mercredi 25 août 2010

Pourquoi Clinton ne se soucie-t-elle pas de mon mari emprisonné ?

mardi 24 août 2010 - 06h:45
Janan Abdu - The Electronic Intifada
Ils vinrent chercher Amir. Tard dans la nuit, ce mois de mai, en frappant à coups redoublés à notre porte, en terrifiant nos deux filles adolescentes et en plongeant notre maison dans un désordre indescriptible, écrit Janan Abdu.
(JPG)
Janan Abdu avec ses deux filles, à l’extérieur d’une audience à huis clos après l’arrestation son mari Ameer Makhoul, le 12 mai 2010 - Photo : Oren Ziv/ActiveStills
Il m’arrivait souvent de dire à mon mari : « un jour, c’est toi qu’ils viendront chercher ». Mon mari, Ameer Makhoul, président du Comité Public pour la Protection des Libertés Politiques initiait une campagne de sensibilisation contre le harcèlement continuel que les services de sécurité infligent à notre communauté, les Palestiniens Citoyens d’Israël.
Ils vinrent chercher Amir. Tard dans la nuit, ce mois de mai, en frappant à coups redoublés à notre porte, en terrifiant nos deux filles adolescentes et en plongeant notre maison dans un désordre indescriptible. Je fais maintenant partie de ces cohortes de femmes de prisonniers palestiniens, des milliers dans les territoires occupés et au sein d’Israël. L’audition d’Amir, le 13 juillet - de la persécution et rien d’autre - menace d’être le début d’un long cauchemar judiciaire qui apportera l’horreur de la séparation pendant de longues années.
Tel est le cours qui se dessine immanquablement, à moins qu’Amir ne bénéficie d’un procès équitable et que ses premières déclarations, arrachées par la force, soient rejetées ou annulées par la Cour.
« Les démocraties n’ont pas peur de leur propres peuples ». C’est ce qu’a affirmé la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton dans son discours du 03 juillet en Pologne lors de la rencontre célébrant le dixième anniversaire de la Communauté des Démocraties. « Les démocraties reconnaissent aux citoyens la liberté de s’associer et d’agir afin de promouvoir leurs causes ». Mais le chef suprême des Services Généraux de la Sécurité d’Israël a point de vue différent . Il il y a trois ans, il déclarait que les efforts d’organisation des citoyens palestiniens oeuvrant en vue de l’égalité constituaient « une menace stratégique » même quand ils sont faits dans le respect de la loi.
Cette déclaration est contraire au principe même de la démocratie. Nous ne sommes qu’une minorité de vingt pour cent, mais ce fait ne saurait nous priver du droit de nous organiser et d’agir par tous les moyens légaux afin d’obtenir l’égalité et la jouissance pleine et entière de nos droits civiques. Ce droit est intangible. Telle est la conviction profonde de notre communauté. Le Comité Public que présidait Amir a été fondé dans le cadre du Haut Comité de Suivi pour les Citoyens Arabes d’Israël, l’organisation de coordination d’ensemble de notre communauté qui occupe une position vitale en tant que premier défenseur de nos droits civiques.
Amir doit maintenant faire face aux accusations les plus graves qui aient jamais été adressées à un Palestinien citoyen d’Israël depuis la création de l’Etat en 1948. Il est accusé d’être un espion ( au service de Hizbollah, un groupe militant libanais) et d’avoir des contacts avec un agent étranger. Son procès durera probablement des mois. Après son arrestation, Amir fut détenu sans communication avec l’extérieur pendant 21 jours et torturé. Ce qui permit aux officiels israéliens de lui arracher - en le privant de sommeil, en le ligotant dans une position douloureuse à une petite chaise et en lui interdisant tout contact avec ses avocats - les « aveux » sur lesquels reposent toutes les charges dressées contre lui.
