lundi 6 septembre 2010

Pourparlers israélo-palestiniens : "un test pour Barack Obama"

publié le dimanche 5 septembre 2010
entretien avec Alain Dieckhoff.

 
Pour éviter un nouvel échec, "il faut que l’administration Obama ne se cantonne pas au seul rôle de facilitateur mais qu’elle fasse des propositions dans les semaines qui viennent", estime le politologue Alain Dieckhoff .
Au terme du premier round de discussions directes engagées entre Mahmoud Abbas et Benjamin Netanyahou, les deux parties ont donné des signes encourageants. Notamment le Premier ministre israélien, qui a parlé de "concessions douloureuses" à faire des deux côtés, de "compromis historique" et qualifié le chef de l’Autorité palestinienne de "partenaire". Comment interpréter ces signaux ?
-  On est ici dans un registre de rhétorique diplomatique. Dans ce registre, Benjamin Netanyahou s’était d’ailleurs illustré quand, en juin de l’année dernière, il avait évoqué la solution de deux Etats. Il avait également fait un petit geste avec le moratoire sur les colonies. Mais pour l’instant, on n’en est qu’aux déclarations de bonnes intentions, tout reste à faire. On en saura plus le 26 septembre, lorsque le moratoire sur les colonies arrivera à échéance. Si les parties sont vraiment décidées à avancer, elles trouveront vite un compromis sur cette question. Si elles veulent que ça dérape, elles saisiront cette occasion pour bloquer le dialogue. Leur attitude donnera la température pour le reste des discussions.
Est-ce que quelque chose a néanmoins changé, qui les pousse ainsi à vouloir se montrer d’emblée conciliants ?
-  Que ce soit sur le format ou le calendrier, cette reprise des négociations rappelle le processus d’Annapolis. A l’époque, le président égyptien Hosni Moubarack et le roi Abdallah de Jordanie étaient déjà associés au processus, et on visait déjà un accord en un an : les discussions s’étaient engagées fin 2007 aux Etats-Unis sous George W. Bush avec pour objectif un accord en 2008.
Or, les obstacles qui ont fait échouer le processus d’Annapolis comme les précédentes tentatives sont, eux aussi, toujours les mêmes : la complexité des questions à résoudre (des frontières, des colonies, de Jérusalem, des réfugiés), et le fait que les deux parties doivent composer avec des adversaires internes au dialogue. Côté palestinien, il s’agit du Hamas et d’une partie du Fatah qui est très réservée sur les pourparlers actuels. Côté israélien, il s’agit de l’opposition des colons mais aussi d’une partie du gouvernement.
Mais une chose a changé depuis Annapolis, c’est la position américaine.
C’est-à-dire ?
-  Alors que George W. Bush ne s’était penché sur le conflit israélo-palestinien qu’à la fin de son deuxième mandat, Barack Obama s’y est tout de suite attelé. Il a nommé un émissaire au Proche-Orient, George Mitchell, quasiment au lendemain de son élection, et dans son administration, beaucoup de gens se sont aussitôt investis dans ce dossier, à commencer par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton. Même si, un an et demi plus tard, le bilan est plus modeste que ce que l’on pouvait espérer, Obama a néanmoins montré qu’il s’intéressait de près à la question.
Cet investissement va-t-il se poursuivre pendant la négociation ? Il faut à mon sens que l’administration Obama ne se cantonne pas au seul rôle de facilitateur mais qu’elle fasse des propositions dans les semaines qui viennent. Ce sera le vrai test. Car sans cette implication, il sera difficile d’avancer.
Contrairement à ce que Benjamin Netanyahou a déclaré, je ne pense pas que l’on puisse reprendre les négociations à zéro. Les paramètres, on les connaît. Depuis 2000, on a les "paramètres Clinton", qui définissent les contours d’une solution à deux Etats : un Etat palestinien s’étendant sur 95% de la Cisjordanie (plus Gaza), avec le démantèlement des colonies qui y sont actuellement implantées, un échange entre Israël et Palestine pour les 5% de territoire restant, la souveraineté partagée sur Jérusalem, et un règlement de la question des réfugiés associant compensation financière et retour de certains réfugiés palestiniens dans l’Etat palestinien à venir, tandis que d’autres réfugiés seraient intégrés dans les pays arabes d’accueil de la région ainsi que dans des pays tiers (Europe, Canada…).
On a donc déjà les paramètres. Ce qui a manqué, jusqu’à présent, c’est une tierce partie qui fixe un cadre non négociable au sein duquel on puisse discuter. Je ne sais pas si Barack Obama est prêt à aller jusque là, s’il aura le courage d’activer les leviers dont il dispose. Ce serait en tout cas dans la logique de la gradation à laquelle on assiste depuis son élection : il a avancé pas à pas, en envoyant George Mitchell plusieurs fois dans la région, en obtenant quelques petits gestes de la part de Benjamin Netanyahou, puis en lançant des négociations, d’abord indirectes, puis désormais directes.
Mais Israéliens et Palestiniens ont-ils eux-mêmes voulu ces discussions où se sont-ils seulement pliés à la volonté américaine ?
-  Benjamin Netanyahou réclamait des pourparlers directs depuis longtemps, car il estimait que les discussions indirectes n’avaient pas de sens. Côté palestinien, c’est plus compliqué, on est venu à la table des négociations en traînant les pieds, avec la crainte que les discussions ne retombent dans une impasse. Car Mahmoud Abbas a une obligation de résultat : un échec donnerait du crédit à ses adversaires du Hamas. Benjamin Netanyahou a, certes, lui aussi des adversaires, mais il peut plus facilement les contrôler.
Les conditions idéales préalables à une reprise des négociations ne sont donc pas vraiment réunies…
-  C’est vrai. Mais parvenir à un accord en dépit de ces conditions redonnerait à Mahmoud Abbas la légitimité dont il a été privé ces dernières années.
Interview d’Alain Dieckhoff par Sarah Halifa-Legrand, vendredi 3 septembre
Alain Dieckhoff est directeur de recherche au CNRS, Centre d’Etudes et de Recherches internationales, Sciences Po. IL vient de diriger "Afrique du Nord Moyen-Orient. Entre recompositions et stagnation" (avec Frédéric Charillon), La Documentation française, 2010. Cet ouvrage sera présenté le 21 septembre 2010 (17-19h) au CERI, 56 rue Jacob 75006 Paris, au cours d’une rencontre "Proche-Orient : un jeu régional sans stratège" ?
publié par le NouvelObs
http://tempsreel.nouvelobs.com/actu... ajout de notes : CL, Afps