samedi 9 octobre 2010

Interview de 4 belges présents sur la flotille de la paix attaquée


Le 31 mai dernier, Israël lançait une attaque sur une flotille de bateaux humanitaires en direction de Gaza, faisant 9 morts et 28 blessés. Parmi les passagers, 4 jeunes belges (Kenza Isnasni, Fatima El Mourabiti, Griet Deknopper, Inge Neefs. Elles ont été nominées pour le Prix Solidaire 2010, qu’elles ont gagné le 25 septembre dernier à ManiFiesta. Réactions.

 
Kenza Isnasni : « Voir les choses de près, c’est autre chose »
Prix Solidaire. Quand nous avons été nominée, j’étais ravie. Je ne m’y attendais pas. La victoire, c’est très symbolique, et une manière de pouvoir reparler de l’action que nous avons menée. Les médias traditionnels n’en parlent déjà presque plus. Grâce à la victoire, on peut en reparler, rappeler la gravité de l’événement, les morts, et puis, la situation des palestiniens. Mais les autres nominés ont autant de mérite que nous de recevoir ce prix, toutes les autres initiatives de solidarité auraient pu être récompensées.
Engagement. Cela a commencé il y a plusieurs années par un voyage que j’ai fait en Palestine avec l’association intal, au cours de mes études. En revenant, je n’étais pas la même. J’ai vraiment été choquée. Une fois qu’on voit les choses de près, c’est autre chose. J’ai ressenti une injustice énorme. Par la suite, j’ai mené d’autres actions, notamment l’organisation d’un convoi de 200 véhicules qui après trois semaines a pu atteindre la Palestine, avec de l’aide médicale et scolaire pour la population. C’était aussi un message d’espoir. Cela a permis de tourner les projecteurs sur la situation du blocus en Palestine. Cela a été une deuxième confrontation forte, je suis à nouveau revenue bouleversée, après avoir entendu les récits de famille que j’ai rencontrées. Ma détermination a à chaque fois augmenté. Enfin, mon engagement, ce sont aussi mes convictions personnelles : toutes les situations d’injustices doivent être condamnées.
Free Gaza Flotilla. Deux choses m’ont vraiment marqué. D’abord, toute la préparation de la flottille, j’ai le souvenir d’une grande fraternité, une grande solidarité, la mobilisation de personnes du monde entier qui ont chacun mobilisé dans leur pays et fait en sorte que ce projet puisse avoir lieu. Mais aussi, un moins bon souvenir, sur le moment même : l’annonce des morts. Je n’aurais jamais imaginé cette attaque possible. On est là, on se demande ce qu’il se passe, et puis, les blessés arrivent. On a du mal à réaliser qu’ils ont tué des gens sur ce bateau. Nous avons été témoin d’un drame.
Projets d’avenir. Tout d’abord, c’est important de continuer à interpeller nos élus pour exiger la fin du blocus, les mettre face à leurs responsabilités. Il faut trouver une issue au problème israélo-palestinien. On veut des signes d’un engagement politique pour que les palestiniens puissent retrouver leur dignité. Ensuite, la suite de ce drame, c’est d’exiger une enquête transparente – au-delà du rapport de l’ONU – pour réellement dénoncer ce qu’il s’est passé et demander réparation : Israel ne peut pas rester dans l’impunité totale. Il faut contribuer à briser le silence de la communauté internationale sur cette question.
Palestine. Il y a énormément d’injustices en Palestine. Et cela dure depuis des dizaines d’années. On a parfois l’impression que c’est sans fin : certains disent parfois qu’il n’y a plus d’espoir, qu’on se sent impuissant. Mais je refuse cette attitude, défaitiste : au nom des palestiniens et de leur lutte, il faut continuer à les soutenir et croire qu’il y aura une issue. Les palestiniens eux-mêmes entretiennent un espoir énorme, c’est notre responsabilité de continuer à les soutenir les palestiniens, à mener des actions, aussi minimes qu’elles soient. Et puis, il faut retenir une leçon de cette attaque : Israël peut être défié. Il faut accroître nos efforts. L’espoir doit être plus fort que le défaitisme. Je suis encore plus déterminée qu’avant.
Fatima El Mourabiti : « La Palestine est le symbole de toutes les injustices »
Prix Solidaire. Lorsque l’on m’a annoncé la nouvelle, j’ai été ravie. Les citoyens belges en votant pour notre projet ont voté pour un projet humaniste et juste. Mais les autres projets sont à féliciter également. Cette victoire est une reconnaissance de l’injustice perpétrée en Palestine et une opportunité de mettre la lumière sur la situation critique humanitaire que vivent les palestiniens au quotidien.
Engagement. Dans ma famille, nous avons toujours été sensibilisés à la condition des individus, on m’a toujours appris à aimer l’autre, à apprendre de lui et à agir pour lui s’il a besoin de nous. Très vite, je me suis rendue compte des inégalités dans ce monde : il y a de nombreuses injustices et le droit ne s’applique pas à tous de la même manière.
