samedi 20 novembre 2010

Ici, c’est la Corée du Nord

samedi 20 novembre 2010 - 01h:21
Adam Keller
J’avais l’intention d’écrire ici sur Limor Livnat, la Ministre de la Culture de l’Etat d’Israël, et sur ses plans de faire dépendre le soutien aux théâtres de notre pays de leur acceptation de jouer dans les colonies. Mais il est difficile de faire mieux que ce qu’Arianna Melamed a déjà écrit à ce propos dans Y-net, aussi je me contenterai de la citer.
Limor Livnat a annoncé cette semaine que les acteurs devront jouer partout, occupé ou non, comme condition pour recevoir l’aide de l’Etat. Et dans un dernier geste d’apaisement elle a ajouté que le Ministère de la Culture attribuera aussi un prix spécial pour « l’encouragement de la créativité sioniste ».
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Ultra-orthodoxes manifestant à Jérusalem contre la mixité de l’enseignement dans un établissement scolaire
Depuis que j’ai entendu ce joyeux message, je me demande encore ce qu’elle a voulu dire. Dans la danse israélienne contemporaine, on leur demanderait de brandir le drapeau national en dansant ? Les théâtres présenteraient-ils une pièce optimiste sur un dur policier antiémeute tombant amoureux d’une femme colon ramassée dans sa jeep blindée, tous deux vivant ensuite à jamais heureux dans une nouvelle colonie créée sur les collines de Judée-Samarie ?
Ou peut-être quelqu’un écrira t-il une nouvelle biographie de Herzl omettant la syphilis et les délires de grandeur ? Ou peut être une grande épopée s’appuyant sur les conférences du Likoud ? Bien sûr, toutes les options sont ouvertes aux fantasmes créatifs des artistes.
Il y a environ cinq ou six pays au monde où les artistes peuvent recevoir des prix pour avoir léché les bottes de l’idéologie dominante. La Corée du Nord est l’exemple maître, mais de tels prix sont aussi donnés en Birmanie, au Vietnam, à Cuba et même dans quelques Emirats (mais là il faut chanter les louanges personnelles du dirigeant). Est-ce ce que Livnat a en tête ? N’a-t-elle vraiment pas conscience que les travaux culturels de qualité correspondent presque toujours par le moyen de la critique avec l’idéologie dominante et son interprétation courante ?
Et tout en cherchant ce que « créativité sioniste » peut vouloir dire, j’ai le sentiment que bon nombre de classiques de la littérature en hébreu n’auraient eu aucune chance devant le Comité des Prix de Livnat. Considérez « Samson » de Jabotinsky, où tant le protagoniste biblique que l’auteur font l’éloge de la civilisation Philistine, présentée en complète contradiction avec les Hébreux primitifs. Ou « Khirbet Khizeh » de S. Yizhar (1), la présentation des mauvais traitements d’un prisonnier de guerre - « Sioniste » ou « antisioniste » ? Le réalisme est-il un genre sioniste, ou tout doit il être repeint en bleu et blanc ?
C’est une idée stupide. Elle sera par conséquent probablement réalisée. La cérémonie des prix remplira Livnat d’une juste fierté - mais elle découvrira que ce qu’elle appelle créativité sioniste est bien loin d’une pensée indépendante, tri-dimensionnelle et non dogmatique.
* Adam Keller est un porte-parole de Gush Shalom
(1) Paru en français dans un recueil de S. Yizhar, "Convoi de minuit", publié par Actes Sud en 2000.
16 novembre 2010 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://adam-keller2.blogspot.com/
Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Bouché
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