lundi 8 novembre 2010

Gaz off-shore : un cadeau empoisonné pour Israël et le Liban ?

publié le dimanche 7 novembre 2010
Hélène Laîné

 
Un consortium énergétique israélo-américain (Noble Energy/Delek) a annoncé, début juin, la découverte de 16 000 milliards de m3 de gaz dans les tréfonds de la méditerranée à 130 km au large des côtes d’Haïfa.
L’Etat hébreu et le pays du Cèdre se disputent aujourd’hui un trésor au fond de la mer Méditerranée, une gigantesque nappe de gaz et de pétrole mise à jour en juin par un groupe israélo-américain. Mais à qui appartient ce gisement providentiel ? Analyse d’une découverte miraculeuse déjà contaminée par la provocation politique. Le site, surnommé Leviathan, ferait 6,5 fois la taille de Tel Aviv
L’annonce avait été éclipsée par le drame de la flottille, mais elle pourrait bien changer à long terme l’équilibre des forces au Proche-Orient et provoquer de nouveaux conflits. Un consortium énergétique israélo-américain (Noble Energy/Delek) a annoncé, début juin, la découverte de 16 000 milliards de m3 de gaz dans les tréfonds de la méditerranée à 130 km au large des côtes d’Haïfa. Un site d’exploration qui porte le nom d’un monstre marin colossal de la Bible : le Léviathan. On ne pouvait pas mieux le nommer : le site ferait 6,5 fois la taille de Tel Aviv. En Israël, chacun retient son souffle. Le pays, oublié des fées de l’or noir depuis 60 ans et envieux de ses voisins irakiens et iraniens, pourrait-il, lui-aussi, devenir le nouvel eldorado de l’énergie ? "Aujourd’hui est un jour de fête. Israël est un pays indépendant énergiquement", s’hasarde à annoncer le milliardaire israélien, Yitzhak Techouva, à la tête de l’entreprise Delek Energy, partie prenante du projet.
"Il est trop tôt pour crier victoire. Il ne s’agit pour l’instant que de prédictions. La probabilité de réellement trouver du gaz en creusant est de l’ordre de 50 %. Donc, il reste une chance sur deux de se tromper", tempère Alon Dulf, expert en énergie (israélo-américain). Mais l’état d’esprit est à l’euphorie. Fin août, une autre nouvelle vient encore élargir le sourire des Israéliens : le Leviathan pourrait également regorger de pétrole, soit près de 4.2 milliards de barils sous l’épaisse nappe de gaz. Jackpot ! On oublie presque que les réelles chances d’extraire de l’or noir à plus de 5 000 mètres de profondeur ne dépassent pas les 20 %.
A qui appartient le gaz ?
Israël devra affronter plusieurs obstacles majeurs pour exploiter ce gisemement
L’extrême incertitude des résultats du forage off-shore n’est, et de loin, pas le seul obstacle auquel risque de se confronter Israël. L’eldorado du Léviathan se situe à plus de 130 km des côtes israéliennes, dans une sorte de no man’s land maritime partagé avec Chypre et le Liban. Mais l’atmosphère n’est pas au partage surtout avec le deuxième. L’Etat hébreu a un accord maritime avec la Jordanie concernant le Golfe d’Eilat, s’est arrangé avec l’Egypte, mais n’a rien signé avec Beyrouth, un voisin contre lequel il est toujours en guerre.
Et la notion de frontières maritimes est particulièrement hasardeuse lorsque l’on dépasse les limites des mers territoriales de chaque Etat, soit 12 miles ou 40 km au large des côtes. Le droit de la mer (convention de Montego Bay, 1982) permet de reconnaître une zone économique exclusive (ZEE) jusqu’à 200 miles, soit environ 370 km, mais aucun des Etats potentiellement concernés par la nouvelle nappe de gaz – Israël, Chypre, Liban- n’en a déclaré une, jusqu’à présent, devant les instances internationales. "Israël ne l’a pas encore fait car le pays ne s’est jamais intéressé aux ressources qu’il pouvait tirer de la pêche par exemple", explique Daniel Reisner, avocat israélien et expert en droit maritime. Mais pour exploiter l’eldorado prometteur du Léviathan, Israël compte s’appuyer sur une autre disposition du droit de la mer bien que l’Etat hébreu n’ait jamais apposé sa signature à la convention de Montego Bay.
Pour Daniel Reisner, le site se situe sur le plateau continental israélien, c’est-à-dire la bordure immergée du littoral descendant en pente douce avant d’arriver en eaux profondes. Selon l’article 56 de la convention de Montego Bay, le plateau peut s’étendre jusqu’à 300 km et, élément commode, il n’est pas nécessaire de le déclarer (sauf au-delà de 300 km et le chantier israélien du Léviathan se situe à près de 130 km des côtes). Mais l’article 83 de la convention vient rappeler qu’il est nécessaire, même dans ce cas-là, de se mettre d’accord avec les voisins dont les côtes sont adjacentes. C’est bien le cas d’Israël et du Liban.