Je suis bénévole dans l’associatif depuis une dizaine d’années à Bruxelles, où je suis née et où je vis. Mes études d’assistante sociale m’ont amené à me pencher sur les réalités politiques, économiques et sociales des sociétés dans le monde et en Belgique. En décembre 2009, j’ai participé à un convoi humanitaire terrestre qui acheminait de l’aide humanitaire à Gaza. Sur place, j’ai été confrontée à une réalité amère et insupportable : des enfants, femmes et hommes qui essaient non pas de vivre mais de survivre, n’ont aucun droits, oubliés de toutes et tous. J’ai ainsi décidé de m’engager pour la justice, parce que je crois en celle-ci.
Free Gaza Flotilla. La chose positive qui m’a marquée, c’est la participation et mobilisation de citoyens provenant de plus d’une trentaine de pays, avec pour objectif de soutenir la population palestinienne et montrer leur refus quant à la politique meurtrière d’Israel. Ces citoyens se sont engagés dans un projet pour dénoncer cette situation critique, des gens de tous les horizons, toutes les nationalités, confessions, des jeunes « novices » et d’autres plus expérimentés. C’était très enrichissant.
L’aspect négatif, c’est la façon dont Israel est intervenue : une attaque d’une violence extrême à l’égard d’un convoi humanitaire en eaux internationales est inadmissible et doit être sanctionnée. Il n’y avait aucune raison d’agir comme de cette façon. Des spécialistes dans le rapport de l’ONU ont statué : l’attaque était inadmissible et évitable, elle va à l’encontre du Droit international et doit être condamnée.
Projets d’avenir. Je suis membre de la plateforme « Belgium to Gaza » (voir cadre). L’objectif de cette initiative est de récolter des fonds pour acheter un bateau belge qui rejoindra la prochaine flottille, prévue fin de l’année. J’en profite d’ailleurs pour faire un appel aux lecteurs de Solidaire qui voudraient nous soutenir. Notre objectif est également de continuer à mettre la lumière sur la situation critique des palestiniens, à faire valoir les droits fondamentaux pour tous les individus, à mobiliser les citoyens, nos politiciens, nos intellectuels belges aux conditions de vie « invivables » des palestiniens.
Palestine. La situation en Palestine est critique et injuste. Toutes les propositions seront à penser pour un futur vivable : l’existence d’un état binational, ou l’existence d’un état palestinien au coté d’un état israélien vivant cote à cote dans la paix… toutes ces options doivent être négociées dans l’intérêt du bien être des palestiniens et des israéliens. Le blocus illégal doit être levé au nom du Droit et de la dignité des peuples à jouir de leurs libertés. La Palestine est le symbole de toutes les injustices. Dés lors, et tant que nos gouvernements ne se positionneront pas clairement face à cette injustice criante, nous continuerons à faire valoir l’application du Droit International et la levée immédiate du blocus.
Griet Deknopper : « Des manuels scolaires ne sont jamais arrivés à destination »
Prix Solidaire. J’étais très agréablement surprise que nous ayons été nominées. Je me suis aussi demandée qui nous avais inscrite. Et il s’est avéré que le jury était impressionnant. J’ai déjà été félicitée à l’époque, mais certains ont ajouté : « Les autres nominés en lice ne sont pas des moindres non plus ! » Je suis donc très contente que nous ayons gagné mais le plus important, ici, c’est que la cause palestinienne réapparaît à nouveau dans l’actualité.
J’ai trouvé très dommage de ne pouvoir me rendre à Bredene, mais j’étais prise ailleurs, dans un autre coin du pays. Il n’était pas possible de venir à ManiFiesta, de là.
Engagement. À Hal, d’où je suis originaire, nous avons fondé « Tournée mondiale » voici quatre ans. Ma tâche dans l’équipe des organisateurs consistait à choisir un projet autour duquel sensibiliser les gens ici. En 2009, ç’a été l’École palestinienne du Cirque et, au cours de la Tournée mondiale de cette année, je suis allée m’informer davantage sur la Palestine. J’ai alors pris une interruption de carrière et ça m’a donné l’occasion de participer à la Gaza Freedom March, en décembre 2009. Je suis d’abord restée un mois et demi au Caire, puis j’ai travaillé pendant quatre mois à divers projets en Cisjordanie et, de là, j’ail rallié les bateaux de la Free Gaza Flotilla. J’ai donc été occupée de façon très intense pendant six mois, avec la Palestine. Alors, j’ai également lancé une action de collecte de manuels scolaires pour la Flottille, avant même de savoir que je pourrais l’accompagner. Hélas, ces livres ne sont jamais arrivés à destination.
Free Gaza Flotilla. Ce qui m’a le plus impressionné, dans toute cette expérience, c’est le fait que tant de gens – 700 d’une quarantaine de pays – se sont engagés inconditionnellement pour un même but, la Palestine. Il n’y a que les frais de navires qu’ils n’ont pas payés, mais leur billet d’avion, leur hôtel… tout le reste, ils l’ont payé eux-mêmes, sans se poser de questions, sans réserve. Et ç’a été un moment vraiment magnifique, quand les bateaux, partis de différents ports, se sont retrouvés quelque part en mer, au point de rencontre, puis que le signal du départ a été donné et que les six bateaux ont mis le cap ensemble sur Gaza. Vraiment magnifique. Et, bien sûr, je n’oublierai jamais non plus comment nous avons été attaqués en pleine nuit par l’armée israélienne.
