doit demeurer l’incarnation du droit à l’autodétermination du peuple juif.
Aussi, alors que l’idée du partage territorial est compliquée à mettre en œuvre, elle continue de recueillir malgré tout l’assentiment des deux tiers des juifs d’Israël, alors que la perspective de l’État unique, qu’il soit « républicain à la française » ou binational, trouve très peu d’avocats du côté juif. Elle demeure aussi, et de loin, la mieux adaptée à un conflit endémique de type ethno-national. Loin de le résoudre, un État unique l’entretiendrait inévitablement. Il n’apporterait pas la concorde, mais nourrirait une incessante guerre civile. Comme l’a noté l’infatigable militant de la paix qu’est Uri Avnéry (87 ans), cette utopie aurait de terribles conséquences, car « la vision du loup habitant avec l’agneau exigera chaque jour un nouvel agneau ».
Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS, Ceri Sciences-Po à Paris, est codirecteur d’ Afrique du Nord– Moyen-Orient. Entre recompositions et stagnation, La Documentation française, 2010, 184 p., 19,50 €.
publié par la Croix