Loi contre loi : le bras de fer juridique est lancé
Il est impossible à l’heure actuelle de déterminer l’étendue de cette nappe de gaz bienfaitrice
Même si les prospections réalisées en juin dernier se situent bien dans les eaux israéliennes, il est impossible à l’heure actuelle de déterminer l’étendue de cette nappe de gaz bienfaitrice. Pour les experts énergétiques, elle est probablement à cheval entre les trois eaux israéliennes, chypriotes et libanaises. A Beyrouth, on voit rouge : "Tirer partie d’un gisement potentiellement commun, c’est violer les droits du Liban", averti le député Ali Hassan Khalil (Source : Reuters). Alors forcément, les esprits s’échauffent. Fin juin, le ministre des Infrastructures israélien, Ouzi Landau, utilise un langage guerrier sur la chaîne d’info économique Bloomberg : "Nous n’hésiterons pas à recourir à l’usage de la force afin de faire respecter la loi et le droit maritime", a-t-il prévenu. De son côté, le Hezbollah libanais a saisi la balle au bond pour ajouter le nouveau contentieux gazier à sa rhétorique bien huilée contre Israël.
Alors que font deux pays lorsqu’ils ne veulent pas négocier ? Ils décident de légiférer chacun de leur côté. Israël s’apprête à faire voter à la Knesset (Parlement) une loi déterminant sa zone économique exclusive s’étendant sur près de 200 km à équidistance avec Chypre. De son côté, Beyrouth fait de même. Après de nombreux désaccords internes, son Parlement a finalement adopté, le 17 août dernier, une loi sur les permis de forage au large de ses côtes, qui seront prêts à l’orée 2012. Par ailleurs, les autorités libanaises cherchent à tracer de manière unilatérale des frontières maritimes avec son voisin israélien avant de soumettre les résultats à l’ONU pour approbation.
Dans la course à l’énergie offshore : le Liban est à la traîne
Mais au temps long de l’arbitrage pourrait se substituer une autre logique, celle de l’adage : "Premier arrivé, premier servi". A ce niveau, Israël a une sacrée longueur d’avance. Sa quête gazière sous-marine ne date pas d’hier. Les équipes américano-israéliennes ont déjà mis à jour l’année dernière deux autres gisements offshores très prometteurs, Tamar et Dalit (le premier à 90 km au large d’Haïfa), qui devraient être opérationnels dès 2012. De quoi combler les besoins du pays durant les deux prochaines décennies. Pour le monstre du Léviathan, les équipes sont prêtes, les permis de forage ont été donnés (même si l’Etat aimerait aujourd’hui une plus grosse part du gâteau), les investissements sont là. Il n’y a plus qu’à creuser.
Le Liban ne possède aucune infrastructure offshore
Le contexte est bien différent au Liban. Le pays ne possède aucune infrastructure offshore. Tout est à construire. Pourtant, dès la fin des années 60, on évoquait dans les couloirs de l’université américaine de Beyrouth la possible existence de gisements de gaz et de pétrole dans les eaux libanaises. Plus récemment, en 2002 puis en 2006, des études sismiques ont été réalisées par des entreprises de géophysique étrangères (Spectrum et Petroleum GeoServices). Encore une fois, les résultats sont très encourageants avant d’être mis au placard d’un pays miné par les dissensions politiques : "Même la fourniture du courant électrique donne lieu à des palabres sans fin, alors imaginez le capharnaüm pour l’exploitation de gaz off-shore", se désole Joseph Bahout, professeur à Science Po Paris et spécialiste du Liban. La loi sur les permis de forage adoptée en août dernier montre une volonté politique de ne pas passer à côté d’une manne potentiellement gigantesque.
Mais les investissements astronomiques nécessaires pour le forage off-shore suivront-ils ? Dans cette bataille, l’Etat libanais est hors-jeu. Beyrouth est l’un des pays les plus endettés, jusqu’à 155 % de son PIB. Sa dette publique atteint, fin juillet 2010, la coquette somme de 50,8 milliards de dollars. Autre option : les entreprises étrangères attirées par la perspective de bénéfices records. Les pétroliers Shell et Total pourraient être intéressés. Mais difficile de savoir si l’instabilité politique chronique de ce pays morcelé n’aura pas raison de leur motivation.
publié par Contre feux le 10 10 2010
ajout de note : CL, Afps