Projets d’avenir. Je reviens tout juste d’un week-end avec le Free Gaza Movement, où nous étions une trentaine de plusieurs pays, dont les États-Unis et la Grande-Bretagne, pour discuter de la poursuite des actions avec le Free Gaza Movement. En Belgique, nous avons désormais fondé « Belgium to Gaza » et nous voulons faire en sorte qu’une délégation belge puisse se joindre à une prochaine flottille, au début de l’an prochain. (voir cadre).
Palestine. J’espère que la Belgique et toute l’Europe adopteront une position plus sévère à l’égard d’Israël et des choses incroyables que ce pays se permet. Aujourd’hui, ces points de vue sont particulièrement faibles. J’espère aussi qu’on verra quelque chose des promesses d’Obama. Il dit aujourd’hui qu’il faut qu’il y ait un État palestinien, qu’il fera en sorte que Gaza et la Cisjordanie puissent être reliés, qu’il veut donner un nouveau souffle aux négociations de paix… Et nous tiendrons l’affaire le plus possible dans les médias, comme nous l’avons fait avec la Free Gaza Flotilla. Je remarque aujourd’hui que bien plus de gens sont ouverts au regard palestinien sur le conflit, ils se rendent compte de plus en plus qu’Israël ne présente que sa propre version des faits et qu’elle est très sujette à caution.
 
Inge Neefs : « De plus en plus de résistants disparaissent derrière les barreaux »
Prix Solidaire. Ç’a été une surprise très agréable quand Bert De Belder d’intal nous a informées que le jury nous avait nominées pour le prix. Et quand nous avons été élues, nous avons été surprises à nouveau toutes les quatre de voir qu’il y a eu tant de voix pour nous, alors que les autres nominés étaient de très sérieux candidats eux aussi.
Engagement. C’est en mai 2009 que je suis allée en Palestine, en Cisjordanie, pour la première fois. Jusqu’alors, mon image avait été surtout modelée par les médias, donc une image très déformée de la réalité. L’idée que deux partis égaux luttent pour un bout de territoire a été rompue. En me rendant en Palestine, j’ai découvert moi-même qu’il s’agissait d’une occupation militaire israélienne et qu’elle violait les droits de l’homme de la population palestinienne. À mes yeux, maintenant, le conflit a un aspect humain et je ne peux plus le concevoir à distance : il s’agit bel et bien de personnes concrètes. Je ne peux plus me : « L’an prochain, je vais en vacances au Brésil. » Même si je me suis rendu compte qu’en fait, on viole les droits de l’homme en de nombreux endroits sur terre, la situation sur place m’a secouée et cela s’est traduit par un engagement personnel.
Free Gaza Flotilla. Je ne suis pas près d’oublier l’agression brutale et meurtrière d’Israël contre la flottille. Neuf personnes ont perdu la vue et, aujourd’hui encore, d’autres sont toujours dans un état critique. L’attaque contre la flottille est toutefois symbolique, face aux souffrances palestiniennes. Ce qu’Israël a fait dans les eaux internationales, il le répète quotidiennement en Palestine. Malgré les morts, cette expérience n’a fait que nous inciter à poursuivre le combat pour les droits des Palestiniens.
Projets d’avenir. En ce moment, je suis occupée avec Belgium to Gaza (voir cadre). Aussi bien des Belges à titre individuel que des organisations s’engagent afin de briser le blocus. Nous voulons donner l’opportunité à la population belge de prêter sa voix en faveur de la justice et nous espérons encourager nos hommes politiques à passer aux actes. Car, aujourd’hui, la réaction de l’Europe et de la Belgique à la répression brutale d’Israël est tout simplement faiblarde.
Palestine. L’occupation de la Palestine, tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza, reste une réalité qui n’appelle pas au changement, mais hurle pour l’obtenir. Israël réclame la sécurité pour sa population et construit des murs, créant ainsi un isolement. La question est : « Qu’en est-il de la sécurité et du bien-être des Palestiniens ? » Sont-ils moins humains, peut-être, et requièrent-ils de ce fait moins de droits de l’homme ? J’ai résidé trois mois à Bil’in, un village de Cisjordanie dont le mur de l’apartheid a confisqué une bonne moitié des terres. Des terres agricoles, surtout, et, de ce fait, bien des gens ont perdu leur revenu. Aujourd’hui, les toits rouges des colonies israéliennes ornent ce paysage. Chaque vendredi, la population locale palestinienne proteste contre l’existence de ce mur et dénonce le vol de ses terres. Ces protestations pacifiques se heurtent toutefois de plus en plus à l’armée israélienne et de plus en plus de membres de cette résistance populaire disparaissent derrière les barreaux.
Source : Lizz Printz et Gaston Van Dyck pour ptb.be