Amir rejette toutes ces accusations. Dans sa première lettre envoyée de la Prison de Gilboa, il écrit « je fus contraint de leur expliquer comment, très précisément et dans le moindre détail, je fis des choses qui n’eurent jamais lieu ». Il continue : « Et si l’accusation a besoin de plus de ‘faits’ afin d’appuyer son dossier, il lui suffira d’utiliser l’arme bien connue de l’information classée ’secret-défense’ à laquelle ni mon avocat ni moi-même ne peuvent, selon la loi, avoir accès ».
Un thème central du discours de Clinton à Cracovie est la société civile. Amir est un activiste de la société civile. Il dirige Ittijah, la Fédération des Associations de Collectivités à Prédominance Arabe, une coalition qui rassemble 84 organisations non-gouvernementales. Clinton a critiqué plusieurs Etats qui pratiquent l’intimidation et l’assassinat, en citant leurs noms mais en oubliant celui Israël. Pourquoi le grand élan de l’Amérique en faveur des Droits de l’Homme se fige-t-il quand il s’agit d’Israël ?
Tout au long de sa vie, Amir a lutté pour les droits des Palestiniens, les Palestiniens citoyens d’Israël - que frappent plus de 35 lois écrites discriminatoires - comme les Palestiniens dans leur ensemble. Il est doué de la capacité de rassembler les points de vue autour des grandes causes par delà les clivages idéologiques et sectaires. Ce sont ses capacités comme organisateur de la lutte, à l’échelle locale, arabe ou internationale, capacités mises au service d’une vison stratégique claire, que les services de sécurité israéliens tentent de réduire au silence.
Il faut encore citer une cause notable de la fureur des services de sécurité israéliens à son égard : la forte attraction qu’il exerce sur la jeunesse en tant que dirigeant politique. Ces services ne manquèrent pas de le lui dire quand ils s’emparèrent de lui pour l’interroger durant le mouvement de protestation de notre communauté contre l’attaque israélienne de Gaza de décembre 2008-janvier 2009.
Pendant cet interrogatoire, ils menacèrent de le neutraliser à leur manière s’il s’entêtait à poursuivre son activité. « Il nous est facile de faire de vous un ‘disparu’. Sachez que la prochaine fois que nous mettrons la main sur vous, vous ne reverrez pas votre famille pendant longtemps. »
Les rares fois où il nous fut permis de lui rendre visite, une vitre épaisse nous séparait alors que des appareils enregistraient notre rencontre. Amir me demanda une copie de mon dernier livre afin qu’il puisse le lire pendant sa détention mais cela lui fut catégoriquement refusé. Mes filles souffrent cruellement de l’absence de leur père. Elles me disent souvent « si au moins on nous avait permis de l’embrasser avant qu’ils l’emmènent ». Ne pas pouvoir l’embrasser, c’est de cela que souffrent le plus mes filles.
Amir souffre toujours de la torture et des mauvais traitements qu’il a subis. Leur but est de briser son esprit de résistance. Seules 20 personnes seront admises à la salle d’audience du tribunal alors que celle-ci peut en accueillir beaucoup plus. Quand il constatera que la salle est presque vide, il pourra être entraîné à croire que personne ne se soucie de lui. Pourtant rien n’est moins éloigné de la vérité, car d’innombrables personnes- sa famille, des activistes de base, des femmes et hommes politiques ainsi que des sympathisants du monde entier- veulent assister à l’audience mais en seront empêchées.
Aux côtés d’Amir, je me suis toujours sentie comme une compagne dans la vie et dans la lutte plutôt que comme une « épouse ». Mais à présent, alors que j’attends, parmi les autres épouses, le temps de visite qui nous est imparti, je me surprend à méditer ce serment du mariage traditionnel chrétien : « Ce que Dieu a uni, nul homme n’est autorisé à le défaire ». Nul homme, à moins qu’il soit geôlier israélien.
* Janan Abdou travaille dans le secteur social et est militante féministe. Elle est chercheur au sein de Mada El Carmel, le Centre Arabe pour la Recherche Sociale Appliquée, sis à Haïfa.
13 juillet 2010 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Najib
Lien